Senxibar

Situation du centre Talibou DABO: La lettre émouvante de Charles FAYE


Jeudi 12 Octobre 2017

Intégral !
Je ne t’attendais pas comme ça ! Bon dieu qu’est-ce j’ai fait pour que tu m’infliges une telle punition. Un enfant handicapé ! Qu’est-ce je vais en faire ! Comment vais-je expliquer à ma belle famille. Comment me regardera mon mari. Pourquoi une telle épreuve ? Ne suis-je pas déjà suffisamment marqué et martyrisé par cette vie glauque.
Mon Dieu ! Talibou Dabo. Que de non-dits. Que de formes et de vies restées au bas des marches de la cité sénégalaise. Sans marge. Rien. Un oubli collectif. Une fuite silencieuse. Ce sont des handicapés. Cette partie de nous qu’on cache. Informe. Pénible.
Dans tes yeux, petit, je vois ton amour, mais tu sais je souffre du temps que tu me fais perdre quand je te fais monter les marches. Suis toujours en retard. C’est difficile pour toi ? Pour moi aussi !
Désolé, je n’ai pas prévu de rampe. Je ne t’attendais pas.
Rien à la maison n’est fait pout te faciliter la tâche ! Tu n’étais pas attendu. Pas comme ça en tout cas. Ce n’était pas prévu. Désolé.
Ne m’en veux pas contribuable. Je sais, tu as bac plus 14, tu es neurologue. Je sais que tu es handicapée aussi. Que tu marches avec des béquilles. Que tu as payé cher ta chaise électrique et motorisée.
Que des automobilistes stationnent sur le trottoir ? Au vu et au su de tout le monde ? Que tu es obligé d’attendre qu’il en descende pour que tu continues ton chemin. Hors du trottoir qui est fait pour le piéton et non pour toi d’ailleurs aussi. Que l’on y met de la ferraille ? Tu es aveugle ! Tu te ramasses, les quatre fers pardon les deux béquilles en l’air ? Non je ne moque pas de toi. C’est vrai, la chaussée c’est pour les voitures. Elles n’ont rien à faire sur les trottoirs. Tu as raison. Je vais donner des instructions. Je n’ai pas pensé à toi ! Le trottoir est aussi très haut ?
C’est aussi vrai cher contribuable handicapé. C’est vrai, tu paies les impôts. Tu es en règle avec l’Etat et la Nation. Oui tu ne dois rien à personne. Quoi, tu as perdu tes jambes en Casamance ! Mines antipersonnel ! Sauté comme une poire. Des éclats de grenades au visage. T'as perdu la vue. Ta canne s'est cassée sur la ferraille sur le trottoir, non sur les briques ! Désolé je ne t’ai pas prévu dans mon budget. Les immeubles, sans rampe ? La réglementation, les textes ! Oui je sais. Je n’ai pas instruit. Je ne suis pas à cheval sur les principes et obligations. Tu n’es pas dans mes préoccupations sociales.
Désolidarisation sur toute la ligne. Pas une pensée. Rien de rien. Ma misère au grand jour. Incapable d’être prévoyant pour le plus faible. Et je fais le beau. Distribue de gauche à droite. Tiens des discours marathons. Ebauche des plans. Mais pas fichu - non pas à t’aider, je n’ai pas le faire, je suis payé pour avec l'argent des contribuables dont toi même ou tes parents,– d’être regardant comme je luis avec les valides.
Les obligations ne se négocient pas. Dit pas un mot.
Un peu de 6% de croissance en 2017, prévision de 7% en 2018. Excuse petit, je sais une bonne partie de la population se demande où passe l’argent. Alors tu sais !
Je comprends que tu me regardes, encore. C’est la rentrée. Comme les années précédentes. Rien n’a changé. Rien ne change. Jamais ! Toujours pareil. T’ignorer jusqu’à t’oublier. Envie de dire que c’est pas Noël. Cynique, sadique ? Non. Suis nul, un pavé social ! Ignorant ! Handicapé je suis moi ! Rien d’autre. La vérité sort de la bouche des enfants. Quels qu’ils soient. Valides ou handicapés.
Ah bon, le handicap ne saurait être un frein à ton épanouissement ? A ton intégration effective à la société sénégalaise ? T’as quel âge jeune homme ? 13 ans ! Tu es en 4e ? Tu auras ton bac S à 17 ans ? Tu seras chercheur ! Waaw. Tu serviras ton pays. Suis incapable de le servir. Je t’ai oublié. Tu n'est pas dans mon disque dur ni dans ma programmation. Quel handicapé je fais. Le pire : le valide ignorant, oublieux, soliste.
Merci L’Enquête pour le regard porté sur ces «oubliés de l’école». Merci pour cet uppercut en plein foie. Je suis comme les autres. Je ne vaux pas mieux. Incapable d’aller jusqu’au bout du projet social et intégral. La prise en charge du plus faible ! Insouciant !
Seuls les valides me le rendent bien, dans les soirées, les baptêmes, les mariages, les funérailles. De l’éloge à gogo. Bon pour ma superbe. Valorisant. J’en ai pour mon égo. Vanité quand tu me tiens, je dégaine. Parures, dorures. Le bon, le beau, le connard de service. Toqué jusqu’à la moelle épinière. Pardon Yaya. Suis désolé. Talibou Dabo. Le projet social en pointillé. Constructions inachevées, matériels inadéquats.
Ne parlez pas de compétitivité, de 3709 milliards de francs CFA, de 2109, de la majorité, de l’opposition, de Khalifa Sall, d’Abu-Lahad.
Allah, j’en parle tout le temps. Je signe Jésus tous les dimanches et suis incapable d’être là pour toi Yaya. Laisse moi me tirer. N’insiste pas. S’il te plait. J’ai honte. Honte de moi.
Merci de m’accorder de votre temps, d’aimer et de partager.



Abdoul Aziz Diop