Echos du tribunal

Des détenus demandent que le code de Justice leur soit appliqué: Jugez-nous, ne nous déshonorez pas!


Lundi 16 Décembre 2013

S’il y a un domaine où le régime du président Macky Sall a posé un acte très fort, c’est bien celui de la lutte contre l’impunité des forces militaires et paramilitaires. En effet, jamais, dans l’histoire pénitentiaire de notre pays, il n’y a eu autant de détenus militaires et paramilitaires à la prison de Rebeuss que sous l’ère de cette deuxième alternance survenue le 25 mars 2012.

Cette incarcération record de militaires, policiers, gendarmes et gardes pénitentiaires présumés impliqués dans divers crimes et délits contraste avec la complaisance dont bénéficiaient les membres de ces corps sous le défunt régime du président Abdoulaye Wade. Car ils sont nombreux, et même très nombreux, les policiers, gendarmes, matons et militaires qui croupissent en prison pour différentes infractions : tortures, coups et blessures, violences physiques, vols, bavures, homicides involontaires, meurtres etc…

Et surtout ces pratiques courantes comme les tortures et autres violences physiques que les organisations de défense des droits de l’homme ont toujours dénoncées sans bénéficier d’une oreille attentive du côté du pouvoir alors en place. Comme nous l’avait confié un président d’un organisme de défense des droits humains, « nous avons tellement condamné et dénoncé ces exactions policières que certains citoyens croyaient que les « ong » étaient créées uniquement pour tirer sur les forces de sécurité ».

Certes, personne n’est au-dessus de la loi ! Pis, l’impunité favorise les atteintes constantes aux droits humains. Et au Sénégal, comme tout Etat de droit, tout militaire, policier ou gendarme qui fait recours inutilement ou de façon excessive contre des manifestants ou des gardés à vue, des citoyens d’une manière générale, est contraint de rendre des comptes à la justice lorsqu'il commet des violations des droits humains. Seulement voilà, s’il est hors de question de cautionner l’impunité de ces délinquants ou criminels en tenue, leur statut particulier fait aussi qu’ils ne peuvent pas comparaître devant n’importe quelle juridiction.

Ce statut particulier nous renvoie justement au code de justice militaire qui vise à combler des insuffisances textuelles, au regard de l'évolution de l'appareil judiciaire sénégalais. Face à ces insuffisances textuelles, certains policiers, gendarmes et militaires emprisonnés font plus confiance aux juridictions militaires qu’à celles de droit commun. D’ailleurs, c’est ce qui explique les nombreuses batailles de procédures engagées par leurs avocats pour que le code de justice militaire leur soit appliqué afin que ces prévenus ne comparaissent pas devant des tribunaux « civils ».

Une lettre de prison écrite par un gendarme détenu à Rebeuss et que « Le Témoin » a parcourue en exclusivité, résume d’ailleurs les demandes de nombreux policiers, gendarmes et militaires pour que le code de justice militaire leur soit appliqué. Ce code militaire renferme-t-il des dispositions atténuantes au point que ces prévenus en uniforme veuillent en bénéficier ? Le code de justice militaire est-il un « pare-choc » pour certains agents de police ou militaires ayant commis des fautes graves dans l’exercice de leurs fonctions ? Eh bien ! Autant de questions qui ont poussé « Le Témoin » à survoler une partie du code de justice militaire dont l’application est demandée par presque tous les gendarmes, militaires ou policiers ayant des affaires pendantes devant les différentes juridictions sénégalaises.

Juridiction d’honneur ou bouée de sauvetage ?

De nature, les militaires « méprisent » les civils au point qu’ils n’ont jamais voulu manger dans la même gamelle qu’eux. Et si on veut les juger devant les juridictions de droit commun au même titre que les oustaz violeurs, les trafiquants de drogue et les agresseurs à la petite semaine, sans compter les ménagères qui se disputent à la borne-fontaine, cela pose problème ! Question d’honneur ou bouée de sauvetage ? Veulent-ils être jugés sans être déshonorés ? La réponse semble se trouver dans l’article 27 du code de justice militaire : En temps de paix, y lit-on, les juridictions ordinaires à formation spéciale connaissent des infractions d’ordre militaire de toute nature commises pendant le service et/ou à l’occasion du service par des militaires ou assimilés, dans les casernes, quartiers et établissements militaires ou assimilés et « chez l’hôte ».

Sans oublier les infractions prévues par les statuts des corps paramilitaires. L’expression « chez l’hôte » vise le lieu où est hébergé le militaire en déplacement. Si le déplacement a lieu dans les limites du territoire national, l’expression ne vise que les dépendances et le domicile de la personne qui a hébergé le ou les militaires. Si le déplacement a lieu en territoire étranger, l’expression vise toute infraction commise en n’importe quel point du territoire étranger. Et l’article 27 du code de justice militaire de poursuivre en disant que « sont assimilés aux établissements militaires, toutes installations définitives ou temporaires utilisées par les forces, les bâtiments de la flotte militaire et les aéronefs militaires, en quelque lieu où ils se trouvent ».

L’article 28 va plus loin pour lever tout amalgame, histoire de faire comprendre que même un militaire en congé ou en détachement peut être traduit devant une juridiction militaire. Que dit-il cet article ? Eh bien, que « sont justiciables des juridictions ordinaires à formation spéciale dans les conditions prévues à l’article précédent : les militaires qui possèdent le statut de militaire de carrière ; les militaires qui servent en vertu d’un contrat ; les militaires qui accomplissent le service militaire dans les conditions prévues par la loi sur le service national ; les personnes assimilées aux militaires dans le sens du présent code.

Les personnels cités ci-dessus, doivent être en activité de service, en situation de présence, de disponibilité, en congé ou en permission, en position hors cadre ou en non activité, ou lorsqu’ils voyagent isolément avec une feuille de déplacement s’ils sont en position de détachement et lorsque, sans être employés, ils restent à la disposition du Gouvernement et reçoivent un traitement. En tout état de cause, l’infraction ne doit pas être détachable du service et des devoirs et obligations que leur impose leur statut » précise le code de justice militaire.

Et pourtant, magistrats et avocats s’accordent à reconnaître que le code de justice militaire ne consacre ni une justice d'exception, ni une justice parallèle. Comme quoi, c’est un instrument qui, tout en s'appuyant sur le droit positif et sur notre appareil judiciaire, tend à régler des questions du droit pénal militaire que les limites du droit disciplinaire et du droit pénal ordinaire n'ont pas permis d'envisager dans leurs champs d'application.

Donc, le code de justice militaire que réclament de nombreux détenus militaires ou paramilitaires est un outil qui permet aux magistrats professionnels, assistés d'assesseurs militaires ou paramilitaires, de rendre en toute indépendance la justice militaire, dans le respect des droits de l’homme tout en préservant le pouvoir disciplinaire tel que reconnu par les lois et règlements aux autorités militaires et paramilitaires dans leur domaine de compétence. A l’analyse, on constate, nous profanes du « Témoin », qu’il n’y a pas une grande différence entre une juridiction militaire et une juridiction de droit commun dès lors que les magistrats sont bien outillés pour juger toutes sortes d’infractions d’ordre militaire ou civil.

Cela dit, il est fort possible qu’il existe un secret devant ces tribunaux militaires que les avocats connaissent pour pouvoir tirer d’affaire leur client… N’est-ce pas commandant Mamadou Birane Wane, l’officier-avocat des militaires ? « Secret ? Le secret, ce sont les arguments juridiques développés pour faire triompher la vérité… Vous savez, les militaires, policiers ou gendarmes manipulent des armes, vivent dans des casernes, reçoivent des ordres, exécutent des missions etc… Donc, ils ont un statut particulier contrairement aux civils. Forts de leur statut particulier, ils doivent bénéficier de l’application du code de justice militaire, leur code à eux ! » plaide Me Wane, l’avocat-défenseur attitré des militaires ayant commis des infractions, des délits ou des crimes.

Souhaitons en tout cas que la demande de tous ces hommes de tenues en délicatesse avec la loi soit entendue par le parquet de la République…

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Abdoul Aziz Diop