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Opinion

Maître Mbaye-Jacques DIOP: LA LUTTE AVEC FRAPPE EST-ELLE NOTRE SPORT NATIONAL ?


Lundi 14 Mai 2012

Ce titre peut paraître provocateur, aux yeux de certains, si l’on se réfère à la contribution du Docteur Massamba GUEYE, dans le journal WALFADJRI (Cf. Editions 6023, datée Samedi 15 Avril 2012). Monsieur GUEYE dénonce dans son article, avec raison et beaucoup de pertinence, les dérives de violences qui gangrènent l’arène sénégalaise et défigurent ce beau et noble sport qu’est la lutte avec frappe, mais qui est travesti à travers des errements de certains de ses acteurs irresponsables.

Plusieurs facteurs, à notre humble avis, ont contribué à instaurer cette face hideuse que présente, de nos jours, cette lutte avec frappe. D’abord, il faut avoir le courage de reconnaître notre congénitale allergie à tout ce qui est organisation et discipline, sauf si elles nous sont imposées de l’extérieur (telles que les disciplines sportives imposées, avec leurs codes, leurs règles auxquelles il est impossible de déroger). Culturellement, nous avons un problème avec la méthode. Léopold Sedar SENGHOR, en son temps, n’a eu de cesse de s’insurger contre un mal, spécifiquement sénégalais, qui s’appel Laxisme. La lutte nous en offre une parfaite illustration. Avant les combats, dans l’arène on peut assister à des séances de « baak », soit à l’arrivée des « ténors », soit à l’occasion des présentations au public de certains d’entre – eux. Ces séances sont, généralement, des merveilles de gestuelles (danses, exhibition) de déclarations poétiques, sauf que, malheureusement, elles se déroulent, presque toujours, dans une ambiance de confusion, à la limite de l’anarchie, où s’entrechoquent désharmonie des pas de danse et, contretemps de percussions, résultats souvent de l’improvisation et de l’impréparation.
Le tourisme sénégalais pourrait en faire une niche d’opportunités, pour les tours opératoires, pour peu qu’une préoccupation d’organisation y prévale. En lieu et place, c’est bien souvent, à une parodie de « lambi golo » qu’on assiste. Malgré la belle initiative que certains « écuries » ont prise, de se projeter dans le modernisme, en formant autour des « ténors » de véritables ballets formés par les «sux» avec uniformes et chorégraphies (improvisées), leurs efforts sont généralement noyés dans le désordre ambiant.

Et c’est là que le bât blesse !

Très souvent, si non toujours, c’est au moment ou un « ténor » et son ballet commencent à évoluer dans l’enceinte, qu’un autre choisit de faire son show, qu’un autre choisit de faire son, avec une totale indifférence quant à la primauté d’occupation des lieux.
D’autres «sux», paraissant piqués par on ne sait quelles mouches, ne se gênent pas, eux non plus, et croient devoir faire irruption dans l’enceinte, se toisant et se lançant des défis.
Et pour ne rien gâter, le « micro central » plonge dans la mêlée, armé de ses décibels et concurrencé par une batterie enragée qui à la prétention d’officier pour tout ce monde évoluant dans l’enceinte.
La vue, tout comme l’ouïe, en prennent alors le coup. Ce mélange détonnant résume le calvaire de l’ « amateur », qui, chaque Dimanche, pourtant, comme le drogué, abdique, à son corps défendant, devant son besoin irrépressible d’aller au rendez-vous des gladiateurs.
Dès lors que ce constat est fait, au plan organisationnel, il parait illusoire de prétendre au respect de quelque réglementation que ce soit devant régir le comportement des acteurs de la lutte avec frappe.
Il ne s’agit pas seulement des lutteurs ; mais c’est regrettable, de tous les acteurs de la lutte : les managers, les promoteurs, les Autorités de organes de gestion, et les associations de ce qui est convenu d’appeler « les amateurs », et, dans une certaine mesure, la tutelle-même.

La lutte avec frappe est, pourtant, incontestablement, notre sport national.

Elle n’existe nulle part, ailleurs dans le monde, sous sa forme actuelle qui combine lutte purement traditionnelle et boxe anglaise.
Il s’agit bien d’une spécificité sénégalaise.
Nous pouvons nous glorifier, encore que nous le fassions dans un laxisme consubstantiel à notre être sénégalais

Et pourtant ! Combien y-a-t-il de disciplines sportives étrangères que nous avons acclimatées et dans lesquelles d’éminents Sénégalais se sont distingués tout en se sentant bien dans le corset que constituent les codes de conduire, les usages et normes !




Au même titre que les Joe-Louis, Ray Sugar Robinson, Mouhamed Cerdan, Laurent Dauthuile dans le meme registre, en France, Antonin Geesing (qui mit fin à la suprématie japonaise, en Judo) en Finlande, ou encore David Douillet et Tedy Rehner, dans la même discipline, en France (pour ne citer que ces catégories de sport), étaient admirés et perçus comme modèles porteurs de valeurs, par toute une jeunesse, autant la même considération et le même respect se manifestaient à l’endroit des Batling Siki Fall, des Assane Diouf, Idrissa Dione, authentiques fils du Sénégal et ambassadeurs faisant la fierté de leur peuple.
Ces monstres sacrés-là, ne se donnaient pas en spectacle, mais étaient plutôt conscients de ce qu’ils représentaient.
Il en était ainsi, pourtant, autrefois, dans l’arène.
Des « ténors » comme Souleye NDOYE, Bosco SOW, Abdourahmane NDIAYE dit Falang, Mbeex NDOYE, Songane GUEYE, Modou DIAKHATE et leurs aînés, à l’instar du mythique Champion Médoune Khoulé, tous ont eu à contribuer à asseoir le prestige de la lutte avec frappe, par leurs prouesses physiques et techniques, certes mais aussi une claire conscience d’incarner des valeurs d’exemplarité de «Jom» et de « teggin ».
Il faut dire qu’ils évoluaient, également, dans un environnement où l’argent n’était pas encore la seule valeur sûre ; et où l’éthique et la morale avaient encore un sens.
C’étaient des temps où tous les acteurs (sportifs, encadreurs, organes de gestion, organisateurs et public, tous) jouaient le jeu et observaient des règles……. Parfois même non écrites.



En lutte, le vocabulaire ne s’était pas encore enrichi, au point de parler d’ « écuries » (curieux, tout de même, ce glissement sémantique !) Est-ce le fait de feu Abdoulaye Nar SAMB, qui fut d’abord un brillant Jockey avant de se reconvertir en «micro central» ? Et le bon sens habitait encore les esprits.
Et puis, subrepticement, l’argent s’est introduit dans l’enceinte, en passant par la fenêtre.
Le sponsoring (avec la démesure qui caractérise la publicité) s’est invité au banquet.
Dès lors, les bornes étant dépassées, il n’ya plus eu limites. Les repères se sont brouillés et les têtes, fragiles et non préparées se sont mises à enfler. L’esprit sportif a cédé le pas à la volonté d’accaparement.
Les muscles et le talent ne suffisant plus, tous les moyens, désormais s’avéraient bons pour s’illustrer, se faire connaître et vendre son image.
A priori, cela pourrait se comprendre, comme participant des techniques de marketing, si les acteurs étaient armés pour percevoir la ligne rouge qu’il ne conviendrait pas de dépasser.
On se souvient des séances de pesées, très médiatisées, dans le milieu de la boxe et au cours desquelles, les adversaires s’invectivaient, se toisaient, se frottant la poitrine, se traitant de tous noms d’oiseaux et se promettant l’enfer……….sans jamais aller jusqu’à l’indécence ou en venir aux mains.
Il en est de même, mors des chocs, sur le ring, sur le tatami, sur les terrains de jeu, etc.….
Les règles de compétitions sont strictes ; les verdicts d’arbitres non discutés (même si, à posteriori, ils peuvent être susceptibles de recours), les horaires respectés.
Pourquoi nous plions-nous, volontiers, à de tels dispositifs, s’agissant des disciplines importées, alors que concernant notre propre patrimoine, nous apparaissons incapable d’obéir à nos règles préétablies ?
Visitez un dojo digne de ce nom. Vous verrez des judokas accéder sur le tapis avec des kimonos irréprochables de blancheurs, des pieds à souhait et des ongles coupées.
Vous les verrez saluer en montant sur le tapis ; saluer leurs maîtres ou arbitres, saluer les collègues ou adversaires avant d’engager ou en terminant une compétition ; saluer encore, en quittant le tapis.
Comment comprendre que nous soyons en mesure de nous soumettre à ces convenances venues d’ailleurs et être incapables de nous respecter nous-mêmes, de respecter ce qui nous appartient, ce qui relève de notre génie propre, qui devrait pouvoir faire notre fierté, que nous pourrions présenter avec orgueil à ceux qui viendraient nous visiter, comme l’Asie nous fait aimer ses arts martiaux, les Anglo-Saxons la boxe et la Grèce antique les Jeux d’athlétisme. Ce serait notre apport au « rendez-vous du donner et du recevoir » si cher à feu Léopold Sédar Senghor.
L’argent ne justifie et ne peut justifier les écarts que l’on déplore dans l’arène.
La racine du mal, relève, en réalité, de problèmes d’éducation.
Ce sont les valeurs attachée au comportement individuel et collectif (le respect de l’autre, le sens de l’honneur) naguère si prisées dans nos sociétés traditionnelles, qui sont, à présent bafouées.
Senghor avait encore raison, qui déplorait, déjà, cette tendance, dans nos sociétés « modernes », à privilégier le « plus-avoir », au détriment du « plus-être ».
La pratique du sport ne peut, surtout des sports de combats, s’accommoder de certains travers.
Mais comme nous le soulignons plus haut, quand le sens de l’éthique déserte l’âme, la bestialité s’y introduit ?
C’est, plus profondément, notre société qui est malade.
Avons-nous suffisamment fait attention aux monstruosités dont les medias se font l’écho régulièrement, ces temps-ci ?
Avons-nous subi un électrochoc devant les spectacles de sacrifices humains (des cadavres démembrés, des bébés morts non enterrés déposés dans des cimetières, des corps sans têtes) ?
Les dérives, dans l’arène, ne sont que le reflet de la dégradation des mœurs, à tous les échelons. La lutte ne saurait constituer l’exception.
La légende veut que Médoune Khoulé, ébranlé pour la première fois dans sa prestigieuse carrière, lors de son combat contre Diéry Sadio, ait proclamé lui-même sa propre défaite, sans attendre qu’on terminât de s’accorder sur le nombre d’appuis qui doit consacrer une défaite.
Même s’il faut reconnaître qu’en ces temps là, on n’était pas à l’abri d’incidents majeurs (lamb ju tocc littéralement séance de lutte ayant dégénéré, c'est-à-dire s’étant terminée par une bataille rangée), il faut dire que ceux-ci constituaient l’exception.
Il convient, cependant, en dépit de ce tableau sinistre que nous venons de peindre de ne pas désespérer.
Les critiques, tous azimuts, qui ont suivi les malheureux incidents déplorés, semblent avoir rappelé les uns et les autres à la raison.
L’admirable spectacle que Yékini et Balla Gaye 2 ont offert aux sénégalais, le Mercredi 18 Avril ; dans les locaux de la RTS, ainsi que les conditions dans lesquelles leur combat, objet de toutes les peurs, s’est déroulé le Dimanche 22 Avril, au Stade Demba Diop, ont rendu leurs titres de noblesse à la lutte avec frappe.
« Pourvu que ça dure !! », comme disait Madame-mère (la maman corse de l’Empereur BONAPARTE).
Avec nos encouragements à M. Alioune SARR et son équipe car la seule fierté que nous pouvons revendiquer, ce n’est pas celle d’avoir réussi à nous plier à des règles et méthodes venues du dehors.
Ce sera celle que nous éprouvons, lorsque nous serons en mesure, non pas seulement, de rendre crédible, vivant et pérenne, ce qui nous appartient, que nous aurons rendu utilisable partout et que nous aurons exporté avec succès, dans les mêmes conditions que nous utilisons avec succès ce que nous avons cru devoir importé.
Dans l’état actuel des choses et dans le cadre de la mondialisation, notre sport national, par essence, qui est la lutte avec frappe, mérite d’être promu ; d’être mieux organisé ; de faire l’objet de toutes les attentions. Pour pouvoir être exporté.

Et pourquoi pas, un jour, le voir figurer sur la liste des disciplines retenues pour les jeux Olympiques ?

Se rappelle-t-on que le Judo ne fait partie de ces Jeux, qu’il n’y a ) peine un demi-siècle ?

Mais…. Le Japon n’est pas le Sénégal (qui a parlé de discipline) ?

Maître Mbaye-Jacques DIOP
Ancien Inspecteur de la Jeunesse
Et des Sports, (Promotion 1961-1963)
Maire Honoraire de la Ville de Rufisque

REWMI.COM





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