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Edito de seneplus: Positiver les injures d'Adama Paris-Par Serigne Saliou Guèye


Mardi 14 Juin 2016

Certes il est regrettable que la styliste sénégalaise tînt à travers un média comme la TFM des propos injurieux mais il ne faut pas que les journalistes versent dans l'excès vexatoire

Le 30 mai dernier, quand dans l'émission matinale de la TFM "Yewuleen", la styliste Adama Amanda Ndiaye plus connue sous le nom d'Adama Paris a traité certains journalistes de menteurs en utilisant le terme grossier et expressif de "doulnaliste", on a assisté à un concert d'indignations et de réflexes corporatistes de confrères qui condamnent et crucifient la créatrice de mode sur l'autel d'un pseudo-puritanisme de la presse sénégalaise. J'ai parcouru tous les sites qui ont relayé, rapporté et commenté les propos d'Adama Paris mais aucun n'a dit pourquoi cette dernière a qualifié les journalistes sénégalais (à ne pas prendre dans la globalité) de menteurs fieffés.

En effet le 12 juin 2013, dans Appartement 221 de la Sent TV, l'alors animateur de l'émission Pape Cheikh Diallo servait de la boisson Champomy (à base de jus de pomme) à son invitée Adama Paris. Et voilà que pour mieux attirer les lecteurs, des journalistes de la presse en ligne et de la presse écrite se sont empressés d'écrire que "Pape Cheikh sert du champagne en direct à Adama Paris et à ses mannequins". "Adama Paris boit du champagne". Et c'est cet événement rappelé par le présentateur de "Yewuleen" qui a fait réagir outrageusement la styliste sénégalaise formalisée par cette titraille mensongère.

Le Syncips par la voix de Ibrahima Khaliloula Ndiaye, son secrétaire général, le président de la Convention des jeunes reporters du Sénégal (CJRS), El Hadj Thierno Dramé et l'Association de la presse en ligne (Appel) n'ont pas manqué de flétrir l'impudence de Adama Paris non sans demander d'ester en justice contre cette dernière pour propos injurieux et outrageants à l'encontre de toute une corporation. Je n'ai pas compris cette forte levée de bouclier et ce flux d'indignations sélectives que les propos d'Adama Paris a soulevés, tant on est habitué à ce genre de propos qualifiant à raison les journalistes.

Certes il est regrettable que la styliste sénégalaise tînt à travers un média comme la TFM des propos injurieux mais il ne faut pas que les journalistes versent dans l'excès vexatoire. Il ne faut pas qu'ils se mirent dans le prisme d'une surcote masquant leurs véritables défauts, limites et insuffisances. Au lieu d'être des cadors de la bonne information, plusieurs journalistes sont devenus, par la recherche effrénée de prébendes, de bakchich des propagandistes, des diffamateurs, des délateurs, des zélateurs, des désinformateurs. Par conséquent, les réflexes corporatistes et catégoriels ne doivent pas faire des journalistes une caste intouchable, incritiquable.

Si aujourd'hui dans l'imagerie populaire, les journalistes sont considérés comme de vils menteurs au même titre que les politiciens, c'est parce qu'ils ont prêté le flanc. Il faut oser le dire sans circonlocution : le terme utilisé par Adama Paris pour qualifier les journalistes de menteurs a envahi comme un champ de champignons depuis plusieurs années les commentaires des internautes qui flétrissent les articles désinvoltes et diffamatoires de plusieurs de nos confrères. D'ailleurs la quasi-totalité des internautes qui ont réagi dans tous les sites qui ont posté la vidéo injurieuse ont abondé dans le même sens que la promotrice de Dakar Fashion Week.

Ces réactions négatives sont symptomatiques de la mauvaise considération que nos compatriotes ont à l'endroit de la presse sénégalaise. Un de ces commentaires, paru le 22 février 2013 dans un site de la place, qui m'a frappé, traitait de "doulnaliste" un confrère qui a écrit qu'à Kédougou, dans la zone aurifère, les jeunes prostituées pouvaient thésauriser avec leur commerce charnel 1 million de francs par semaine. Une telle information qui pue le mensonge aurait pour conséquence d'inciter plusieurs Sénégalaises tentées par l'activité prostitutionnelle à migrer vers Kédougou pour bien gagner leur vie.

Le même jour où Adama Paris taxait les journalistes de menteurs, le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye, animant un panel sur le rapport dual entre "Justice et Médias", pilonnait le manque de rigueur professionnelle de la presse sénégalaise en ces termes : "Il y a beaucoup de choses à revoir dans la presse sénégalaise. Quand des gens racontent du n'importe quoi sur la vie conjugale d'un ancien Premier ministre c'est grave". Il ajoute qu'"il y a de la corruption dans la presse comme dans beaucoup d'autres milieux". Ces propos du PR sont du même calibre que ceux d'Adama Paris et pourtant cela n'a pas indigné le Synpics, la Crjs et l'Appel.

Combien de fois, des politiciens comme Moustapha Cissé Lo ont traité les journalistes, de vendus ou de corrompus ? Et pourtant à part quelques indignations de principes, on n'a jamais entendu d'une action judiciaire qui serait intentée contre Cissé et tous les politiciens du même acabit. Ceux qui doivent être trainé devant les tribunaux, ce sont certains patrons de presse, véritables roitelets, qui licencient abusivement leurs employés palotins sur des bases légères ou qui refusent de payer les arriérés de salaire qu'ils doivent aux braves et stoïques soutiers de leur entreprise.

Plutôt que de perdre du temps pour trainer Adama Paris pour des fariboles et qui n'a été en réalité que la porte-parole de milliers de Sénégalais, les organisations syndicales ou professionnelles des journalistes feraient mieux de plaider pour le bien-être des journalistes souffreteux dont la plupart ne sont même pas payés sur la base de la vieille Convention collective.

Au lieu d'intenter des procès futiles pour amener à résipiscence Adama Paris, au lieu de se mettre ridiculement devant une juridiction qui ne pourra jamais laver les souillures de la presse à travers une éventuelle condamnation de la styliste sénégalaise, les organisations de journalistes devaient plutôt appeler les confrères à une profonde introspection. D'où l'importance de méditer sur ces propos de la journaliste colombienne Ana Mercedes Gomez :

"Le journaliste doit être soucieux d'œuvrer pour le bien de la communauté et de se mettre à son service. Il est la conscience morale de l'opinion publique et de la société civile. Il expose des faits susceptibles d'aider le public à accéder à la vérité. N'oublions jamais que la raison d'être du journaliste est la quête permanente de la vérité. Il est en droit de dénoncer mais doit disposer de preuves irréfutables. Par conséquent, le journaliste doit être au service de la vérité, de la quête du bien commun pour le plus grand nombre. Liberté d'expression ne signifie pas licence, ni liberté de dire et d'écrire tout ce qui nous passe par la tête ou d'écrire en fonction de ses intérêts, mais d'exprimer, avec responsabilité, ce qui peut contribuer au bien la société".

SENEPLUS



Abdoul Aziz Diop