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[ DOCUMENT ] - François Serres, l’avocat de Habré écrit à Macky Sall : « La justice sénégalaise ne peut enquêter sérieusement au Tchad »


Vendredi 25 Janvier 2013

« La justice sénégalaise ne peut enquêter sérieusement au Tchad. Chacun le sait » : telle est la conviction de François Serres, avocat de Hissène Habré, l’ancien chef de l’Etat tchadien jugé à Dakar en février prochain pour crimes de guerre et crime contre l’humanité. Dans une correspondance adressée à Macky Sall, l’avocat à la cour d’appel de Paris accuse le président sénégalais, son ministre de la Justice et le président tchadien Idriss Déby, l’Union Africaine, bref, tous les acteurs impliqués dans le procès de Habré.


[ DOCUMENT ] - François Serres, l’avocat de Habré écrit à Macky Sall : « La justice sénégalaise ne peut enquêter sérieusement au Tchad »

« J’accuse le système judiciaire qui se met en place de faire du président Déby l’enquêteur en chef de ce procès, celui qui en déterminera en définitive le champ des poursuites, celui qui en financera les juges », a-t-il protesté dans sa lettre datée du 22 janvier 2013. A l’endroit de Macky Sall, dira-t-il, « demain, vous allez apposer votre signature prétendument au nom de l’Afrique, au bas d’un texte scélérat qui ratifie l’accord signé entre la République du Sénégal et l’Union Africaine et qui n’a d’autre objet que d’organiser les conditions de la condamnation écrite à l’avance du président Hissène Habré (…) ». 

François Serres accuse la Garde des sceaux sénégalais, Aminata Touré d’avoir mis en œuvre « un processus dont la constitutionnalité est aujourd’hui contestée par même par le Président de la Cour suprême du Sénégal ». 

Seneweb News vous livre une copie de l'intégralité du contenu de cette lettre ouverte au Président Sall.

 

CABINET FRANCOIS SERRES

 

29 bis, rue Chardon Lagache

75016 PARIS

 

 

Paris, mardi 22 janvier 2013

 

Monsieur le Président,

Demain vous allez apposer votre signature, prétendument au nom de l’Afrique, au bas 

d’un texte scélérat qui ratifie l’accord signé entre la République du Sénégal et l’Union 

Africaine et qui n’a d’autre objet que d’organiser les conditions de la condamnation 

écrite à l’avance du Président Hissein Habré.

Paraphrasant Aimé Césaire, je pourrais vous dire « bien entendu, nous ne sommes 

qu’un fétu de paille dans cet océan déchaîné, mais Messieurs, tout n’est pas pour autant 

perdu,  il n’y a qu’à tâcher de gagner le centre de la tempête »….

J’ai donc décidé en pensant à Césaire de vous écrire et de répondre à ceux qui 

prétendent juger le Président Habré au nom de l’Afrique, pour l’Afrique, en terre 

africaine et par des juges africains.

Le procès annoncé ne sera pas indolore pour l’Histoire de ce Continent et vous en êtes 

aujourd’hui l’acteur principal devant le peuple sénégalais et la conscience africaine.

Hier, Idriss Deby déposait le Président Habré au terme d’un Coup d’Etat, avec l’appui 

militaire de puissances étrangères, la Lybie de Kadhafi, la France de Mitterrand, et le 

Soudan d’Al-Béchir, aujourd’hui toujours à l’affût dans cette zone stratégique. Qui a 

demandé de le juger ? Qui au sein de l’UA l’a condamné ? Est-il rétroactivement 

coupable d’un crime contre la Constitution tchadienne ?

 

Hier encore,  le Président Idriss Deby, n°2 du régime Habré, responsable des services de 

sécurité et de défense, mettait en place une Commission d’enquête fantoche à l’effet de 

monter de toutes pièces des accusations contre le Président Habré et obtenait du 

Parlement tchadien le vote de son immunité et de tous ceux qui lui étaient proches sous

l’ancien régime défait. Cette « collection » de pièces forgées dans cette perspective est 

elle pour autant authentique, crédible ? C’est la base de l’accusation formée à l’encontre 

de mon client, laissée depuis à la disposition d’ONG, hors de tout contrôle judiciaire, en 

violation de tous les principes qui marquent le sceau d’un procès équitable.

Dans cette construction totalement factice d’un point de vue historique, il n’y aurait 

qu’un ancien Chef d’Etat face à des plaignants, l’Etat tchadien et toutes ses composantes 

ayant disparu, volatilisé, sans aucune possibilité de rétablir une quelconque vérité 

historique, politique ou judiciaire d’un pays confronté à l’époque à une guerre civile et 

internationale.

Faut-il juger les crimes commis par les Libyens  dans la partie du Tchad contrôlée 

jusqu’en 1987 ? Faut-il juger ceux qui pour le compte d’autres factions politiques, au 

Sud, au Centre ou à l’Est, en prise avec le régime auraient commis, lors d’actions 

militaires, des crimes contre des civils ; Faut-il juger Idriss Deby pour ces prétendus 

crimes dont il accuse aujourd’hui le Président Habré s’il était démontré qu’il en a été le 

seul responsable ? 

Faut-il enfin l’attraire devant la juridiction sénégalaise comme pourrait le recommander 

les principes d’un procès équitable et le faire arrêter en territoire sénégalais sur la base 

de l’article 10 du statut de ces chambres africaines ?  

La justice sénégalaise ne peut enquêter sérieusement au Tchad ; chacun le sait ! J’accuse 

le système judiciaire qui se met en place de faire du Président Deby l’enquêteur en chef 

de ce procès, celui qui en déterminera en définitive le champ des poursuites, celui qui en 

financera les juges…Est-ce cela que commande la conscience africaine ? Est-ce cette 

construction infamante qui sera le marqueur du premier acte fondateur de la justice 

africaine ? Qui seraient ces juges qui cautionneraient une telle entreprise ? Se 

rappellent-ils seulement le serment qu’ils ont prêté ?

Hier enfin, l’Union Africaine, en violation du Traité de l’Union et du principe de 

séparation des pouvoirs, à la demande de votre prédécesseur, donnait mandat 

(aujourd’hui critiqué même par le Président honoraire de la Cour suprême du Sénégal) 

au Sénégal pour juger le Président Habré, que les juridictions de votre pays avaient 

pourtant déjà jugé, initiant un processus invraisemblable qui a conduit le Sénégal à 

modifier son Code pénal, son Code de procédure pénale, son Code de l’organisation 

judiciaire, et même sa Constitution pour rejuger un seul homme, humiliant par là même, 

comme je l’ai entendu dire, l’ensemble de la magistrature sénégalaise et sa Cour 

suprême ! 

 

 

J’accuse l’Union Africaine de cette complaisance qui la conduit aujourd’hui, au-delà de 

la protection accordée à certains Chefs d’Etat, en violation des principes arrêtés par la 

Communauté des Nations civilisées, à ne pas mettre en œuvre le projet de Cour pénale 

continentale, projet qui incrimine les auteurs de Coups d’Etat, les Chefs d’Etat 

coupables de corruption et ceux qui violent les droits de l’homme et qui ne pourraient 

exciper de leur qualité pour se défendre ; nul tribunal permanent, nul tribunal ad hoc 

n’a été mis en place à ce jour en dépit du concert de critiques entendu contre la CPI ; 

encore moins celui préconisé par les experts de l’Union Africaine convoqués dans 

l’affaire Habré. Le Président Deby pouvait il voter pour la création d’un tribunal 

international ad hoc ayant pour objet d’enquêter sur les éventuels crimes commis au 

Tchad ?

J’accuse le Gouvernement sénégalais comme le Royaume de Belgique dont chacun 

reconnaît qu’il peut « s’honorer » d’un parcours héroïque en Afrique au point 

d’attendre l’année 1999 pour signer la Convention des Nations Unies contre la torture 

d’avoir manipulé le Comité des Nations Unies contre la torture et la Cour Internationale 

de Justice, bien  sûr lors d’audiences tenues en l’absence du Président Hissein Habré ou 

de sa défense qui auraient pu faire valoir les droits acquis soit devant vos juridictions ou 

devant la Cour de la CEDEAO dans le seul but de contourner les conséquences 

juridiques de ces décisions. 

La Cour Internationale de Justice n’a pourtant pas manqué de rejeter la demande 

d’extradition de mon client vers la Belgique, l’un des juges de cette Cour mentionnant 

par ailleurs dans une opinion jointe à l’arrêt l’irrégularité totale de l’ensemble des 

demandes d’extradition formées par la Belgique, faisant suite à des actions de 

« citoyens » tchadiens, devenus belges fort opportunément postérieurement aux faits 

allégués, pour le plus grand intérêt de ces ONG dont l’action au Sénégal avait été 

déclaré nulle.

 

J’accuse, Monsieur le Président, votre Ministre de la Justice, qui pour des motifs de 

pure opportunité politique interne sénégalaise, ne respecte pas la décision de la Cour de 

la CEDEAO, violant ainsi l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des 

Peuples, décision qui avait pourtant disqualifié le système judiciaire sénégalais en 

condamnant ses réformes pénales et constitutionnelles. 

Je l’accuse d’avoir mis en œuvre un processus dont la constitutionnalité est aujourd’hui 

contestée même par le Président honoraire de la Cour suprême du Sénégal. 

Croyez-vous qu’en saupoudrant quelques juges africains au sein de ces chambres 

africaines (au niveau de la seule juridiction de jugement d’ailleurs), en prétendant avec 

4 milliards de francs CFA (dont pas un franc pour la défense) juger l’ensemble des 

crimes graves (qui peut la croire ?) commis au Tchad pendant la période 82/90, qu’ il 

sera permis de tromper la Cour de la CEDEAO qui à l’évidence n’y verrait qu’un 

procès dont on aurait par avance désigné le coupable ? Le Sénégal respectera-t-il ses 

engagements communautaires ? Est-il toujours attaché à son lien fondamental avec 

l’espace judiciaire de la CEDEAO ?

 

 

J’accuse par ailleurs votre Ministre de la Justice, qui a signé sans qualité (tout comme 

d’ailleurs le prétendu représentant du Président de la Commission Africaine) un accord 

antidaté (la version distribuée immédiatement après le 22 août, n’étant pas la même que 

celle qui porte sa signature), portant création des chambres africaines, d’avoir mis en 

place un système qui la conduit à nommer ou à proposer à la nomination chaque 

administrateur, chaque magistrat, qu’il soit juge ou membre du parquet, de ces 

chambres, violant ainsi les principes d’organisation judiciaire, de séparation des 

pouvoirs et d’indépendance de la justice et dont il ne peut résulter que l’infamie d’une 

condamnation écrite d’avance.

Monsieur le Président, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples est le 

cœur de la Constitution de la République que le peuple sénégalais vous a fait l’honneur 

de présider ; chaque démarche entreprise depuis l’année 2001 par les gouvernements 

successifs de la République du Sénégal s’inscrit en faux contre les principes qu’elle 

affirme.

Qui peut croire que le système qui conduit à construire en amont avec l’aide du 

gouvernement tchadien, d’ONG qui semblent avoir oublié l’essence de leur mission, et 

d’un comité administratif composé de fonctionnaires sénégalais, pour un  coupable 

désigné à l’avance disais-je, un faisceau de preuves concoctées pour la galerie, laissant la 

défense sans moyens, sans ressources, sans possibilité d’attraire ses témoins ou ses 

accusateurs, peut répondre aux exigences de la « judiciarisation » des poursuites, de 

l’égalité des armes et des moyens et des règles du procès équitable ?   

Qui peut croire enfin, au nom de l’Afrique et devant l’Histoire, que le peuple sénégalais 

puisse se satisfaire de cette mascarade judiciaire et que l’on puisse dire demain que ses 

frères du Tchad ne méritent pas que justice leur soit rendue, ceux qui depuis vingt ans 

sont soumis aux pires exactions, telles que constatées dans les rapports de ces mêmes 

ONG qui se battent pour le procès du Président Habré et dont nul, et en tout cas pas 

votre Ministre de la Justice, ne se soucierait d’en poursuivre les auteurs ?  De quelle 

Equité parlons-nous ici ?

Pourquoi n’entendons nous pas votre Ministre de la Justice et le porte parole d’Human 

Rights Watch qui travaillent dans un concert, qui augure mal du respect des principes 

d’indépendance de votre justice, à la mise en œuvre de ce procès, condamner le régime 

du Président Deby et demander à ce que la CPI soit saisie des crimes qui sont commis 

sur le territoire tchadien ? 

Quel est le prix du silence de ce porte parole vis-à-vis du régime tchadien qui considère 

que les Tchadiens seraient plus libres aujourd’hui qu’hier ? La possibilité d’avoir accès 

aux pièces fournies par le président Deby ?

De quoi est-il question ici en définitive ? De siéger demain à la  Conférence des Chefs 

d’Etat à côté de celui qui aura fait condamner par le Sénégal  le Chef d’Etat qui aura 

bouté les Libyens hors du Tchad, reconquis son territoire national au prix du sang versé 

par les patriotes tchadiens et fait libérer la bande d’Aouzou dont il se dit à Dakar que 

son prix de vente se retrouverait dans des constructions autour de la bien nommée Place 

de l’indépendance ? 

 

 

Juger, au nom de l’Afrique, pour l’Afrique, par des juges africains ; m’autorisez vous 

Monsieur le Président, premier magistrat de ce grand pays, à vous rappeler, avec toute 

la modestie qui sied à ma position, en tant que citoyen d’une République qui doit tant à

cet immense et illustre prédécesseur, « d'avoir le souci de votre juste gloire et de vous 

dire que votre étoile, si heureuse jusqu'ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus 

ineffaçable des taches…..un épouvantable déni de justice dont le Sénégal sera malade » ?

 

François SERRES

Avocat à la Cour d’appel de Paris      




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