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Libye: Ali Zeidan "Je n'ai pas dit mon dernier mot"


Mercredi 23 Avril 2014

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Démis de ses fonctions à l'instigation des islamistes, l'ex-Premier ministre aujourd'hui en exil, Ali Zeidan, entend revenir à Tripoli malgré les risques encourus.
Pour certains, c'est une fuite. Pour lui, c'est une étape. Renversé le 11 mars par un vote de défiance du Congrès général national (CGN, Parlement), Ali Zeidan se considère toujours comme le Premier ministre libyen (poste occupé aujourd'hui temporairement par le ministre de la Défense, Abdallah el-Thinni). Si, le même jour, il quittait le pays précipitamment pour rejoindre les siens en Allemagne, il a très vite contre-attaqué, multipliant les entretiens, d'abord à Londres, puis à Paris. Ali Zeidan tente de rassurer ses partenaires, lesquels ne savent plus quels sont leurs interlocuteurs à Tripoli et observent, inquiets et impuissants, la lente descente aux enfers du pays. À 63 ans, Ali Zeidan veut croire à son retour à Tripoli, où, désormais, ce sont les islamistes qui dominent les fragiles institutions politiques, tandis que sur le terrain les milices font la loi.
Jeune Afrique : Pourquoi contestez-vous votre limogeage ?
Ali Zeidan : La procédure suivie est complètement illégale. Le gouvernement n'a pas été convoqué ni questionné avant ce vote. Il n'a même pas eu l'occasion de répondre, voire de démissionner s'il le souhaitait. Je me considère toujours comme le Premier ministre de la Libye.
Qui est responsable de votre limogeage ?
J'ai été la cible de deux blocs de parlementaires intégristes qui veulent contrôler l'ensemble du CGN : le Bloc de fidélité au sang des martyrs et celui des Frères musulmans. Ils se sont opposés à mon élection il y a seize mois et ont systématiquement cherché à me démettre.
Vous avez été accusé par le CGN de détournements de fonds massifs...
Une enquête est en cours et nous verrons bien quelles sont les preuves.
C'est donc la guerre ouverte avec le président du CGN, Nouri Abou Sahmein ?
Nouri Abou Sahmein ne mérite pas que l'on s'attarde sur lui. Il a été placé à ce poste par les mêmes groupes politico-militaires qui m'ont combattu. Même sa présence à Rome [lors de la conférence des Amis de la Libye, le 6 mars, où le pays était représenté par deux délégations concurrentes] a montré les limites du personnage. Il n'est pas maître de ses choix, il est la marionnette des islamistes.
Aujourd'hui, la Libye est aux mains des milices.
Avez-vous quitté précipitamment la Libye pour des raisons de sécurité ?
Non, pas du tout. Aujourd'hui, la Libye est aux mains des milices. Une partie de ces groupes armés soutenaient mon gouvernement, d'autres servent des intérêts divers. Ma seule inquiétude était que la situation ne dégénère et que le sang ne coule. Mais je n'ai pas peur et je prévois de retourner en Libye dans les prochaines semaines.
Ne craignez-vous pas d'être tué ?
Si j'avais une telle crainte, j'aurais déjà quitté le pouvoir après mon enlèvement le 11 octobre 2013 ou après les innombrables attaques armées contre le siège de la primature.
Certains vous accusent d'avoir laissé le pays aux mains des islamistes...
C'est faux. La Libye est encore aux mains des Libyens, et nous ferons face aux terroristes. D'autres que moi défendent les idées d'ouverture et de tolérance.
Êtes-vous l'homme des Occidentaux ?
Je suis un patriote au service des intérêts de mon pays. En même temps, nous n'avons pas à rougir de nos relations avec les pays occidentaux. Nous avons des intérêts communs. La France nous a soutenus pendant notre révolution. Nous avons de vieilles relations avec le Royaume-Uni, les États-Unis, l'Italie, que nous devons maintenir dans le respect de notre souveraineté.
Le ministre des Affaires étrangères Mohamed Abdelaziz a récemment prôné la restauration de la monarchie des Senoussi comme un préalable au retour de la stabilité, qu'en pensez-vous ?
La monarchie est une option débattue en Libye, pas seulement par Abdelaziz. Tout ce qui est de nature à ramener la stabilité est bienvenu. Mais comme pour la revendication fédéraliste, cela doit être réglé de manière démocratique, par référendum.
Vous n'avez pas réussi à désarmer les milices. Comment lutter contre le trafic d'armes et amorcer une démilitarisation ?
La prolifération des armes et l'extrémisme religieux se renforcent mutuellement, ce qui constitue la première menace pour la stabilité. Il est grand temps qu'une co­opération internationale se mette en place, qu'elle soit onusienne, arabe ou africaine. L'essentiel est de sortir la Libye de ce chaos et de sauver ainsi toute la région. Pour ma part, j'ai toujours cherché à garder le contact avec les milices et à maintenir le dialogue.
L'instabilité en Libye n'est-elle pas due à l'incapacité de maîtriser les frontières, surtout avec le Tchad et le Niger ?
Pas du tout. L'insécurité s'explique d'abord par la circulation des armes à l'intérieur du pays. Le congrès de Rome a proposé la création d'un mécanisme de contrôle des zones frontalières. Mais rien n'a encore été activé. Je ne veux pas anticiper les événements, mais les prochains mois devraient être décisifs.
Est-il nécessaire de faire intervenir des forces internationales pour stabiliser la situation sécuritaire ?
Je pense que les Libyens doivent réfléchir par eux-mêmes à la nature du mécanisme de sécurité à mettre en place. Gouvernement et Parlement doivent agir de concert. Or le problème est que le CGN a d'autres enjeux en tête. Je vous donne un exemple : le gouvernement a émis une condamnation claire du terrorisme et a demandé l'aide internationale pour le combattre. Cette position officielle a été alors transmise au CGN. Au lieu de l'endosser, la majorité parlementaire a cherché à noyer le débat en demandant au préalable que l'on définisse le terrorisme.
La Libye doit revenir sur le continent avec des projets réalistes et fondés sur la défense d'intérêts communs.
Les partisans de l'ancien régime représentent-ils un danger ?
Les kaddafistes ne représentent pas réellement un danger. Le CGN a commis une grave erreur en adoptant les lois d'isolation politique [qui excluent de la vie publique tout ancien collaborateur du régime de Kaddafi]. Tous ceux qui ont servi sous l'ancien régime ne sont pas des criminels. Si on persiste à les exclure, ils n'auront d'autre choix que de devenir nos ennemis. J'appelle donc à un dialogue et à un processus de réconciliation nationale pour leur permettre de retourner en Libye et de participer à la reconstruction du pays.
Quel doit être le rôle de la nouvelle Libye en Afrique ?
Auparavant, la relation avec les pays africains était centrée sur la personne de Mouammar Kaddafi. Aujourd'hui, la Libye doit revenir sur le continent avec des projets réalistes et fondés sur la défense d'intérêts communs. Par ailleurs, nous avons relancé le Cen-Sad avec nos voisins et nos partenaires, notamment le Tchad et le Niger.
Comment avez-vous convaincu Mahamadou Issoufou, le président nigérien, de vous livrer Saadi Kaddafi et Abdallah Mansour ?
Je ne l'ai pas convaincu personnellement. Ce sont les preuves qui l'ont convaincu que ces personnes avaient le projet de déstabiliser la Libye.
Comment sont vos relations avec l'homme fort de l'Égypte, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi ?
Bonnes. Nous sommes d'accord sur le danger que représentent les Frères musulmans. Nous travaillons avec tous les pays arabes pour la stabilité et la sécurité communes. Même avec le Qatar, en dépit de quelques sujets sensibles.
Pourquoi l'Égypte ne veut-elle pas remettre Ahmed Kaddaf Eddam [cousin de Kaddafi] aux autorités libyennes ?
Je ne peux parler au nom de l'Égypte, car c'est un pays souverain. Nous avons émis un mandat d'arrêt via Interpol.
Quel plan de sortie de crise voulez-vous mettre en oeuvre à votre retour ?
Il faut dissoudre le CGN et élire un véritable Parlement et un président. Le problème tient à la qualité des personnes qui siègent aujourd'hui au CGN. En majorité, elles ne comprennent rien à la politique, ni à l'économie, ni aux affaires internationales. Elles savent bien que si le CGN est dissous, elles n'auront plus d'avenir politique. Je rappelle qu'aucun candidat des deux blocs islamistes majoritaires n'a été élu lors des élections du groupe des soixante [élus de la Constituante]. C'est pourquoi les extrémistes s'agrippent au pouvoir et veulent contrôler le pays. Je ne les laisserai pas faire.
jeuneafrique

Adama Cisse