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Opinion

Délits de presse: La dépénalisation, un couteau à double tranchant Par Momar Seyni Ndiaye


Jeudi 12 Décembre 2013

Le débat sur la dépénalisation des délits de presse reprend du poil de la bête. Alors qu’on attendait le dossier sur les tablettes de l’Assemblée nationale, des députés apéristes ont levé un coin du voile sur leurs intentions : ils n’entendraient pas voter le projet de loi s’il comporte cette disposition dite dépénalisation des délits de presse qui écarte toute possibilité d’emprisonner un journaliste pour des délits commis dans l’exercice de ses fonctions.

Le Premier ministre, Aminata Touré, ne se fait pas prier pour déclarer sans ambages que l’article 80 sanctionnant les délits d’offense au chef de l’État, qui figure en bonne place dans le code pénale, ne serait pas abrogé. Grosse douche froide pour la presse sénégalaise ! Pour elle, il ne faisait l’ombre d’un doute que le chef de l’État donnerait comme il s’y était engagé, son imprimatur au vote de la loi, après quelques légères retouches de forme.

Dès son arrivée à la tête de l’État, le président Macky Sall a trouvé le dossier sur sa table. Ses proches se chargeaient jusqu’ici de rassurer les journalistes sénégalais sur l’imminence du vote du nouveau code dont l’enjeu se focalise sur cette disposition. La fronde des députés et les réserves du Premier ministre ne seraient donc pas fortuites. On peut prendre des risques en pensant qu’ils disent tout haut ce que le président pense tout bas. Le dernier mot lui revenant comme toujours.

Pour la presse, la déception est donc grande de voir infructueux, un combat mené depuis bientôt vingt ans. Les régimes de Diouf et Wade n’ont pas accrédité cette libéralité à la presse et à la démocratie. Les journalistes avaient toutes les raisons de croire que le régime de Macky Sall y accéderait de bonne grâce. Surtout que, l’actuel code, fruit d’un large consensus entre acteurs après plusieurs séances de concertations, donne une place centrale à cette disposition révolutionnaire dans une démocratie comme la nôtre.

Cette dépénalisation porte en fait la marque des démocraties majeures, un standard auquel, les Sénégalais aspirent d’arriver. S’il est prouvé que le président Macky Sall avait fait cette promesse de soumettre le dossier tel qu’il est, on comprendra difficilement que les députés de sa propre majorité aient décidé de ne pas le voter tel quel. Mais là, une fois n’est pas coutume, le président serait quitte avec sa conscience, laissant au nom de la séparation des pouvoirs, le parlement délibérer. A condition qu’il en soit ainsi en constance dans les rapports entre l’exécutif et le parlement. Ce qui n’est prouvé sous aucun régime, sous nos cieux.

Mais à l’expérience, il est rare que les députés de la majorité s’opposent à la volonté du président de la République. L’irrédentiste député qui s’était présenté contre Moustapha Niasse pour la conquête du perchoir a attiré les foudres du président, qui a aussitôt brandi le sabre de la décapitation. Le fera-t-il pareil à cette occasion si les députés mettent à exécution leur menace ? Rien n’est moins sûr !

Maturité professionnelle déficitaire

Ceci dit, la dépénalisation des délits de presse pose grosse question. Elle n’est pas aussi simple que les journalistes voudraient le laisser croire. La mesure est significative en termes de pratique démocratique et de liberté de presse. Mais, dans la réalité, elle requiert, une maturité et un professionnalisme qui ne semblent pas être la règle dans le métier de nombre de journalistes.

Trop de laxisme, trop de stigmatisation, trop d’insouciance et trop peu de respect aux élémentaires règles de déontologie, pour que cette disposition libérale soit la toile de fond de notre droit positif, en matière de presse. La dépénalisation des délits constitue le soubassement idéologique du système institutionnel démocratique et ne peut s’appliquer sans un niveau conséquent du sens des responsabilités des journalistes. Autrement, la presse de caniveau taillable et perméable à merci, manipulable à souhait aurait pignon sur rue dans notre paysage.

Protéger les institutions et les symboles

Elle agirait sans frais, mettant à nu la vie privée des citoyens, et s’attaquant à l’envi aux institutions, aux symboles de notre société. Le Premier ministre a raison de protéger l’institution qu’est le Chef de l’État. Mais aussi les autres institutions, selon le principe simple que l’on ne peut rire de tout, à tout moment et n’importe comment. Sans doute un argument sérieux contre la dépénalisation est-il d’ordre économique et devrait davantage interpeller les éditeurs et autres Directeurs de publication.

La dépénalisation des délits de presse ne peut avoir sa valeur que si elle est couplée à un plafonnement des sanctions économiques. Sinon, les juges, d’habitude si peu indulgents envers la presse, utiliseraient sans ménagement le levier de la sanction financière pour fermer l’organe dont le journaliste insouciant s’est laissé aller à des excès sans preuve.

Au nom de quelle logique devrait-on empêcher un journaliste imprudent d’aller en prison et laisser l’organe payer un lourd tribut pouvant aller jusqu’à sa fermeture ? Chaque métier à son risque et il faut que les journalistes sachent assumer le leur.

Dépénaliser, cela se mérite

Au nom de quel principe les journalistes devraient-ils bénéficier d’un véritable privilège de juridiction, parce qu’ils sont censés justifier d’un tel poids et d’une mission si capitale dans une démocratie dont ils ne respectent pas eux-mêmes l’esprit : la liberté dans la responsabilité.

Mais du point de vue strictement professionnel, la dépénalisation peut constituer un danger pour la presse, si elle ne s’accompagne pas du plafonnement des sanctions. Les patrons d’entreprise très regardants sur la trésorerie, pourraient lire à la loupe tous les articles et pratiquer la censure pour éviter de payer des lourds dommages susceptibles de conduire à l’arrêt des activités de l’organe.

Les journalistes, pour éviter d’être marginalisés et de humer souvent l’odeur des placards, seraient tentés de s’autocensurer. Dans les deux cas, ce sont des espaces de liberté qui sont supprimés, sans parler du désastreux climat social qui pourraient en découler.

Censure et autocensure

Il y a fort à faire dans la formation des journalistes au droit de l’information, au respect des institutions, de nos valeurs, de l’enfance, de la morale des armées et de la vie tout court, avant de mériter la dépénalisation des délits de presse. La presse ne constitue pas un corps entièrement à part qui peut se prévaloir de sa sensibilité et attenter à la vie des paisibles citoyens sans frais.

La dépénalisation des délits de presse est une aspiration légitime. Elle doit s’accompagner de la compréhension des juges qui sauraient faire la part des choses entre las actes de bonne ou de mauvaise foi. Mais aussi d’un sens aigu des responsabilités des journalistes respectueux de la présomption d’innocence et du principe de la neutralité, voire de l’équidistance.

Il faut comprendre que cette exigence démocratique est un devoir qui incombe à tous les acteurs du système. Et la justice en premier, en se débarrassant de son traitement sélectif qui consiste à brandir l’article 80 à des fins punitives contre les opposants au régime. Comme ce fut le cas avec Bara Gaye, embastillé pour des brouilles, alors qu’un jeune marabout, accusant le président d’être le coursier immobilier du chef d’entreprise Dangoté, n’est point inquiété.

Cette sélectivité décrédibilise la justice et met en péril nos institutions. A cause du sentiment d’iniquité et d’impunité qu’elle peut engendrer. Le débat sur la dépénalisation de la presse doit se poursuivre pour éviter qu’elle n’apparaisse aux yeux de l’opinion comme une licence faite aux journalistes pour troubler la sérénité des citoyens. Sans les préalables nécessaires, cette disposition, même votée, ne serait rien d’autre qu’une thérapie toxique qui réduirait insidieusement la liberté de presse. Et les journalistes obtiendraient alors l’exact contraire de ce qu’ils attendaient de cette disposition, véritable couteau à double tranchant.

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