ABDOU DIOUF SE RACONTE: "QUAND KADHAFI VoulaiT KIDNAPPER YACINE, ma fille cadette, alors âgée de 16 ans"

Lundi 17 Novembre 2014

Sud quotidien publie les Bonnes feuilles (1) de : "Abdou DIOUF. Mémoires", un ouvrage important qui dévoile un pan de l'histoire contemporaine du Sénégal. On y découvre en filigrane les différentes facettes de Senghor, les péripéties ayant conduit à la rupture Diouf Collin, l'histoire extraordinaire d'une tentative de kidnapping de la fille cadette de Diouf orchestrée par Khadaffi. Extrait

" Pour en revenir à Kadhafi, me revient en mémoire une péripétie qui m’avait fort embarrassé, et dont je souris aujourd’hui en rédigeant ces lignes. Cette anecdote est révélatrice de la complexité du personnage. Au cours de sa visite officielle au Sénégal, nous eûmes quelques moments d’intimité avec nos familles respectives. Il eut l’occasion de faire la connaissance de tous mes enfants dans une ambiance conviviale et chaleureuse. Au terme de son séjour, il rentra à Tripoli avec un autre regard sur ce Sénégal qui l’intriguait tant avant qu’il eût l’occasion de fouler son sol. Quelque temps après, quelle ne fut ma surprise lorsqu’il dépêcha auprès de moi une délégation porteuse d’un message des plus surprenants: il demandait la main de Yacine, ma fille cadette, alors âgée de 16 ans. J’aurais pris ce message pour une blague de mauvais goût, n’eût été la respectabilité que j’accordais à cette délégation. Tout naturellement et sans trop m’attarder sur la question, je répondis négativement à cette surprenante demande. Peu de temps après, Kadhafi revint à la charge en envoyant à nouveau une autre délégation. Je reçus ses émissaires qui me transmirent le message de leur mandataire. Pour couper court, j’opposai à nouveau un refus, cette fois-ci plus catégorique, avec une pointe d’agacement bien perceptible.

Entre-temps Yacine obtint son baccalauréat et s’inscrivit dans une université américaine, à Washington, où elle rejoignit ses deux frères.
Alors que je pensai cette affaire définitivement close, elle rebondit quelque temps après en prenant une nouvelle tournure. Kadhafi était tenace et n’aimait pas qu’on dise non à ses caprices. Pour obtenir gain de cause, il fit appel à une dame d’origine moyen-orientale que je connaissais bien et qui était aussi une connaissance de Cheikh Hamidou Kane, mon aîné à l’ENFOM, lequel était aussi, au moment de ‘cette affaire, mon ministre du Plan et de la Coopération. Les deux premières tentatives ayant été infructueuses, Kadhafi décida de passer à la vitesse supérieure en utilisant un autre moyen qu’il exposa à cette dame qui faisait beaucoup d’affaires avec la Libye. Devant le refus cette dernière, il gela toutes ses affaires et la contraignit à rester sur place avec interdiction de quitter le territoire. Pour se tirer d’affaire et surtout sortir du pays, la dame accepta d’exécuter le plan: organiser l’enlèvement de ma fille pour ensuite la conduire en Libye où Kadhafi se chargerait de la convaincre d’accepter le mariage.

Par amitié pour moi, elle me fit alors la confidence du projet dont elle était chargée. Je pris la menace très au sérieux, car elle venait d’un homme dont le monde entier savait de quoi il était capable. Je me dis que ce projet n’était rien à côté de ce que l’on savait déjà de lui, et qui l’avait mis un moment au ban de la société mondiale.

Puisque ma fille séjournait aux États-Unis pour ses études, c‘est tout naturellement que je me tournai vers les hautes autorités de ce pays pour leur demander d’assurer sa sécurité. Elles le firent de façon efficace et très discrète. Aujourd’hui encore, en relatant cette histoire; je ne peux m’empêcher de penser à la désapprobation que les Américains avaient exprimée lorsque le Sénégal, qui est un pays ami, avait décidé d’accueillir ce troublant chef d’État, avec lequel nous avions cependant des relations. Et le cocasse dans cette histoire est dans le fait que ce sont eux qui m’ont aidé à éviter le pire.

SUDQUOTIDIEN


Abdoul Aziz Diop