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Opinion

REQUIEM POUR INDUSTRIES DISPARUES: LE SÉNÉGAL, UN CIMETIÈRE POUR USINES EN FAILLITE


Lundi 17 Février 2014

Au milieu des années 80, plus précisément vers 1985-1986, un rapport du Boston Consulting Group avait fait grand bruit dans notre pays. Portant sur les conséquences de la Nouvelle Politique industrielle (NPI), alors mise en œuvre par les autorités socialistes sous la dictée de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, ce rapport prédisait la transformation du Sénégal en un gigantesque souk.


Près de 30 ans après, nous y sommes en plein ! L’industrie sénégalaise se meurt, ses fleurons ont déjà mis la clef sous le paillasson ou sont sur le point de le faire tandis que toutes sortes de marchandises à la qualité souvent douteuse ont envahi le territoire national. Il suffit de se promener dans nos marchés, de circuler dans les rues de Dakar ou de regarder aux rayons de nos grandes surfaces : les produits importés sont partout.

Marchands tabliers, vendeurs à la sauvette, ambulants, gérants de magasins, boutiquiers… proposent tous de la camelote venant de Chine, de Dubaï, de Turquie ou d’autres pays où la main d’œuvre est payée au lance-pierres, à moins que la production y soit tellement importante que les coûts des marchandises y sont déjà amortis. Les produits exportés peuvent donc être bradés à vil prix selon le bon vieux principe du dumping.

A longueur de journée, de semaine, de mois et d’année, des milliers de commerçants sénégalais prennent l’avion vers ces destinations où ils chargent des conteneurs entiers de toutes sortes de produits embarqués ensuite dans des bateaux à destination de Dakar. Là, après avoir dédouané une partie et fait sortir l’autre avec la complicité de gabelous qui ferment les yeux, ils déversent le tout dans nos marchés.

Cette pacotille étant vendue à des prix défiant toute concurrence, et pour cause, les industriels installés sur le territoire national peinent à écouler leur production. Leurs stocks enflent, ils peinent à respecter leurs engagements bancaires, ils n’arrivent bientôt plus à payer leurs salaires, encore moins leurs impôts… La cessation de paiement, voire la faillite, n’est donc jamais loin. Avec ces fermetures, ce sont des milliers de travailleurs qui sont jetés dans la rue, grossissant les rangs de l’armée des chômeurs…

C’est ainsi au Sénégal depuis bientôt trois décennies. Les régimes se suivent et se ressemblent dans leur incapacité à régler cette situation en prenant le taureau par les cornes, c’est-à-dire en mettant en œuvre des mesures drastiques contre les importations, le plus souvent frauduleuses, de marchandises venant concurrencer la production nationale.

Ce qu’on appelle la « zone industrielle de Dakar » ressemble aujourd’hui à un gigantesque cimetière d’usines, voire un champ de ruines. Que d’usines jadis emblématiques ont disparu du paysage. De la Cafal à Icotaf, de la Sotiba à la SCT, des  TMS (Tricoteries mécaniques du Sénégal) à la SIV (Société industrielle du vêtement) ou aux Tréfileries du Sénégal, de la Sénéplast à la Siplast… les usines qui ont mis la clef sous le paillasson ne se comptent plus.

Pis, rien que ces dernières années, 376 entreprises, majoritairement des PME-PMI ont cessé leurs activités. La plupart victimes de ces importations légales ou frauduleuses. Les autres industries qui n’ont pas encore fermé leurs portes n’en connaissent pas moins des difficultés indicibles. Ainsi, la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS),  le plus gros employeur privé de notre pays et l’un des plus importants contributeurs aux recettes fiscales de l’Etat, peine depuis des années à écouler sa production de sucre.

A un moment donné, il y a quelques mois, elle avait dans ses hangars jusqu’à 46.000 tonnes de sucre ! La faute  à des fonctionnaires corrompus qui avaient délivré des autorisations d’importation aux commerçants de l’Unacois (Union nationale des Commerçants et « industriels » du Sénégal). Lesquels en avaient profité pour inonder le marché, causant la mévente de la production de la CSS. 

Or, cette dernière emploie tout de même quelque 5.000 travailleurs permanents et 3000 temporaires, sans compter les milliards de francs qu’elle paye au titre des impôts. Mieux, elle a fait de Richard Toll, jadis un petit hameau perdu dans l’immensité du Walo, un grande ville de dizaines de milliers d’habitants et un important pôle économique.

Quant aux commerçants de l’Unacois, depuis des années qu’ils nous tympanisent, on ne voit toujours pas la moindre unité industrielle qu’ils ont montée. Hélas, le nouveau président de la République, à peine installé, s’était dépêché de signer un accord avec eux pour faire baisser le prix du sucre. Avec le résultat que l’on sait…

Quand la SOBOA est à son tour de la gouffre ! 

Après la CSS dont les difficultés étaient déjà connues, une autre entreprise emblématique, sans doute la plus ancienne de notre pays puisque implantée au Sénégal depuis… 1921, la SOBOA (Société des Brasseries de l’Ouest-africain) est à son tour dans le gouffre et s’apprête à licencier du personnel. Ce qu’elle n’avait jamais fait depuis 92 ans ! Selon un connaisseur du secteur, la SOBOA était « l’entreprise la plus stable du Sénégal ».

Comme la CSS, cette brasserie qui fabrique des boissons gazeuses et alcoolisées payait régulièrement ses impôts, utilisait des centaines de travailleurs bien payés et est un modèle en matière de respect de la législation sociale. Hélas, depuis quelques années, ses ventes se sont effondrées du fait des importations sauvages de canettes de boissons. La situation est à ce point grave que ces importations ont atteint l’année dernière 40 % de sa production !

Après avoir résisté vaillamment, cette entreprise qui a modernisé ses équipements il n’y a pas longtemps, doit se résoudre à se séparer d’une partie de son personnel. La faute, là aussi et encore une fois, aux importations. Or, le propriétaire de la Soboa, Pierre Castel, est le numéro un de la brasserie en Afrique où il possède des dizaines d’unités industrielles. C’est un de ces industriels auxquels les gouvernements du monde entier déroulent le tapis rouge.

Partout ailleurs en Afrique, ses brasseries tournent, l’exception étant le Sénégal. Leur chiffre d’affaires en Côte d’Ivoire fait  cinq fois celui de la SOBOA. Au Cameroun et en Angola, ces brasseries font dix fois ce que génère son unité sénégalaise. Au début du mandat de l’actuel président de la République, Pierre Castel était venu au Sénégal à bord de son jet privé. Reçu par le président Macky Sall, il avait fait exactement 13 minutes dans le bureau de ce dernier disant ne pas vouloir abuser du temps de son hôte.

Il était venu dire qu’étant sentimentalement attaché au Sénégal, il voulait y construire une nouvelle huilerie. Sur fonds propres, s’il vous plaît ! Devant l’urgence, il avait voulu racheter une unité déjà existante. Les négociations étaient même conclues lorsque… la SOBOA a fait l’objet d’un redressement fiscal historique ! Ulcéré, Pierre Castel avait préféré laisser tomber. Déjà, une petite usine lui appartenant au Sénégal, la Sofravin, a cessé toute activité. Et la Soboa, à son tour, va licencier.

Pour parler d’huilerie, la Suneor est en cessation de paiement alors que cette entreprise, continuatrice des activités de la Sonacos, joue un rôle stratégique dans l’économie nationale en raison de la place qu’occupe l’arachide dans notre agriculture. Laquelle fait vivre 70 % de la population de notre pays. Si la Suneor est dans le rouge, c’est qu’elle achète trop cher les graines aux producteurs alors que les cours mondiaux d’huile d’arachide se sont effondrés ces dernières années.

Or, du fait des coûts de production, cette huile ne pouvait pas être vendue au Sénégal car trop chère pour le pouvoir d’achat des consommateurs. Elle était donc exportée, la société de M. Abbas Jaber important de l’huile de soja ou de tournesol pour la commercialiser localement. Seulement voilà, l’huile de palme ivoirienne est venue inonder le marché. Coûtant moins cher, elle s’est imposée au détriment des productions de la Suneor.

Le régime Wade a tenté de défendre la Suneor par des artifices douaniers mais l’Uemoa l’a condamné à ouvrir ses frontières à ces produits venus de l’Eburnie. Dans ces conditions, évidemment, il y a de quoi se demander si le Sénégal n’aurait pas intérêt, finalement, à se retirer de l’Uemoa. La question est de plus en plus agitée dans certains milieux… Au lendemain de nos indépendances, les autorités politiques avaient favorisé les conditions de la mise en place d’industries de substitution aux importations.

On fabriquait les boissons gazeuses ou alcoolisées que nous buvons, les tissus que nous portons, nos propres allumettes, nos piles électriques (la Sigelec est elle aussi frappée de plein fouet par les importations), les couvertures qui nous réchauffent, la tomate qui rougit notre « thiébou dieune » (la Socas est à l’article de la mort après la SNTI qui a fait faillite), les sandales et chaussures qu’on porte dans nos villages, nos industries agro-alimentaires étaient florissantes (Nestlé a démonté au moins une chaîne de fabrication pour l’installer au Ghana), nos huileries tournaient à plein régime etc.

Cinquante ans après, en lieu et place des industries de substitution aux importations, des commerçants margoulins ont mis en place une politique… d’importations de substitution aux industries locales ! Dans les années 80 et 90, le défunt magazine « Africa » du Français Joël Decupper publiait chaque année un classement des industries sénégalaises. Régulièrement on trouvait en tête, et dans le désordre, la SAR (Société Africaine de Raffinage), les Industries chimiques du Sénégal (ICS), la Sonacos et la Compagnie sucrière sénégalaise.

Eh bien aucune de ces industries de ce quatuor de tête — qui jouaient un rôle de locomotive et faisaient travailler des centaines de sous-traitants — ne se porte bien aujourd’hui. Et plutôt que de s’attaquer au mal de notre industrie et de songer à défendre ce qui peut l’être, on engage le Sénégal dans des discussions sur le sexe des anges à l’image de ce débat national sur l’Acte 3 de la décentralisation dont le but ultime n’est que de caser le maximum possible de politiciens parasites et prédateurs.

Il est assurément important d’aller chercher des financements au groupe Consultatif de Paris, mais c’est tellement mieux que de défendre ces industries qui ont constitué des piliers de l’économie nationale pendant plus de 50 ans ! Monsieur le président de la République, vous avez une « vision », nous dit-on, vous nous promettez également l’émergence, on veut bien y croire, mais avez-vous seulement une politique industrielle ?

SENEPLUS




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