Opinion

De quoi le 23 décembre 2011 est-il le nom ? Et de quoi est-il aussi le NON ? Par Mamadou Diop "Decroix" Secrétaire Général d'Aj/Pads


Mardi 3 Janvier 2012

A l’Orée de cette nouvelle année 2012, il m’a paru pertinent d’évoquer la journée du 23 décembre 2011 et les manifestations qui l’ont marquée pour revenir sur ce qui m’a paru être un message d’une portée exceptionnelle à tous égards au vu du contexte actuel, envoyé aux acteurs politiques Sénégalais de tous bords par le peuple de ce pays.


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Le prétexte : J’ai lu à la « Une » d’un quotidien de la place l’affiche suivante : « après Ben Ali, Moubarak et Kadhafi, à qui le tour ? » et au bas des photos des trois dictateurs déchus ou assassinés,  la légende suivante : «  y a –t – il une si grande différence entre la Corée du Nord et le Sénégal de Wade ? » Et j’ai scruté la journée du 23 décembre 2011 pour lire, - du moins en ce qui me concerne-,  l’intégralité de la réponse à ces questions, au travers du comportement exemplaire du peuple sénégalais  de la première décennie de ce 21ème siècle. J’ai lu dans cette journée toute la différence entre les dictateurs déchus du « printemps arabe » et Wade. Et, toute la différence entre la Corée du Nord et le Sénégal. Et, je me suis aussi interrogé, chemin faisant,  sur le sens profond de ces comparaisons-rapprochements, par delà la supposée bonne foi de leurs auteurs.

Or donc, ce 23 décembre 2011, des foules immenses, que personne ne saura jamais dénombrer, se sont déplacées pour répondre à l’invitation des acteurs politiques de toutes obédiences de notre pays. Les uns à la place de l’obélisque, lieu de convergence de l’Opposition hostile à la candidature de Wade, les autres sur la VDN pour porter au pinacle cette candidature. Même si, en termes d’effectifs, - la VDN l'a amplement remporté sur l’obélisque -, il n’en demeure pas moins que, de part et d’autre, ce sont des Sénégalais à part entière qui sont allés écouter des leaders politiques. Ceux-ci se sont librement exprimés, se sont même épanchés, y compris de façon dure et parfois déplacée contre leurs adversaires.  Après avoir écouté les orateurs, les foules se sont dispersées dans le calme.  Chacun s’en est retourné chez lui, tranquillement. Ils se sont  croisés dans les rues et ruelles de la capitale, ont partagé parfois les mêmes moyens de transport mais ne se sont pas empoignés, ne se sont pas insultés encore moins étripés comme certains oiseaux de mauvais augure l’avaient prédit ou l’auraient voulu. Je peux même affirmer, sans risque de me tromper, que beaucoup d’entre eux se sont retrouvés le soir, autour du même repas, en famille, chacun racontant avec bonhomie ce qu’il a vu ou entendu. Telle est la composante première de notre identité démocratique. Cette façon de faire et d'être n'est pas très fréquente dans beaucoup de pays de par le monde, y compris ceux dont l’expérience démocratique est réputée plus ancienne car, par ailleurs, les cultures sont très différentes. Cela est, encore une fois de plus,  un message très fort que tout acteur politique se doit de décrypter sous peine de forclusion définitive : « Nous ne porterons jamais votre trop plein de haine", dit le message ; "ni votre trop plein de peur encore moins votre trop plein de violence". Quand le peuple décide de délivrer un message sans délégataire, celui-ci n’est pas écrit et il n’est pas dit. Il est agi. Sans fioritures ni formalités réductrices. La force de pénétration du message ou son autorité absolue résident dans son insaisissable présence, sa transcendance pour tout dire. Le comportement admirable de ces dizaines ou centaines de milliers de citoyens de tous bords politiques, de tous bords confessionnels, venant de l'Est et de l'Ouest de notre pays, du Sud et du Nord ou encore du Centre, est  la preuve par 9 de ce que veut le peuple Sénégalais : la paix et la concorde ; rien que la paix et la concorde. Tel est, me semble-t-il, le  Sénégal réel, pour ceux qui savent lire ou ceux dont les yeux ne dessinent pas a priori des champs de ruines. Tel est aussi, à mes yeux, le NOM de la journée du 23 décembre 2011.
 
Nous voyons ici nettement, si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes,  que ce qui se passe sous nos cieux n’a strictement rien à voir avec ce qui se passe en Corée du Nord ou ce qui s’est passé en Tunisie ou en Egypte ou encore en Libye. Ce pays qui s'appelle le Sénégal a accumulé au cours des âges, suffisamment de réserves qui lui ont permis jusqu'ici de résister victorieusement aux démons de la division qui fait la perte des nations.


De quoi donc le 23 décembre 2011 est-il le NON ?

Le 23 décembre 2011, le peuple a aussi clairement indiqué ce dont il ne voulait pas. Il a dit « NON ! » aux impasses de la violence et de l'autodestruction. Il a dit « NON » aux tentatives, inconscientes ou délibérées, d'instiller dans les esprits la sédition et la conflagration. Il a dit ‘NON’ à ceux qui, au nom de la liberté d'expression, travaillent nuit et jour, matin et soir, à créer artificiellement les conditions de déstabilisation du Sénégal notre pays.
 
Comment peut-on raisonnablement, si l'on connaît un tant soit peu l'histoire du siècle dernier, comparer le Sénégal à des pays qui, pendant près d'un demi siècle, n'ont connu ni la démocratie ni le pluralisme encore moins des élections honnêtes où une opposition (formellement inexistante) remporterait des élections, réalisant même une alternance à la tête de l'Etat comme en 2000 chez nous ou de collectivités locales comme en 2009 ?

Comment peut-on raisonnablement faire des rapprochements entre le Sénégal et  ces pays qui, pendant des décennies,  n'ont pas connu  de radios libres, de presse écrite libre, encore moins de télévisions libres ?

Comment peut-on comprendre que l'on puisse comparer le Sénégal avec ses 180 partis politiques à ces pays qui, pendant des décennies, n'ont pas connu de pluralisme politique ?


Comment peut-on raisonnablement comparer le Sénégal à ces pays qui n'ont pas connu la liberté d’expression qui permet à un citoyen, dans des émissions interactives, de déverser copieusement des tas d’insanités sur des autorités de l’Etat et d’aller tranquillement prendre son café ?

Toutes ces démarches, conscientes ou inconscientes, planifiées ou spontanées n'apporteront rien de bon au pays ni même à leurs auteurs si elles devaient aboutir. Franklin Roosevelt, qui a été élu quatre fois Président des Etats-Unis d'Amérique et a dirigé victorieusement les forces Alliés contre le nazisme hitlérien (à partir de son fauteuil roulant, s'il vous plaît !), avait l'habitude de dire : "La guerre on y entre quand on veut, on en sort quand on peut".

Je ne pense pas qu'il soit juste, au nom de la liberté d'expression, de laisser s'infiltrer l'esprit "radio mille collines" dans notre paysage médiatique d'aujourd'hui. Ici, ce sont des dizaines et des centaines de manifestations que les Sénégalais organisent, avec ou sans déclaration, à longueur de journées, de semaines, de mois et d'années depuis 2000. Ces manifestations s’organisent partout dans le pays, dans les villes comme dans campagnes. Devant les préfectures, devant les gouvernances, devant les mairies, devant le palais présidentiel ou encore devant les grilles de l'assemblée nationale. Jamais à ma connaissance un gouverneur ou un Préfet ou un sous-préfet, un maire ou encore un garde du palais ou de l'Assemblée n'a tiré sur les gens. On a attaqué et brûlé des domiciles de membres du gouvernement et jamais personne n'a tiré sur qui que ce soit. Bien au contraire les forces qui gardaient les lieux ont préféré laisser les gens brûler et détruire plutôt que de tirer sur les pillards. Lorsque tout ça est dirigé contre le gouvernement, des institutions de la République ou des citoyens réputés soutenir le régime, cela s'appelle « actions citoyennes ». Mais lorsque c’est dirigé contre des gens de l'opposition, ce sont des « actes de banditisme et de violence ». NON ! Si on veut être juste, on doit dénoncer et condamner les actes de violence d'où qu'ils viennent et quels qu’en soient les auteurs.
 
Concluons : Le peuple a rejeté avec force le message d'invite à la violence et à la haine. En sortant aussi massivement pour se rendre à ces manifestations, les Sénégalais ont montré qu'ils n'avaient pas peur et qu'on ne pouvait pas leur faire peur.

C'est de cette force tranquille que la journée du 23 décembre rend compte, indubitablement et tout (e) Sénégalais (e) devrait en être fier (e) et, surtout, s'en inspirer dans son comportement de tous les jours.
 
 
Ce 1er janvier 2012

La Rédaction