Société

MEDINA SABAKH: L'ex eldorado taquine la misère


Vendredi 25 Mai 2012

Ses hauts faits festifs meublent encore le souvenir d’anciens bons viveurs dont nombre d’ex taulards épinglés par la Justice pour cause de tournées des grands ducs dans un village qui en a perdu plus d’un.
Localité sénégalaise aux portes de la Gambie, dans le département de Nioro, Médina Sabakh la joyeuse se conte plus qu’elle ne se raconte. Les anecdotes qui peuplent son histoire des années 70-80 en donnent l’image d’un Eldorado à l’appel duquel peu d’acteurs de la filière arachidière ont pu échapper, pour peu qu’ils aient eu à servir dans l’ex Sine Saloum, aujourd’hui découpé en régions de Fatick et Kaolack et Kaffrine.

Médina Sabakh, c’est l’histoire de groupe folklorique aux mélodies enivrantes. Avec les dames à la chorale et deux ou trois hommes à la percussion aux côtés d’autres batteuses de calebasses tenant lieu de tam-tam, le chant populaire version Ngoyane a fait des malheurs dans les rangs de fonctionnaires, agents de l’Etat et autres opérateurs économiques indélicats. La seule évocation de Ngoyane réveille le souvenir d’anecdotes à la limite de la fiction. Et pourtant !

Nombre de convoyeurs de fonds, bien des transporteurs, trop d’agents des coopératives arachidières se sont trouvés si touchés par la qualité de l’accueil à leur passage à Médina Sabakh, qu’ils en arrivèrent à oublier les raisons de leur déplacement. Flatté jusqu’au plus profond de lui-même par des artistes capables - comme personne alors dans ce pays - de faire perdre raison au plus blasé des hommes, l’hôte de Médina Sabakh ne se sent plus de limites dans le besoin de répondre à l’honneur par le contenu du portefeuille et du coffre-fort. Ainsi, du chauffeur qui n’a pas fait moins que « livrer » sur place tout un camion de lait en boites de conserve destiné à une clientèle établie ailleurs. Un autre ne trouva pas moins que de « sucrer » le puits du village, parce que la fête ne pouvait être moins belle que cela.
C’est cet Eldorado des périodes de vaches grâces pour le bassin arachidier qui peine aujourd’hui à convaincre le visiteur que des centaines de millions de CFA ont été engloutis ici.

Jadis, le village de Médina Sabakh se distinguait par ses riches potentialités culturelles valorisées par le talent de ses artistes, ce qui en faisait le rendez-vous d’une classe de fortunés de l’époque ou autres fêtards en quête d’un lieu de bonheur où l’on pouvait tranquillement être bercé par les sons mélodieux des « Xalam » (instrument traditionnel) accompagné souvent de chants interprétés par les célèbres troupes choristes du « Ngoyane » (chant traditionnel spécifique au Saloum).

Ce village situé à environ une dizaine de Kms de Faréfégne à gauche de la transgambienne, a marqué l’histoire du Sénégal au milieu des années 70, alors qu’il faisait encore bon vivre au pays de la graine d’arachide.
Mardi 22 mai, 14h30 environ. Nous arrivons dans le village autrement appelé « Keur Ndary Coumba Touré », au bout de la piste qui le sépare de Nioro, le chef-lieu du département. La canicule qui nous accompagne depuis notre départ de Kaolack n’a rien perdu de sa force La population de Médina Sabakh, composée à majorité d’agriculteurs et d’éleveurs vaque à ses occupations quotidiennes.

En bordure de l’unique artère qui traverse le village, à l’ombre des arbres, quelques chevaux prennent un semblant de repos, en attendant la prochaine corvée. Les véhicules hippomobiles assurent le transport des hommes et des marchandises entre localités alentour.

Sur la place publique, qui sert aussi de marché, de rares commerçants et marchands à la petite semaine se laissent aller à la somnolence, parfois allongés devant le tas de petites denrées qu’ils gardent encore espoir d’écouler, avant le coucher du soleil. Ils proposent des produits sénégalais comme des produits d’origine gambienne. Le village n’est plus le petit Eldorado qui, pendant une décennie, avait ravi la vedette à des localités plus tournées vers le luxe et la modernité. Ni son plan architectural, ni ses habitations, encore moins les richesses générées par ses populations aujourd’hui, ne peuvent démontrer en cette période du siècle que ce village eut une réputation au-delà des frontières du Sénégal.
Prospère hier, miséreux aujourd’hui

Médina Sabakh a le même profil d’habitat que les autres collectivités du département, avec ses vieilles bâtisses souvent en banco, souvent en paille ou zinc, mais aussi des bâtiments en dur, expression de la générosité d’autochtones dont l’ambition de moderniser leur village ne s’est guère arrêté au bout des lèvres.
En cette période où l’hivernage s’installe de plus en plus dans le pays, des personnes rencontrées ont leur explication du manque manifeste d’animation : les travaux champêtres préparatoires à la saiso culturale.

A la chaleur de l’accueil qui fit la réputation de Médina Sabakh, ne manquent que les notes de Ngoyane. La crise est passée par là. L’arachide a perdu ses belles années, mais les gens sont restés dignes et tout aussi disponibles et marquent leur attention à l’étranger

Des témoignages recueillis auprès des habitants, on comprend que durant les premières décennies post indépendance, l’argent coulait à flots dans le village de Médina Sabakh.
La des sols, une pluviométrie abondante et la proximité du baobolong, petite rivière jadis très poissonneuse avaient fait de la contrée un lieu d’immigration de nombreux producteurs venus des différentes régions du Sénégal, mais aussi de certains pays limitrophes.

Cette ruée massive des populations a quelque part contribué à la naissance d’une génération de patriarches, mais d’autres riches dont les ressources sont en exclusivité tirées de l’agriculture et de l’élevage. Médina Sabakh était une plaque tournante du commerce des produits agricoles. A la fin des années 70, début 80 alors que les soirées « Ngoyane » disparaissaient petit à petit avec l’installation progressive de la crise économique, l’exploitation des produits d’origine gambienne a aussi constituée une source de revenus pour les populations qui exploitaient les canaux de la contrebande. Mais cette manne ne résistera pas à la dévaluation du franc CFA et la montée du dalasis. Les produits gambiens ne sont plus de premier choix pour le consommateur sénégalais. Il fallait alors retourner à la terre pour survivre et trouver une ressource substantielle pouvant assurer le démarrage d’une seconde activité.
Aujourd’hui Médina Sabakh, tout comme le reste des localités environnantes, est inscrit sur la liste des villages menacés de famine.

Après l’alternance survenue en 2000, la filière arachidière a commencé sa descente dans les profondeurs de la crise. La politique agricole visiblement est à genoux. Les grandes productions amassées chaque année par les producteurs, empruntent une courbe descendante.

Les agriculteurs ne récoltent plus que le tiers de leurs anciennes productions. Et Médina Sabakh, au fil des ans, s’installe progressivement dans la misère. L’exode des bras valides n’est plus un phénomène isolé. Les jeunes partis en ville à la conquête d’un petit travail, reviennent souvent au village plus pauvre que leurs parents. Et le village s’enfonce de plus en plus dans une obscurité. Les ténèbres accompagnent notre départ du village. Il se fait tard pour Médina Sabakh non éclairé, alors que nous quittions l’ex lieu paradisiaque du Sine Saloum.
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Abdoul Aziz Diop