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Société

Contribution: Entre l’enclume des femmes et le marteau-pilon de Touba (Par Babacar Justin Ndiaye)


Mercredi 14 Mai 2014

La liste non paritaire de Touba n’est pas un défi spontané à la loi. Bien au contraire. Elle est la résultante de la posture historiquement équivoque du personnel politique, très républicain dans le discours, mais clairement calculateur dans les faits et gestes. Avant et après l’indépendance, les ambitions politiques et les foyers religieux ont scellé un partenariat semblable à l’inévitable accouplement entre une fusée et une rampe de lancement. Au point que certaines crises nationales ont connu des dénouements sur la base d’un rapport de forces que des confréries ont rendu décisif. Cas du choc Dia-Senghor de décembre 1962. Même la victoire du « OUI » au référendum de 1958 – malgré la forêt des pancartes et le mot d’ordre du congrès de Cotonou de la même année – garde un lien avec la posture des marabouts. (Lire les mémoires du Gouverneur général Pierre Messmer).

Au début des années 90, le Président Abdou Diouf fit montre d’une générosité politiquement suspecte en octroyant le gros de la forêt classée de Khelcom-Mbégué au Vénéré Sérigne Saliou Mbacké ; nonobstant les cris d’orfraie des défenseurs et des ONG bailleurs de l’environnement. Car cette immense brousse – sauvegardée dès 1933 par une loi coloniale – représente l’ultime rempart contre l’avancée du désert en direction du dernier bastion vert que forme la Casamance. Très bien mise en valeur par la communauté mouride, Khelcom est, aujourd’hui, un appréciable grenier au centre du pays. Déclassée et démolie, la forêt de Khelcom est aussi un boulevard ouvert à la « sahélisation » galopante des régions de Sédhiou et de Ziguinchor.

Autant de repères qui ont fait le lit de l’émergence puis de la fortification de l’influence confrérique dans la sphère politique. Et, par ricochet, dans la vie citoyenne. Donc, rien de totalement nouveau sous le ciel électoral ! La République s’est, jusque-là, accommodée de la collusion douillette entre le temporel et le spirituel. En 2011, Abdoulaye Wade a mis du sable dans les rouages de la collusion rodée, en portant la parité absolue sur les fonts baptismaux. Une loi – parfaitement séduisante et totalement aberrante – que les Sénégalaises (électrices majoritaires et perpétuellement mobilisées) portent fiévreusement au pinacle. Et défendent rageusement. Du coup, les jalons de la collision et de toutes les collisions (heurts directs) sont posés. Ce qui était une des articulations du Plan de succession plus ou moins dynastique de Wade (avec la vice-présidence et le quart bloquant) est désormais un casse-tête propre à casser un pan de nos institutions.

L’équation que pose de la liste non paritaire de Touba est coriace. Il va sans dire que la parité absolue de Maitre Wade n’est pas un approfondissement de la démocratie. Là où la Constitution consacre l’égalité des citoyens, il est spécieux, dangereux et anticonstitutionnel de promouvoir les compétences en fonction du sexe. Le jour où les femmes compétentes seront plus nombreuses que les hommes, faudra-t-il alors opérer une parité à l’envers ? En vérité, le Sénégal s’est installé dans la « sexocratie », c’est-à-dire une démocratie fondée sur le sexe. Avec les conséquences fâcheuses que voici : des députés (es) forcément investies et élues mais incapables de contrôler l’action gouvernementale. Où est la performance démocratique ?

Mais cette parité absolue ou bêtise absolue est farouchement défendue par des Jeanne d’Arc et autres égéries très attachées au genre. Des cellules de féministes qui aiguillonnent et manœuvrent le redoutable électorat féminin. Au point de tétaniser les chefs de partis qui n’osent ni critiquer ni abroger cette parité potentiellement attentatoire au fonctionnement régulier des institutions de la République. Aucun politicien, y compris le chef de l’Etat Macky Sall, n’est prêt pour le suicide électoral qu’implique un bras de fer avec les femmes. Pourtant, tout ce qu’une majorité parlementaire fait, une autre peut le défaire. Manifestement les députés de la majorité et leur Président Moustapha Diakhaté sont plus audacieux dans les déclarations fracassantes sur la dépénalisation du délit de presse que dans un débat ouvert et/ou vif autour de la liste non paritaire de Touba. Personne ne veut s’approcher de l’enclume des femmes et du marteau-pilon de Touba.

Le déficit de courage vis-à-vis des électrices devient plus patent au regard de la réalité qui prévaut à Touba. Les dernières initiatives en font foi. Dans cette affaire de liste non conforme à la parité, le ministre de l’Intérieur (cheville ouvrière des élections) est aussi concerné que le Président de la CENA en charge du contrôle. Toutefois, c’est la CENA qui est allée au charbon. Et de quelle manière ? Le Président Doudou Ndir a désigné Amsata Sall (ancien directeur de la Sureté nationale et petit-fils du Vénéré fondateur du mouridisme) pour cette délicate mission. Bref la CENA a bougé sans succès ; tandis que l’Etat a dormi comme une marmotte.

L’affaire est évidemment épineuse sous plusieurs de ses facettes. Les lois au nom desquelles les prisons regorgent de détenus, sont faites pour être respectées. Valider une liste non paritaire, c’est simultanément consacrer une infirmité de la loi et décrédibiliser le scrutin. Invalider, c’est une défiance de portée imprévisible qui ne modifiera pas d’un iota la gouvernance de Touba. Une ville qui est et reste sous la tutelle du Vénéré Khalife. Enfin, convoquer le statut spécial, c’est se tromper dangereusement de réponse. Touba a toujours été une ville spéciale. Pourquoi officialiser ou donner une teinte institutionnelle à une évidence vécue, jusque-là, sans problème ? En croquant un piment au cours d’un repas, tout convive constate qu’il a affaire à un aliment de nature suffisamment piquante. Touba est indiscutablement une ville spéciale.

Attention au statut spécial qui est un danger baladeur ! Comment accorder gracieusement un statut spécial à une ville et le refuser à une région qui se bat depuis trente ans (la Casamance) pour un statut analogue ? Evitons l’effet de dominos dans un contexte sous-régional où l’idée d’un statut spécial pour Kidal, hypothèque l’unité du Mali voisin

DAKARACTU





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