Opinion

Edito de seneplus: Complotisme à la sénégalaise- Par Momar Seyni NDIAYE


Jeudi 18 Janvier 2018

Des syndicalistes grognons, qui préfèrent monnayer leur talent ailleurs que dans le service public tout en jouant aux vierges effarouchées quand tarde le paiement des indemnités - Que les conditions d’enseignement se dégradent, peu leur importe


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Le Sénégal serait-il en proie à une vague de complotismes dont les auteurs agissent pourtant au cru du grand jour ? Dans son acception triviale, le complotisme confine au conspirationnisme obscur opéré par des acteurs aux desseins convergents. Paradoxalement, l’espace social et politique sénégalais est, comme saisi d’une vague de menées extraordinairement déroutantes orchestrées par des personnages publics. Et bizarrement… à visage découvert. 

Le jeu de yoyo auquel se livrent, en toute impunité, les hommes politiques et les acteurs sociaux sur les secteurs les plus vitaux de notre pays, ne semble même plus émouvoir plus d’un. Et l’insurrection éthique que la morale et la foi religieuse auraient pu produire (dans un pays à forte culture démocratique et croyant), se réduit à une indignation chaque jour, plus évanescente. 

Même dans les foras informels, (grand’ places, bureaux, amphi, transports publics) la réaction légitime de simples gens habituellement indignés par les délitements, semble s’estomper. Comme si on n’y croyait plus !  Le sensationnalisme médiatique des tabloïds s’est déplacé dans les réseaux sociaux ou le voyeurisme collectif donne plus de crédit à Assane Diouf qu’aux vrais régulateurs sociaux et autres incubateurs économiques. 

A force de patauger dans leurs diverses formes de reniement et renoncements aux valeurs, bien des acteurs de la scène politique et sociale  ont tout simplement perdu la cote. Parce que leur parole a perdu du sens et de la valeur. Or, c’est bien connu, la crédibilité de la parole donnée est le fondement d’une société équilibrée. La banalisation de la transhumance et du reniement de la parole publique sont sans doute les plus hideuses illustrations de cette confiance zéro absolu en notre classe politique.

Qui faut-il croire ? Un gouvernement qui ne tient pas les engagements tenus avec les syndicats ? Des organisations de travailleurs qui débrayent à la moindre incartade en ne percevant dans la valeur travail qu’un labeur tarifé. Adieu la vocation ! Point de souci pour les citoyens des plus démunis pour qui le service public est pourtant providentiel. Qui faut-on croire ? un gouvernement qui gratifie des institutions budgétivores de fortes libéralités dans une approche purement clientéliste ? Des syndicalistes grognons, qui préfèrent monnayer leur talent ailleurs que dans le service public tout en jouant aux vierges effarouchées quand tarde le paiement des indemnités ?  

Que les conditions d’enseignement se dégradent, que l’offre de soin, la qualité de l’accueil hospitalier, les ressources financières des structures se raréfient ! Peu leur importe. C’est l’obsession de l’engrangement financier à qui mieux, mieux ! Pendant ce temps, les franges sociales les plus précaires trinquent avec la maigre mais précieuse consolation des bourses sociales et autres cartes d’égalité des chances. Ce clin d’œil aux  moins nantis restera tout de même un traitement social et non économique de la pauvreté. Mais il a le mérite d’exister. Il n’y a que les politiciens obtus qui n’y voient que de la pitance pour « bétail électoral.»  Faute de créer et donner du travail aux jeunes, la croissance tant vantée doit se désagréger jusqu’aux plus pauvres. 

Ces jeunes sont aussi victimes du complotisme ambiant. Souvent laissés pour compte, sans travail les plus fragiles s’offrent aux funestes aléas de l’exil, au péril de leur vie. Le stock de travail qui reste est mis à mal par des patrons qui démantèlent et dépècent le code du travail. Les CDI, disparaissent, les CDD foisonnent, les contrats de prestations sont la règle. Les centrales syndicales constatent le mal, gardent le profil bas. Elles mettent plus d’énergie dans le rituel du 1er mai et s’extirpent sur la subvention de l’état (eh oui) et cajolent les patrons. Les marches de janvier sonnent comme des barouds d’honneur pour nous rappeler qu’elles existent. Elles ont aussi leur part dans le complotisme ambiant. N’est-il pas étonnant qu’après des lustres, elles s’arrachent enfin à leur torpeur… pour ne faire que marcher … en guise d’avertissement. Des tigres en papier ?

Voilà que ces acteurs sociaux se réveillent donc subitement pour battre en chœur et sans cœur le macadam oubliant que le 1er mai, elles ont préféré la bamboula à la revendication sincère et active. Effacées du subconscient des citoyens ces routiers du syndicalisme alimentaire reprennent du service. Enfin dira-t-on ! Sans doute par acquis de conscience, puisqu’on avait fini par les ranger aux oubliettes. S’exonéreront-elles pour autant de la spirale complotiste. Certainement pas ! On les jugera sur la suite !

Pour l’écrasante majorité de nos compatriotes, l’année 2017 a connu des séquences traumatiques profondes, avec des séries d’accidents mortels sur la route, dans les iles du Saloum, les foyers religieux, le drame du stade Demba Diop, les élections législatives, les inondations. L’année 2018, a démarré avec le massacre de Boffa Bayotte, réveillant un autre traumatisme qu’on pensait, à jamais, éloigné. La surchauffe syndicale  promise, n’augure rien de rassurant et l’année pré-électorale, dans un fond de contentieux politiques graves non plus. Comment sortir de ces complotismes récurrents dans lesquels la classe politique et les acteurs sociaux cherchent à nous enferrer ? 

Le complotisme est une entente que de puissants acteurs cherchent à imposer comme une nouvelle règle de vie.  Quelle réponse citoyenne les Sénégalais lui opposeront-ils ? 


Abdoul Aziz Diop