GRAND DOSSIER - Homme de l'année 2014 : Awa Marie Coll Seck !

Vendredi 19 Décembre 2014

Elle s’est retrouvée en première ligne dans la lutte contre la plus terrible épidémie qu’a connue l’humanité en ce début de millénaire. Face au spectre de ce terrible fléau (6 841 morts, sur 18 464 cas enregistrés, d’après le dernier bilan fait par l'Organisation mondiale de la santé, ce lundi 15 décembre 2014), elle s’en est sortie haut la main. Et c’est avec sa blouse blanche de praticien, qu’elle a enfilé comme un treillis militaire, qu’Awa Marie Coll Seck est venue à bout, troublée mais sereine,  de la propagation du virus Ebola au Sénégal.
 
Face à l’apparition d’un premier cas importé de la Guinée Conakry, le 26 août 2014, le Sénégal est sorti de la zone rouge en l’espace de trois semaines. Aussi vite que la maladie a été identifiée, un traitement a été élaboré et le virus neutralisé. Awa Marie Coll, en bon commandant de bord, a pu mettre un dispositif efficace, une communication offensive, mais rassurante, pour empêcher les populations de céder à la panique.
 
Les soixante-dix personnes en contact avec le patient infecté ont vite été identifiées et placées sous contrôle médical. Heureusement, aucune d’entre elles, n’a été déclarée positive.
 
Avec Awa Marie Coll Seck, aujourd’hui, l’espoir d’éradiquer la pandémie est permis. Au moment où la maladie fait rage en Afrique Occidentale, particulièrement au Libéria, en Sierra Léone et en Guinée, atteignant le Mali et traversant même les frontières africaines jusqu’en Espagne et les Etats-Unis, le Sénégal a su, grâce à l’engagement de son ministre de la Santé et de son équipe, prendre les dispositions idoines pour barrer la route au virus hémorragique. Une bonne gestion de cette pandémie qui a poussé les Etats-Unis à envoyer équipe de chercheurs américains au Sénégal pour s’imprégner du modèle Coll Seck, devenu un cas d’école à travers le monde, si l’on se fie aux explications du Docteur Abdoulaye Seck, conseiller technique  n°2 du ministère de la Santé.  Chauvin, me diriez-vous, mais une expérience exceptionnelle pour un médecin ! A faire pâlir de jalousie les autres fils d’Hippocrate.
 
 
Une femme simple
Malgré son expertise et ses résultats éloquents, la ministre de la Santé est une femme simple, au style classique. Pas plus haute que trois pommes, cette ancienne joueuse internationale de basket a l’engagement et la détermination en bandoulière. Elle est de la race de ceux qui ont choisi la médecine pour ne plus voir mourir, impuissante, des proches. 
 
Née le 1er  mai 1951, Awa Marie Coll Seck a blanchi sous le harnais de la médecine. Devenue tour à tour doctorante d’Etat en médecine, chercheuse diplômée en bactériologie-virologie et en maladies infectieuses et tropicales à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, elle est, de 1996 à 2001, responsable de département à l’Onusida à Genève. 
 
Grâce à ses nombreuses formations en méthodologie de la recherche et en pédagogie à Dakar, Libreville et Bordeaux, elle devient, à seulement 33 ans, la première femme agrégée de médecine au Sénégal et l’une des pionnières en Afrique francophone. 
 
En 1989, elle est nommée professeur titulaire de la chaire de maladies infectieuses à l'université de Dakar et chef du service des maladies infectieuses au Centre hospitalier universitaire de Fann. 
 
De 1989 à 1996, elle est responsable du groupe clinique-counseling du Comité national de lutte contre le sida (Cnls). À ce titre, elle coordonne les activités de prise en charge médicale et psychosociale des malades du sida, dont elle a diagnostiqué le premier cas au Sénégal en 1986, ainsi que la formation des personnels de la santé et de l’action sociale en matériel de Mst/Sida. 
 
Pendant cette période, elle est également membre du comité directeur du Programme de lutte contre le paludisme du Sénégal (1994-1996) et membre de l’équipe-pays de l’Oms Sénégal (1993-1994).
 
 
Démise par Wade pour «défaut de militantisme»
En mai 2001, elle est appelée par le président Abdoulaye Wade pour occuper, pour la première fois, le poste de ministre de la Santé et de la Prévention. Très vite, les résultats suivent. Grâce à son action, de nombreuses réformes institutionnelles ont été réalisées dans les domaines de la santé, notamment la réforme hospitalière, le programme élargi de vaccination, la lutte contre le paludisme, le sida, les maladies non transmissibles, la santé des personnes du troisième âge, la motivation du personnel, la gestion financière, la contractualisation et les relations avec les partenaires. 
 
On lui reconnait ses mérites et la missionne pour partager son expérience. Elle garde, partout, son style et surtout ses distances. On ne lui colle pas d’étiquette politique. Awa Marie Coll Seck n’adhère à aucun parti et n’accepte pas de militer. Elle aime sa corporation et a fait le vœu sacro-saint de garder son indépendance. Ca passe mal !
 
Malgré la pression pour qu’elle rejoigne la grande prairie bleue (le Pds), le médecin refuse de se plier. Elle n’est pas un béni-oui-oui. Résultat : elle est démise de ses fonctions, en même tant que le général Mamadou Niang, alors ministre de l’Intérieur, non pas pour insuffisance de résultats, mais pour «défaut de militantisme».
 
Awa Marie Coll Seck s’en va et rejoue son combat humanitaire contre le paludisme, sans tambours ni trompettes. Neuf ans plus tard, elle est de retour. Depuis avril 2012, Awa Marie Coll Seck enfile à nouveau sa blouse blanche, au service du ministère de Santé et de l’action sociale.
 
En deux ans, beaucoup de premiers ministres et de ministres ont perdu leur maroquin, mais la ministre de la Santé reste solidement ancrée à son poste. Signe de la confiance que lui témoigne le chef de l’Etat, Macky Sall. Mais son vrai mérite, Awa Marie Coll Seck ne le doit qu’à son modèle. A son image : sobre et serein. Son sacerdoce, c’est de guérir les corps et soigner les esprits. Quoi de mieux ? Chapeau !
 
 
La santé, un grand corps malade
Toutefois, le combat gagné contre Ebola cache mal les maux du secteur de la santé au Sénégal. En dépit des efforts consentis par le ministère de la Santé pour améliorer leurs services, de nombreuses difficultés gangrènent le secteur. D’abord, la question des ressources humaines compétentes et en nombre suffisant dans les différentes spécialités s’est toujours posée dans le secteur de la santé. 
 
Aussi bien qu’en pédiatrie, gynécologie, neurologie, obstétrique, etc., le problème est le même à tous les niveaux. Et se pose avec acuité en milieu rural et dans la plupart des structures hospitalières régionales où il existe un réel déséquilibre quant à la politique de recrutement qui ne répond pas toujours aux besoins réels des structures et la répartition géographique du personnel. Les zones enclavées souffrent d’un déficit chronique de personnel.  
 
A cela s’ajoutent, la disponibilité de ressources humaines de qualité, des infrastructures, d’équipements adéquats et l’accessibilité des services de santé surtout en cas d’urgence du fait parfois des longues distances ou du refus de certaines structures de prendre en charge les patients qui se retrouvent ballotés d’hôpital en hôpital. Sans parler de l’accueil du personnel soignant longtemps décrié ou encore de l’accompagnement et l’alimentation qui font souvent défaut dans les services sanitaires.
 
Les différentes réformes mises en place pour faire décoller le secteur peinent à prendre forme, notamment en ce qui concerne la prise en charge des indigents, c'est-à-dire les malades qui sont dans l’impossibilité de payer le minimum de frais. Au Sénégal, la Loi n° 62-29 du 16 mars 1962 stipule que la prise en charge de l’hospitalisation des malades indigents incombe à l’État. 
 
Mais, bien souvent ces  personnes démunies se retrouvent face à « un mur d’exclusion » et ont du mal à accéder aux services sanitaires de base. Car,  la prise en charge des indigents occasionne des dettes que l’Etat met du temps à rembourser aux hôpitaux, qui n’acceptent plus les certificats d’indigence.
Toutefois, l’adoption de la couverture maladie universelle (Cmu) en 2013 semblait soulager les populations. La nouvelle politique sociale garantit l’accès gratuit à des soins de qualité aux enfants de 0 à 5 ans, la gratuité de la césarienne et l’application du plan sésame qui offre aux personnes du 3e âge l’accès aux soins. Sauf qu’elle présente beaucoup d’incongruités. 
 
La gratuité des accouchements ne concerne que les postes et les centres de santé, alors que la césarienne n’est prise en charge que dans les centres de santé à soins obstétricaux d’urgence et les hôpitaux, à l’exception de Dakar. 
 
Quant au plan sésame, du fait de l’absence de certains mécanismes de contrôle, bon nombre de retraités font fi de leur statut qui les couvre à près de 70% pour faire supporter entièrement les charges à l’Etat. Ce qui n’est pas sans conséquence dans les procédures de remboursement qui affectent les hôpitaux déjà touchés par de graves problèmes financiers. Des sentiers sur lesquels, on attend encore Awa Marie Coll Seck.
senvidéo
Adama Cisse