Opinion

CASAMANCE : Les imprudences stratégiques de Wade (Par Babacar Justin NDIAYE )


Vendredi 6 Janvier 2012

Le 31 décembre 2011, le Président de la république a lu un message à la nation et…à la rébellion, une épine trentenaire dans le pied du pays. La démarche serait au-dessus de toute critique, si le chapitre consacré au Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) ne contenait pas une imprudence stratégique dont les rédacteurs (mal avisés) du discours, n’ont pas su déceler la portée foncièrement funeste.


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Comment comprendre qu’un déficit de réflexion autour du Président, ait provoqué la mention, dans le message, des noms de trois « commandants » de la rébellion, un soir de grande écoute sur toutes les chaînes de radio et de télévision ? Par cet appel nominal et public, Me Wade a hissé d’office et symboliquement, César Atoute Badiate, Salif Sadio et Ousmane Niantang Diatta à sa triple hauteur de chef de l’Etat, de chef des armées et, surtout, de clef de voûte de ce magma d’institutions (administrative, judiciaire, militaire etc.) qui s’appelle la République. C’est là un avantage psychologique gracieusement accordé à des hors-la-loi qui, la veille, ont simultanément tué et capturé des soldats. Incompatible avec l’orthodoxie républicaine.

Désormais, le commerçant de Kanel, le tailleur de Kidira et le pêcheur de Kayar (tous citoyens modèles) ont appris par une déclaration solennelle du Président de la république, l’existence de civils (armés) aussi importants que les maires (élus) Abdoulaye Baldé et Bécaye Diop, dans le sud du Sénégal. Dommage ! Les journalistes peuvent jongler avec les noms de pareils personnages. Pas le premier magistrat du pays. Un message à la nation n’est pas destiné à une fraction de nationaux déterminés à pulvériser la nation.

Lorsque le destin d’un pays vacille – c’est le cas pour le Sénégal en Casamance – celui qui a tout le poids de l’Etat sur les épaules, doit étendre la vigilance jusqu’au vocabulaire qui alimente le volet psychologique de la guerre. Le Général De Gaulle l’avait si bien compris que, durant la séquence (1958-1962) de la guerre d’Algérie, il ne désignât les Ben Bella, Ben Khedda et autre Ferhat Abbas, que sous le vocable invariable de « chefs de l’insurrection en Algérie ». Puisque juridiquement la France s’étendait de Dunkerque à Tamanrasset (tout comme le Sénégal s’étend de Saint-Louis à Ziguinchor) Charles De Gaulle ne pût les appeler autrement. Et par conséquent, se gardât de prononcer publiquement leurs noms. Moralité : les conseillers d’un chef d’Etat doivent être férus d’histoire.

Il va sans dire que les observateurs avertis ne perdent pas de vue le but de la manœuvre subtile qui sous-tend cet appel stratégiquement imprudent. La guerre n’étant pas une partie de pique-nique ou de garden-party, les calculs sous-jacents y fleurissent entre les lignes des discours les plus formellement corrects. Voire naïfs. Ici, le désir secret de manier l’arme du « diviser pour s’imposer » est perceptible. La tentation d’isoler l’aile politique du Mfdc de sa branche militaire, étant difficilement résistible dans ce bourbier casamançais. D’où cette place privilégiée que les rédacteurs ont octroyée, dans le message, aux centurions du Mfdc – par opposition et au détriment – des cerveaux de la rébellion nichés en Europe.

Mais la piétaille du Mfdc est-elle si mûre et détachable, pour être cueillie rapidement par le gouvernement ? Rien n’est moins sûr. Car deux analyses se télescopent. Apparemment le gouvernement et ses conseillers ont la certitude qu’il n’y a pas l’ombre d’une allégeance entre la brochette de politiques en exil, et les combattants de l’intérieur. Sentiment qu’il faut nuancer ou corriger à propos de cette Casamance sociologiquement opaque. Sans cesse en contact territorial et en osmose ethnique avec la Gambie et la Guinée Bissau.

A défaut d’allégeance pleine et entière, il existe une articulation entre ceux qui, au loin, ont en charge la pensée séparatiste ; et les groupes armés qui écument les régions de Kolda et de Ziguinchor. Naturellement, l’Etat sénégalais serait infiniment plus à l’aise dans une négociation avec Ousmane Niantang – maquisard brave mais sommairement instruit – qu’avec l’ingénieur en pétrochimie Nicolas Sadio (natif de Simbadi Balante), par ailleurs, conseiller économique de Nkrumah Sané.

Le discours présidentiel n’a pas charrié qu’un impair stratégique. Il a également servi une appréciation surréaliste de la situation. Extrait : «…ce qui est arrivé récemment (mort et capture de militaires) est le fait de l’irrédentisme de certaines factions, alors que d’autres négocient avec nous pour rétablir la paix. Ces désespérés, sachant que le processus de paix entamé fait de grands progrès, tentent de raviver le feu, et s’attaquent à notre armée qui est plus en position de veille sur la paix et la sécurité des populations qu’en position de guerre ». Fantasmagorique ! Sauf si l’on surestime les contacts routiniers et stériles du Collectif des cadres casamançais (présidé par Atépa) avec un César Atoute Badiate grandement affaibli par la dissidence, en juillet 2011, de son ex-lieutenant Ousmane Niantang Diatta.

C’est précisément, ce Collectif des cadres – violemment désavoué et dénoncé dans la presse et les sites du Mfdc-Europe – qui a pris langue avec Mario Giro (successeur du Père Andrea Riccardi) à la tête de la communauté Sant’Egidio, en vue d’une médiation internationale en Casamance. On peut dire que la deuxième tentative est la bonne ; puisque Sant’Egidio a été poliment éconduite par Abdou Diouf qui n’entendait pas lui offrir un laboratoire de recherche de la paix, sans garantie de succès.

Car, en dehors de son « fait d’armes » mozambicain, en 1992, Sant’Egidio a collectionné partout des échecs ; notamment au Liban (malgré ses excellents rapports avec le leader druze Walid Joumblatt), et en Algérie où le gouvernement, farouchement anti-islamiste, a décliné son offre de médiation. Seuls le Front islamique du salut (Fis) et une poignée d’opposants algériens en exil, ont été présents au monastère des carmélites de Trastavere, siège de Sant’Egidio à Rome.

Ainsi donc, les étranges progrès de la mystérieuse négociation que Wade évoque dans son discours, renvoie d’une part, à la rencontre entre Atoute Badiate et les émissaires du Collectif à Sao Domingo; et d’autre part, à l’irruption autorisée par Wade, des « diplomates du Christ » de Sant’Egidio dans le dossier. Et bonjour le paradoxe qui consiste à repousser l’internationalisation du conflit via l’Onu (proposition de Moustapha Niasse) et à l’accepter par le truchement de l’Etat du Vatican, conformément au vœu de Pierre Goudiaby Atépa. C’est la seconde imprudence du chef de l’Etat.

Par ailleurs, ces choix imprudents du Président Wade, interviennent au moment où l’instable Guinée Bissau renoue avec les convulsions itératives qui ponctuent les luttes inter-claniques dans le commandement de son armée ; au sein duquel les rebelles du Mfdc ne manquent pas de connexions. Certes, le chef d’Etat-major Antonio Indjai entretient d’étroits et confiants rapports avec le Général Abdoulaye Fall, mais les mœurs politiques de ce pays voisin sont tellement porteuses de coups de théâtre, qu’elles inclinent à la vigilance.

Toutefois, la neutralisation du Contre-Amiral Jose Americo Gomes alias Bubo Na Tchuto (carte de la Gambie à Bissau) et l’élimination programmée (rumeurs d’empoisonnement) du Colonel Zamora Induta, effacent provisoirement les éléments militaires les plus anti-sénégalais, parmi les décideurs à Bissau.

N’empêche, l’année 2012 est loin d’être entamée sous les meilleurs auspices géopolitiques pour le Sénégal. L’après Malan Beccai Sanha est si préoccupant que l’Union Africaine (l’UA) démarche d’ores et déjà le Président du Faso, pour une mission de stabilisation de la Guinée Bissau. Après la Côte d’Ivoire et la Guinée Conakry, Blaise Compaoré va rôder tout près de la Casamance. Ce n’est donc pas le moment d’aligner des impairs ou des choix hasardeux dans un message à la nation.

Au train où la carence gouvernementale se dévoile, on peut se demander si le Colonel de gendarmerie Djibril Bassolé, ministre burkinabé des Affaires Etrangères et ancien « Monsieur Darfour » de l’UA, ne sera pas le futur Envoyé spécial de Jean Ping en Casamance ? Seconde moralité : les conseillers d’un chef d’Etat doivent être friands de prospective.

Décryptage Par Babacar Justin NDIAYE

La Rédaction