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Guest édito – Dites à votre camarade François…Par Mamoudou Ibra Kane


Vendredi 30 Janvier 2015

Un drapeau français brûlé à Dakar ! Le déversement dans la rue de la colère anti-Charlie n’est-il que la goutte d’eau qui a fait déborder un fleuve de frustrations contenues jusque-là et que les manifestations contre le journal satirique ont libérées ? Le refus du visa, dans des conditions souvent humiliantes après une longue et harassante journée de queue devant le service consulaire, le traitement fait aux compatriotes immigrés, sont des exemples récurrents. A tort ou à raison.

Pour les manifestants de Dakar et des foyers religieux du Sénégal, les marches organisées et les déclarations faites, sont la défense de leur foi face à une France, «la fille aînée de l’Eglise », qui a perdu la sienne.
Si y en a un qui a profité de la tragédie de Charlie Hebdo pour verser dans la récupération politique de la fusillade meurtrière du 7 janvier 2015, c’est bien François Hollande. En effet, sa côte de popularité, qui depuis deux ans est au ras des pâquerettes, a bondi de 12 points. 12 comme le nombre de victimes de l’attentat contre Charlie. Simple hasard ou curieuse coïncidence ? Que va-t-il faire de cette spectaculaire remontée populaire ? La tentation est forte de voir François Hollande, à l’image de Georges Bush au lendemain des attentats du 11 septembre de New York, user et abuser du traumatisme provoqué par les évènements de janvier 2015, en France, en jouant sur le sentiment de peur de ses compatriotes. L’objectif n’est-il pas de s’assurer une réélection pour un second mandat en 2017 ? Inverser la courbe du chômage était une promesse de campagne. A ce jour, il n’y est pas arrivé.

Le débat va au-delà de la confrontation entre les « Je suis Charlie » et les « Je ne suis pas Charlie ». Il épouse les contours d’une vision différente de la religion. Si, aux yeux de tous ceux qui se sont mobilisés pour « la marche républicaine » de Paris, les frères Chérif et Saïd Kouachi et Amédy Coulibaly ne sont que de vulgaires terroristes indignes d’avoir une sépulture, force est de reconnaître que Charlie n’est pas innocent. La décision de mettre sur le marché, la semaine suivant l’attentat, 5 millions d’exemplaires (permettez-nous de douter de ce chiffre astronomique) avec une nouvelle caricature du Prophète Mohamed, n’est ni plus ni moins qu’une récidive et relève d’un mercantilisme honteux sur la tombe des morts de Charlie Hebdo. Servir une plainte pour « atteinte à la vie privée » à Closer coupable d’avoir publié la photo de François sortant du domicile de sa petite amie Julie Gayet et se mettre à défendre aveuglément la liberté d’expression pour Charlie, qui n’a rien à faire de la foi de deux milliards de croyants, cela défie toute logique. A moins que la vie privée d’un Président soit considérée en France comme plus sacrée que la foi à un Prophète ! Voudrait-on que Mohamed se contente de dire comme l’autre, pour ce blasphème : « Merci pour ce moment », qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

La France de Hollande a réussi, le temps d’une provocation inutile d’un journal irresponsable et multirécidiviste, à faire sortir de ses gonds, une population réputée pour sa modération dans sa pratique religieuse. Le Sénégal n’est-il pas un modèle d’islam modéré ? Un pays de concorde et de lisse cohabitation entre les religions. Un pays champion du dialogue interreligieux. Un pays où un guide musulman prie d’une prière exaucée pour son homologue chrétien pour qu’il devienne Cardinal. Un pays où le fidèle chrétien partage avec son compatriote musulman le délicieux plat de ngalakh (bouillie sucrée de mil à la pâte d’arachide) à l’occasion de la fête de Pâques. Un pays où il y a peu de juifs, mais qui commémore l’Holocauste en mémoire à l’extermination systématique des Juifs par les Allemands lors de la Seconde Guerre Mondiale. En un mot, pour paraphraser son premier Président de confession chrétienne, le Sénégal est fortement enraciné dans ses valeurs religieuses tout en restant ouvert aux apports fécondants des autres religions.

Monsieur Ousmane Tanor Dieng, permettez cette digression, dites à votre camarade François, au nom du socialisme et de l’Internationale socialiste que vous avez en partage, qu’il fait fausse route. Que Charlie ne nous fait pas rire en tournant en dérision notre Prophète. Que Mohamed n’est pas Mahomet. Pour le commun des Sénégalais, la France doit payer le prix du sang versé pour la liberté de l’un et la libération de l’autre. Et si seulement la France écoutait la voix d’outre-tombe frustrée certes, mais pleine de sagesse de cet autre socialiste, le très francophile Léopold Sédar Senghor ? Une frustration que le poète exprime dans toute son étendue en souvenir de Thiaroye 44 : « Prisonniers noirs je dis bien prisonniers français, est-ce donc vrai que la France n’est plus la France ? Est-ce donc vrai que l’ennemi lui a dérobé son visage ? Est-ce vrai que la haine des banquiers a acheté ses bras d’acier? Et votre sang n’a-t-il pas ablué la nation oublieuse de sa mission d’hier ? Dites, votre sang ne s’est-il mêlé au sang lustral de ses martyrs? Vos funérailles seront-elles celles de la Vierge-Espérance ? (…)»

Répondre convenablement à ce questionnement senghorien teinté d’un grand sentiment d’injustice, c’est comprendre le prix de l’histoire que la France doit à l’Afrique. Une histoire faite d’abord de traite négrière, ensuite de colonisation joliment emballée dans un euphémisme trompeur de « mission civilisatrice ».

Par-delà l’aspect religieux, la lecture de ces événements pour l’élite politico-intellectuelle française, c’est de comprendre l’état psychologique des Africains. Pour l’homme africain d’aujourd’hui qui, n’en déplaise à Nicolas Sarkozy, est assez entré dans l’Histoire, parce que la France lui a tout pris : sa jeunesse et sa richesse, elle lui doit beaucoup. Les réactions virulentes et par endroit violentes au cri de « Je ne suis pas Charlie » sont aussi l’expression d’une jeunesse qui ne rêve plus de la France mais de l’Amérique, du Canada et même de la Chine. Le Prophète Mohamed avait justement dit : « Allez chercher le savoir même jusqu’en Chine. » A méditer.

GFM





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