Médias

FRANCE: Des médias décident de ne plus publier les portraits des auteurs d’attentats


Mercredi 27 Juillet 2016

On ne verra pas la photo d’Adel Kermiche sur BFM-TV : la chaîne d’information en continu a décidé mardi 26 juillet au soir de ne plus montrer de clichés d’auteurs d’attentats, confie au Monde son directeur de la rédaction, Hervé Béroud. Celui-ci précise qu’il a pris sa décision la veille de l’annonce similaire faite mercredi 27 juillet par Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, dans un éditorial.

« Nous voulons éviter de faire une mise en avant involontaire de ces gens, avec des photos qui, de plus, sur l’antenne d’une chaîne d’information en continu, reviennent plusieurs fois dans la journée, explique M. Béroud. Nous voulons aussi éviter de mettre les terroristes au même niveau que les victimes, dont nous diffusons des photos, comme celle du prêtre Jacques Hamel tué mardi à Saint-Etienne-du-Rouvray. »
M. Béroud raconte que BFM-TV a récupéré mardi en fin de journée un portrait photo d’Adel Kermiche, djihadiste tué dans l’église où le prêtre a été égorgé. Le cliché a été diffusé dans certains médias comme Le Parisien. « J’en ai parlé avec Alain Weill [le PDG de NextRadioTV, propriétaire de BFM-TV], et nous avons décidé de ne pas la passer », précise le directeur de la rédaction de la chaîne, qui voulait aussi éviter de « véhiculer l’image du jeune beau gosse, souriant montré sur la photo, alors qu’il vient d’égorger quelqu’un » .

« Nos pratiques évoluent, et la répétition des attentats nous fait aussi évoluer », ajoute-t-il.

« Glorification posthume »

Mercredi, le directeur du Monde a estimé que « les sites et journaux qui produisent ces informations ne peuvent s’exonérer d’un certain nombre d’introspections » :
« Depuis l’apparition du terrorisme de l’organisation Etat islamique [EI], “Le Monde” a plusieurs fois fait évoluer ses usages. Nous avons notamment décidé de ne plus publier d’images extraites des documents de propagande ou de revendication de l’EI. A la suite de l’attentat de Nice, nous ne publierons plus de photographies des auteurs de tueries, pour éviter d’éventuels effets de glorification posthume. D’autres débats sur nos pratiques sont en cours. »
Ces choix ont été critiqués et certains ne défendent pas cette position, à l’image de Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste du djihadisme : « Les théories du complot vont déjà bon train. Si on cache les photos ou les identités des auteurs d’attentat, c’est leur ouvrir encore plus la porte. » Penser que les djihadistes agissent pour avoir leur photo dans les médias, « c’est trop se concentrer sur leur profil psychologique, avance-t-il. C’est intéressant, mais ils commettent, avant tout, des actes politiques au nom d’une organisation, l’Etat islamique. »

« Ça ne va pas les empêcher d’agir »

David Thomson, journaliste à RFI et spécialiste du djihadisme, interrogé par Libération, a aussi relativisé l’intérêt de renoncer aux photos :
« Le processus d’héroïsation se fait lui aussi au sein de la “djihadosphère”. Elle compte déjà de nombreux héros que le grand public ne connaît pas. Certes, les médias de masse amplifient ce phénomène, mais l’essentiel ne se joue pas là. Ils sont d’abord des héros – positifs – aux yeux des leurs ; à l’extérieur, l’héroïsation se fait de façon négative. »

Hervé Béroud, de BFM-TV, entend la critique mais répond : « Je ne pense pas que ne pas diffuser les photos des djihadistes va les empêcher d’agir ! Ce serait trop simple… Notre choix est destiné à nos téléspectateurs. »

LEMONDE



Abdoul Aziz Diop