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Culture

Wasis DIOP, chanteur et compositeur: "Je ne veux pas qu'on m'associe à mon frère Mambetty... "


Lundi 24 Mars 2014

Abdoul Aziz Diop, Wasis de son nom de scène, est une icône de la musique mondiale qui est retournée sur ses pas. Le frangin de feu Djibril Diop Mambetty a décidé de sortir un album regroupant toutes les musiques de films qu’il a composées. A l’occasion de son point de presse annonçant la soirée de Gala de la Francophonie, il a bien voulu répondre à nos questions. Le chanteur atypique, qui refuse de jouer à la star, nous a une nouvelle fois servi des réponses déroutantes mais avec sa disponibilité et sa bonhommie légendaires.

Le Témoin - Parlez nous des raisons de votre séjour actuel à Dakar, qu’y faites-vous ?

Wasis DIOP - Il faut savoir que je ne suis pas un artiste étranger à Dakar. Je vis un peu à l’étranger mais je suis très présent ici. J’ai profité positivement de l‘invitation de l’Institut Français pour venir rencontrer à nouveau des gens d’ici et me ressourcer. Cela fait longtemps que je ne me suis pas produit à Dakar et je n’ai pas hésité quand on m’a proposé de le faire. J’ai alors suggéré ce nouveau concept de ciné-concert.

Comme je suis un peu happé par le cinéma, d’ailleurs je viens de là, je veux désormais faire des concerts dont la première partie sera consacrée à la projection d’un film. C’est ainsi que jeudi prochain (l’entretien a eu lieu le mardi 18 mars 2014, Ndlr), le film titré "La Galerie Nationale" que j’ai réalisé sera projeté avant le début du spectacle musical. Je ne dirai rien de ce documentaire qui, pour moi, est un excellent film puisque je l’ai réalisé moi-même ! (Rires)

Vous jouez pour la Francophonie mais, malgré tout, vous arrivez à préserver la richesse de la langue wolof dans vos chansons. Comment faites-vous pour réaliser cet équilibre ?

Je crois que j’y arrive plus par devoir bien que je n’aime pas trop user de ce terme qui est un peu lourd. Je le fais aussi par conviction. On ne doit jamais oublier ses origines et il faut savoir que cette notion de venir de quelque part a une grande signification pour moi. On ne doit jamais oublier ses origines. Finalement, comme le disait si bien Senghor dans sa fameuse formule relative à la notion du "Donner et du Recevoir", il faut bien savoir ce que nous pouvons apporter au monde. Je suis très fier de la culture du Sénégal en général, pas seulement de la culture wolof.

C’est tellement important que je pense que je ne peux pas vivre avec l’idée que nous n’avons rien à apporter au monde. Nos parents nous ont apporté tellement de choses que nous avons le devoir de les partager. Cela ne fait pas de moi un gardien de musée. Je suis très avant-gardiste et je vais vers le futur avec tous les éléments d’une civilisation sénégalaise et, au-delà, africaine. Souvent, dans mes concerts, je prononce une phrase que l’on applaudit souvent mais j’y crois fermement.

Cette phrase c’est "J’espère qu’un jour l’Afrique arrivera à sauver le monde". Vous voyez à quel point je pense que l’Afrique peut être importante pour le monde ! Nous sommes, ici, dans le berceau de l’humanité et il faut y croire. Cheikh Anta Diop disait que seuls les Africains croient qu’ils sont sous-développés et qu’ils seront les derniers à croire que nous pouvons apporter quelque chose à l’humanité. Nous sommes loin d’être sous-développés.

Je crois que c’est quelque chose de très important que de cultiver cette langue afin de pouvoir la transmettre. Je suis convaincu qu’il ne suffit pas de comprendre une langue pour écouter une musique. Car si ce sont les oreilles qui écoutent, c’est bien le cœur qui entend. Voyez cette belle expression qui est typiquement sénégalaise ! Ici, c’est la terre des grands philosophes. Nous utilisons des langues riches qui usent et abusent de belles métaphores. Je suis donc très fier d’appartenir à cette culture et d’être dépositaire de cette belle langue et je vous assure que ce n’est pas de la prétention.

Vous disiez tantôt que vous êtes de plus en plus happé par le cinéma. Êtes-vous en train de marcher sur les traces de votre grand-frère (Ndlr, le défunt réalisateur Djibril Diop Mambetty) et peut-on s’attendre à vous voir réaliser un long-métrage ? D’autre part, quand allez vous sortir votre prochain album ?

Pour répondre à votre seconde question, je vous annonce que mon prochain disque va sortir dans deux mois. C’est un album qui est différent des autres parce que j’ai voulu mettre sur un disque l’ensemble de mes compositions écrites pour le cinéma. Evidemment, il y a des chansons inédites et je crois qu’il y en a cinq ou six. C’est un joli album et je pense qu’il vous plaira. Les gens ont envie d’écouter de la musique et de belles mélodies et d’entendre de nouvelles histoires. Pour ce qui est de mon frère, j’ai toujours marché sur ses traces.

En réalité, nous avons toujours tracé et marché ensemble. Je n’ai jamais été un suiveur de mon frère. Je l’ai accompagné en étant à ses cotés car les frères marchent ensemble, ils se fâchent ensemble et se battent souvent. Il faut savoir que j’ai commencé par l’image. On ne refait pas Djibril. C’est pour cela que je dis que je ne suis pas un cinéaste. Mon frère était un artiste au vrai sens du terme. Je n’ai pas la prétention d’être son héritier car je n’en suis même pas capable.

Je n’ai pas la même vision cinématographique que mon frère. Je fais ce que j’ai à faire et il peut arriver qu’il y ait des connexions car nous sommes des frères. Forcément, il ma influencé surtout sur le plan philosophique. Il m’a ouvert beaucoup de voies car il lisait beaucoup. Je réalise un de ses rêves en faisant des films comme on ferait des reportages photographiques. Je promène mon objectif pour témoigner et montrer des choses qui me tiennent à cœur. Je ne veux pas qu’on m’associe à mon frère car nous sommes deux entités.

D’ou vous vient cette constante inspiration et quel regard portez vous sur la musique sénégalaise actuelle ?

La seule constance reste le Sénégal. Nous vivons dans un univers d’une extrême richesse. Etre né sur cette terre est une bonne fortune. C’est d’ailleurs ce que je véhicule dans mon dernier album "Judu Bek" (Naître de bonne humeur, Ndlr). Le terme sous-développé est un vocable qui nous est inconnu car nos ancêtres nous ont légué des richesses extraordinaires. Le problème se situe au niveau de la perte des repères. Cela crée forcement un malaise et on se tourne vers des choses superficielles. Il faut comprendre son environnement. Je crois que nous sommes riches et que nous pouvons aller à la conquête du monde.

Je parle de valeurs essentielles et non pas de religion. Je refuse de juger les autres. Sur le plan musical, ce qui se passe actuellement au Sénégal sera très enrichissant pour le monde de demain. C’est pourquoi je n’aime pas juger les autres. Le Mbalakh récurrent est très fort car nous avons des musiciens très talentueux. Avec ce temps qui nous sépare des précurseurs comme feu Abdoulaye Mboup du "Baobab", il faut relativiser et approuver positivement cette forte émulation et cette créativité phénoménale.

Il y a aussi Youssou Ndour qui fait maintenant de la politique mais il a balisé la voie. Je n’oublie pas Carlou D qui a un talent fou. C’est donc quelque chose qui est en mouvement et de cela naitra un jour un formidable challenge qui ne peut être que bénéfique pour notre musique. En résumé, c’est un jugement très positif que je porte sur cette musique sénégalaise.

Parlez-nous un peu de cet attrait actuel qu’exercent sur vous l’image et le cinéma et, surtout, de vos influences musicales…

J’étais photographe. D’ailleurs, j’étais parti en France pour apprendre la photo à l’ISEC. J’ai même fait des stages et j‘ai aussi travaillé dans une grande agence de photo. J’ai donc commencé par la photo avant d’être happé définitivement par la musique. La musique m’a été transmise par les griots de mon quartier Colobane mais aussi par les "Kassaks" et autres événements nocturnes. C’est tout cela qui constitue mon école.

Il y a aussi cette incursion dans le sacré avec ces grandes prêtresses que sont Mame Mbissine Pouye et Adja Fatou Diouf. L’art est la voie et il faut y croire et vivre la musique intensément. C’est ce que j’essaye de faire. J’y trouve cette grande émotion car en Afrique la musique n’est pas que festive. Elle délivre toujours un message et elle n’est pas coupée de la vie. L’Art en Afrique est une composante de la vie.

On a grandi dedans et cela nous a beaucoup apporté. Franchement, on n’a aucun mérite car nos anciens nous ont bien déblayé le terrain. Il y a tellement de choses cachées en Afrique et il faut essayer de les mettre en valeur.

Vous faites beaucoup de musiques de films, peut-on s’attendre à retrouver le Wasis chanteur de tous les instants ?

Il faut savoir que la culture ne se limite pas à la peinture et à la sculpture. La langue est profondément ancrée dans la culture. A ce propos, je vais vous raconter une anecdote. Une fois, je voyageais par feue notre compagnie Air Sénégal International. Et en présentant notre pays, ils ont commis une bourde. A la fin du document, j’ai remarqué qu’ils avaient mentionné le terme "Assalamou aleikoum" pour dire bonjour. J’étais choqué parce que personne ne pourra enlever au Français son bonjour ou à l’Américain son How Are You.

C’est pour dire qu’il ne faut pas confondre religion et langue. Mon père était imam et j’ai eu des souvenirs pénibles avec l’apprentissage du Coran. Avec le temps, j’ai compris que c’est une bonne démarche car nos parents ont voulu nous léguer quelque chose. J’étais donc choqué parce que chez nous la manière de saluer est si belle et si poétique. Car dans le terme "Mba diame ngua ame" (as-tu la paix ? Ndlr), on parle de paix.

Avant l’islamisation, nous avions de belles langues. Et dans un pays laïc on ne peut pas dire "Assalamou aleikoum" car il y a des animistes et des chrétiens. J‘ai protesté en écrivant une lettre au directeur de la compagnie pour me plaindre et évidemment je n’ai jamais reçu de réponse. Ce qui est dommage.

Pouvez-vous nous expliquer la différence entre écrire une chanson et composer une musique de film ?

Je pense que, dans la vie, on est toujours accompagné par des musiques différentes. Elles nous suivent dans nos vies. La difficulté d’écrire une musique de film c’est d’écrire sur une histoire qui n’est pas la nôtre. On s’approprie des émotions qui ne sont pas les nôtres. C’est cette difficulté qui fait tout son charme.

Avez-vous déserté le champ musical alors ?

Je vais là ou on m’amène. C’est pourquoi, je suis de moins en moins présent sur le champ musical. La création est très complexe. C’est le renouvellement de ce que nous sommes. J’ai toujours envie de changer. Pour moi, le cinéma c’est quelque chose d’aussi naturel que la musique. J’ai commencé par la photo, je peux démonter un objectif. J’ai su apprendre à maitriser des termes et notions de lumière, les diaphragmes, les plans etc.

Ce sont de choses que j’ai apprises. J’ai fait des reportages sur des combats de lutte pour le compte du quotidien "Le Soleil." Il faut donc sortir de ce que l’on fait pour se réaliser. J’aime faire beaucoup de choses. Ce n’est pas de la prétention mais certainement de l’avidité.

Wasis détonne par la profondeur de sa pensée. Avez-vous des projets musicaux pour votre pays ?

Pour répondre sincèrement à votre question, je dirai que je n’ai pas de projets parce que je ne les aime pas. Je suis toujours sur de nouvelles choses. Je ne prépare rien car ce sont les articulations pour des choses qui me poussent. Pour moi, un projet c’est une immixtion dans le futur et cela me rebute. Les idées sont faites pour être réalisées. Je suis très attaché à l’Afrique et cela m’inspire beaucoup.

Mon père et ma mère n’ont jamais eu de projets et je ne vois pas pourquoi j’en aurais. Pour moi, la chose la plus importante est le Présent. Les projets nous plongent dans le futur, or on a vraiment beaucoup de choses à faire tous les jours.

Témoin





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