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Opinion

PAR LATYR DIOUF LETTRE À ALIOUNE BADARA CISSÉ


Vendredi 9 Mai 2014

PAR LATYR DIOUF LETTRE À ALIOUNE BADARA CISSÉ

À maître Alioune Badara Cissé

Paris, le 04 mai 2014

Excellence, cher maître, illustre camarade,

C’est avec un mélange indéfinissable d’embarras et d’agacement que je réagis à votre interview sur La Chaîne Sénégalaise (LCS). Si j’éprouve de tels sentiments c’est parce que votre sortie préméditée a secoué la ligne que je m’efforce modestement de donner à mes convictions politiques.

Vous êtes, à mes yeux un homme politique respectable et vous revendiquez la co-genèse de notre parti. Selon vos propres termes, vous y étiez déjà à «zéro plus deux». Je vous avais défendu péremptoirement dans un duel médiatique aussi insidieux et aussi insipide que vos propos lors cette fameuse émission «Amoul Nëbbo». Puis, j’étais refroidi par l’image frivole du crapaud et de la blanche colombe.

Votre entretien fleuve, très mal à propos, autorise, désormais, un doute légitime sur votre appartenance sincère à l’APR. Sinon, pourquoi avoir choisi cette semaine de fortes agitations politiciennes pour porter de froides estocades à une cause que vous dites vôtre ?

Pourtant vous écouter, maître Alioune Badara Cissé, est plutôt agréable. Votre débit de parole, votre timbre de voix, vos phrases soigneusement ciselées et soutenues par une incontestable culture font de vous un des orateurs les plus charismatiques de la scène politique sénégalaise. Mais, dans votre entretien avec LCS, le fond a été plus que douteux. Or, même s’il n’est pas donné à tout le monde de s’exprimer avec autant d’aisance, l’écoute est souvent plus fine qu’on ne le croit. Donc, la prudence et le respect de ses concitoyens sont primordiaux quand on s’adresse à eux.

Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur, aviez-vous argué en citant Beaumarchais. Vous ravissant cette célèbre réplique, j’entends dire ici, avec la même intransigeance, ma compréhension de vos mots. C’est d’autant plus facile que l’intentionnalité de cet épisode d’Amoul Nëbbo est très forte.

La préparation de l’émission avait déjà opéré des regroupements et défini des orientations. Je garderai juste la liberté de ne pas forcément en suivre l’ordre.

Tout commence par un montage sur votre parcours. Ces ego trip très fréquents dans le monde politique et artistique sont toujours aussi efficaces. Ils restaurent des mérites et des légitimités. Votre auguste personnalité pouvait s’en passer aisément. Personne ne doute de vos qualités.

Le plus frappant, tout au long de l’émission, c’est que les chutes, quelle que soit la réponse, portaient toujours sur vos rapports avec le président Macky Sall. Il ne sera point question d’interpréter la distance malheureuse entre vous deux. Ma relecture sera basée sur vos injonctions tout azimuts : «Monsieur le président de la République, je vous ai connu calme et serein, capable d’écouter ; ne vous emballez pas pour si peu. Le président Wade ne fait peur à personne, vous-même, cessez de nous faire peur ; tu as tout, tu n’as plus rien à prouver ; prenez vos responsabilités, faites taire tous ces pyromanes et ces thuriféraires qui vous poussent à l’excès.»

Est-ce vraiment une manière de s’adresser à un chef d’État, les yeux dans les yeux, à la télévision ? Avec ce tutoiement qui n’a échappé à personne, vous avez présenté le président comme un capricieux qui manque d’assurance : «Démako né yéwoul, mou mër !».

Certes, comme vous, maître, on s’est proposé, dès l’éditorial de notre blog «La Permanence Républicaine», d’encourager les efforts de notre exécutif et de critiquer les écarts de nos gouvernants. Comme vous, maître, nous ne sommes pas des militants godillots. Nos ambitions sont, cependant, limitées par la responsabilité qui encadre cette liberté. L’irrévérence nous rendrait inaudible.

Qui trop embrasse mal étreint, aviez-vous dit en soulignant l’incompatibilité entre la fonction de président de la République et celle de président de parti. Cette posture serait pour quelque chose dans votre départ du gouvernement et votre disgrâce au sein du parti. N’aurait-il pas été plus judicieux de s’atteler corps et âme à la structuration du parti qui en a tant besoin, au lieu de réclamer directement sa décapitation ?

Il est difficile de croire que Macky Sall soit devenu un horrible dictateur qui sévirait à la moindre contrariété. Notre monde politique est rempli de gens médiocres, bruyants et méchants mais cela ne doit pas nous faire oublier l’essentiel. Notre peuple est juste et n’aime pas les excès. Les deux ans au pouvoir du président Macky Sall ne méritent pas la lecture que vous en faites. Ils méritent plus de solidarité de votre part. Vous étiez le tout puissant ministre des Affaires Étrangères du Sénégal.

Est-ce judicieux d’afficher publiquement autant de pessimisme à propos du Plan Sénégal Émergent devant l’espoir qu’il suscite ? Vous relevez des gaspillages, des atermoiements, des conflits de compétences autour du PSE et une cacophonie autour du taux de croissance tout en avouant ne pas le connaître et être resté sur la Stratégie de Croissance accélérée et le Yoonu Yokkuté. Et, quand le président exige une accélération de la cadence, vous êtes catégorique : «Ça ne s’annonce pas, ça se décide, ça s’assume ; pas avec des mots !»

Sur un ton plus intime, vous affirmez que Macky Sall ne croit pas et n’a jamais cru aux taux de croissance avant de dire, avec un niveau de langue qui trahit votre irritation : «Un taux de croissance, ça se bouffe pas !». Ne devriez-vous pas laisser ce terrain à l’opposition ?

Sur la situation politique nationale, votre ton est également sans appel. Les libertés publiques seraient en souffrance dans notre pays : d’anciens ministres seraient humiliés, on emprisonnerait à tout va. En somme, tout ce que fait le gouvernement, pour faire régner l’ordre et faire triompher l’équité (traque des biens mal acquis), est perçu, dans votre discours, comme un recul démocratique.

Pour mieux déprécier la CREI (Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite), vous rejetez, par principe, les "tribunaux d’exception" tout en fustigeant une «légèreté du dossier et des interventions intempestives de l’Exécutif dans la marche de la Justice» en prédisant une issue qu’on devine ridicule dans l’affaire Karim Wade.

Même le «Soutoura», ce pilier central de nos systèmes de valeur, serait menacé. Pour illustrer cette inquiétude, vous convoquez, tel un cheveu dans la soupe, l’affaire Hissène Habré pour laquelle le sens des responsabilités du pouvoir actuel mérite d’être salué. Dans le même registre, les précautions prises à l’occasion du retour médiatisé de Wade sont qualifiées de «bêtise de l’année».

Là encore, droit dans les yeux, vous sommez le président de se rappeler qu’il doit tout à Wade, que celui-ci est vieux, qu’il a tout donné, qu’il demande respect et reconnaissance, qu’il souffre de l’absence de son fils emprisonné. Ce plaidoyer est-il celui du brillant avocat que vous êtes ou celui de l’homme politique qui déroule ses ambitions ?

Vous dites vous accommoder de votre statut de militant ordinaire, «grade le plus élevé dans votre hiérarchie des normes». Vous dites œuvrer pour l’APR au niveau national et international. Vous déplorez l’absence des responsables du parti sur le terrain. Vous alertez même sur la situation délétère de l’APR dans la ville du président et des conséquences catastrophiques qu’une perte des Locales pourrait engendrer.

Même si je ne doute pas un instant que vous soyez «à l’aise dans vos babouches», comme vous l’avez si bien dit dans l’émission, votre altruisme face à tant de griefs réciproques est impressionnant. Seulement, sous l’angle de la Realpolitik, je constate l’existence d’un mouvement des ABCdaires. J’avais pensé qu’il s’agissait d’une stratégie de riposte interne et ponctuelle mais, à titre d’exemple, 10% au moins des membres de la Convergences des Cadres Républicains de France se réclament de ce mouvement. Bien entendu, ils n’assument pas tous au même degré cette appartenance.

Maître, vous qui avez réussi à réconcilier, même fugacement, Matar Bâ et Adama Ndour à Fatick pour unir les forces de l’APR, allez-vous laisser vos adeptes fragiliser votre parti ailleurs ? À moins que vous ne soyez déjà sur un autre chemin, comment devons-nous comprendre vos appels en faveur de retrouvailles de la grande famille libérale ?

Enfin, maître, vous «respirez Saint-Louis», vous «mangez Saint-Louis», vous «dormez Saint-Louis», dites-vous. C’est tout à votre honneur et je vous souhaite bonne chance. Par ailleurs, pour finir sur un ton plus grave, je souhaitais sincèrement et librement un retour de la confiance entre vous et le président Macky Sall. Je ne désespère pas totalement de voir ce vœu se réaliser mais vos trajectoires depuis notre victoire ne vont pas dans ce sens.

Il aurait fallu mesurer et s’habituer, me semble-t-il, aussi vite que lui au statut de président de la République qui était devenu le sien. Or, on a pu observer que même l’affection, la bienveillance et la loyauté que vous lui témoigniez étaient souvent trop familières, voire infantilisantes. Aucun président digne de ce nom n’accepterait longtemps de tout devoir aux autres. Une humilité totale face au mérite et au destin de Macky Sall serait, peut être, une condition de l’apaisement. Pour cela, cher maître, je vous prie d’arrêter de distiller vos paraboles qui compliquent davantage la situation.

Avec mes salutations républicaines et toute ma considération.

Latyr Diouf, coordonnateur Élu de la CCR France
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