Société

Litige foncier à Chérif Lô: Ndjitté, la résistance jusqu’au bout


Samedi 15 Avril 2017

Les habitants du village de Ndjitté situé dans la commune de Chérif Lo ont retrouvé le sourire, après une journée de mercredi mouvementée, rythmée par des affrontements avec les forces de l’ordre. Ils excluent toute idée de lotissement et se disent prêts à préserver ‘’toutes leurs parcelles’’.


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‘’Le maire de la commune de Chérif Lo va passer sur nos cadavres pour accéder à nos terres.’’ Comme un leitmotiv, cette phrase est sur toutes les lèvres au village de Ndjitté, situé dans la commune de Chérif Lo, département de Tivaouane. Ces populations ont vécu, mercredi dernier, une journée cauchemardesque à cause des affrontements avec les forces de l’ordre. Après l’incident, le calme est revenu dans ce village où nous avons débarqué vers les coups de 14h 45mn en ce jeudi 13 avril. Les populations ont repris leurs principales activités. Ndjitté a fini d’inhaler la fumée des grenades lacrymogènes.

Mais la ‘’guerre’’ a laissé des séquelles. ‘’Le maire de Chérif Lo veut procéder à un nouveau lotissement dans notre commune. Le village de Ndjitté en est la principale victime. Il a déjà vendu la moitié de nos parcelles en 2015. Nous savons tout ce qu’il manigance. Mais cette fois, ça ne passera pas. Il va falloir qu’il tue tous les villageois avant de mettre la main sur nos terres’’, fulmine Omar Diagne, un jeune habitant de Ndjitté trouvé sur leur place publique. Entouré de plusieurs jeunes assis sur une natte, Omar précise que les populations ne veulent pas de ce lotissement et ne veulent ‘’rien savoir de ce que le maire Ousmane Sarr envisage de faire de leurs vergers’’.

Ainsi, il souligne que tout ce que réclament les populations, c’est le départ du maire de leur commune. ‘’Toutes les populations touchées par ce lotissement demandent le départ du maire Ousmane Sarr. C’est à cause de lui que les jeunes de Ndjitté ont eu des altercations avant-hier avec les gendarmes. Nous en avons assez. D’ailleurs, il est très limité. Quand un maire se lève pour dire qu’il fera vaille que vaille son lotissement, je crois qu’il n’a pas les capacités intellectuelles pour diriger une municipalité’’, s’indigne à nouveau Omar Diagne. Ainsi appelle-t-il tous ces camarades à la résistance, si le maire continue dans sa volonté de ‘’confisquer’’ leurs terrains.

Fondé en 1867, le village de Ndjitté, qui a été le théâtre d’affrontements entre populations et forces de l’ordre, n’avait jamais vécu ce genre de situation. Une première dans l’histoire de ce ‘’petit village’’ niché au cœur de Chérif Lo, à quelques km de la ville sainte de Tivaouane. D’après Ibrahima Diagne, ce ne sont pas les grenades lacrymogènes qui les feront reculer. ‘’Le maire a fait venir les forces de l’ordre pour nous intimider. Je pense qu’il se trompe lourdement en croyant qu’il a gagné la bataille. De toute façon, il nous trouvera toujours dans nos champs et on ne le laissera pas faire. A moins qu’il tue ou qu’il enferme tous les villageois avant de s’en servir’’, déclare avec insistance Ibrahima Diagne.

Mercredi, lors des altercations, cinquantaine (50) jeunes ont été appréhendés par la gendarmerie puis relâchés, tard dans la soirée. Selon nos sources, ils ont été relâchés suite à l’intervention des autorités religieuses de Touba.

 

‘’Le maire veut procéder au lotissement de 4 600 ha’’

Le maire de la commune de Chérif Lo avait combattu, en 2014, un lotissement qui devait avoir lieu dans son propre village à Keur Thione Sarr. De l’avis des populations de Ndjitté, c’est ce même maire qui aujourd’hui est en train de faire du ‘’forcing’’ pour lotir leurs parcelles dont la plupart ont déjà été vendues. ‘’Il y a beaucoup de non-dits dans cette affaire. Et pourtant Ousmane Sarr s’était opposé à un lotissement dans son village, en 2014. Pourquoi il nous fait subir tout cela aujourd’hui ?’’ s’interroge Ibrahima Diagne qui sert en même temps du thé aux jeunes et adultes sur la place publique de Ndjitté. ‘’On verra si la commune appartient au maire. Il a été élu par les populations. Nous demandons au président de la République d’appliquer une délégation spéciale pour faire sauter ce maire. D’ailleurs, il n’a aucune culture générale’’, s’empresse d’ajouter Mamadou Djitèye assis à côté de Omar Diagne, avant de nous raconter la longue matinée qu’ils ont vécue avant-hier avec les forces de l’ordre.

‘’Nous avons vécu une journée très dure. Mais on a eu gain de cause, parce que ce fameux lotissement n’a pas eu lieu. Le maire veut procéder au lotissement de 4 600 ha. C’est énorme. Je ne l’ai jamais vu dans aucune commune de ce pays. On se demande même à qui appartiennent toutes ces terres. Tout le monde sait qu’il le fait pour son intérêt personnel. S’il croit que nous sommes des profanes, alors il se trompe’’, renchérit  Mamadou Djitèye, tout en rappelant que ces camarades et lui seront prêts à en découdre avec les forces de l’ordre, chaque fois que le maire les appellera pour superviser les travaux de lotissement.

Pour sa part, Adama Sarr, président du collectif des titulaires des parcelles à habitation dans la zone de Ndjitté, Keur Yoro Sadio, Pam…, indique que si le lotissement était fait dans ‘’les règles de l’art’’, il n’y aurait pas eu de problèmes. Le maire, affirme-t-il, agit pour ses ‘’intérêts personnels’’. ‘’Ceux qui l’ont précédé n’ont même pas eu une seule parcelle à Ndjitté. C’est le cas de l’ancien Président du conseil rural (Pcr) de Chérif Lo, Jean Pierre Tine, et feu Mamadou Diakhaté. Ils ont rempli leur mission et sont partis. Quand le maire Ousmane Sarr est arrivé à la tête cette commune, il nous a tout pris. Maintenant, c’est fini. Nous sommes au courant de ce qu’il est en train de faire, et nous allons lui faire face’’, promet Adama Sarr. Selon le commandant de la gendarmerie à la retraite, les populations de Ndjitté et des autres villages touchés par ce ‘’lotissement irrégulier’’ vont se battre pour ‘’protéger leurs intérêts, ceux de leurs enfants et petits-fils’’, au péril de leur vie.

Prendre 37 km de terres à la population de Ndjitté n’est pas une chose aisée. Malgré la fumée des grenades lacrymogènes qu’ils ont absorbée toute la journée du mercredi 12 avril, les habitants de Ndjitté entendent résister jusqu’au bout.

 

3 QUESTIONS A JEAN PIERRE TINE (ANCIEN PCR DE CHERIF LO)

‘’Il y a toujours eu des problèmes fonciers à Chérif Lo’’

Président du Conseil rural de Chérif Lo, de 2009 à 2014, Jean Pierre Tine affirme que le litige foncier est monnaie courante dans cette localité. En revanche, il demande à son successeur de privilégier le dialogue au détriment de la force.

 

Vous avez initié le lotissement de Chérif Lo qui, aujourd’hui est à l’origine d’un litige foncier entre les populations et le maire. Qu’est-ce qu’il faut faire pour y remédier ?

Il y a eu tellement de spéculations foncières dans cette zone qu’elle est devenue aujourd’hui une zone inexplicable. Il y a toujours eu des problèmes fonciers à Chérif Lo. Quand je suis arrivé, j’ai pris un arrêté interdisant toute construction pour essayer de résoudre définitivement cette question. Ce que mon successeur n’a pas fait, à son arrivée. Il s’est limité aux principes de la continuité de l’Etat. Pour trouver des solutions à ce litige foncier, il faut qu’il discute avec tous les ayants-droit.

 

Pensez-vous qu’il soit train de faire un forcing ?

Absolument ! Et je trouve que cette façon de faire ne l’arrange, parce qu’il veut faire un lotissement au détriment des populations. Il faut qu’il sache que le code a changé. On est passé du statut de communauté rurale à la commune, avec l’acte III de la décentralisation. Pourquoi il n’y a pas eu de consultations avec les populations, les premières bénéficiaires ? Il s’est contenté de dire que le dossier est arrivé à la Présidence ; tel marabout m’a donné son aval. Cette pratique ne fait pas avancer les choses. En plus de cela, le maire veut procéder à un lotissement de plus de 4 000 ha. Mais le besoin, il est où ? Le fait d’amener les gendarmes pour faire passer son projet n’est pas la meilleure des solutions. Il faut qu’il discute avec toutes les populations afin de trouver des solutions idoines et qu’il commence à faire des évaluations concrètes pour dédommager tous les bénéficiaires.

 Le maire a lancé un appel au dialogue, suite aux affrontements de mercredi….

Mais est-ce que ce n’est pas trop tard ? Il aurait dû le faire il y a très longtemps. On ne peut pas commencer en haut et vouloir descendre en bas. Il faut qu’il consulte tout le monde à la base. Si les gens sont d’accord, adhèrent au projet, il appelle les services techniques pour qu’ils procèdent au lotissement. En revanche, il ne faut pas vouloir une chose et son contraire. Il faut qu’il fasse également l’effort de bien communiquer avec ces populations et qu’il sache raison garder.

ABDOUL KADER Ba