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Société

TRAITEMENT INÉGAL ENTRE FORCES DE L’ORDRE ET CIVILS: LA BALANCE DÉSÉQUILIBRÉE DE LA JUSTICE


Mardi 10 Février 2015

Le procès ainsi que le verdict sur l’affaire des jeunes de Colobane vient confirmer ce qui n’était plus un secret. Entre les forces de l’ordre et les civils, la justice sénégalaise fonctionne à double vitesse. La balance censée être équilibrée s’est clairement penchée du côté des hommes en tenue.

la troisième session de la Cour d’assises 2014 a rendu son verdict vendredi dernier sur l’affaire de l’auxiliaire de police Fodé Ndiaye tué à Colobane, lors de manifestations préélectorales contre la candidature d’Abdoulaye Wade pour un troisième mandat. Les juges ont eu la main particulièrement lourde, puisque deux des accusés à savoir Cheikh Sidaty Mané et Cheikh Diop respectivement surnommés Gattuso et Chris ont écopé de 20 ans de travaux forcés. Seul Cheikh Cissé dit "Délé" a été acquitté.

La justice a donc bouclé le dossier d’instruction, organisé un procès et rendu un verdict. Pourtant à la même époque, beaucoup d’autres actes ayant abouti à mort d’homme ont eu lieu sans que rien ne soit fait. D’où le sentiment d’une justice à double vitesse. Une pour les forces de l’ordre et une autre pour les civils.

Si à Colobane ce sont des citoyens quelconques qui sont considérés comme les meurtriers d’un policier, dans les autres cas, c’est l’inverse, c’est-à-dire que ce sont des policiers et/ou des gendarmes réputés être toujours protégés par leur hiérarchie qui sont supposés avoir tué des civils. S’il est difficile de donner un chiffre exact sur le nombre de personnes tombées sous le coup de la répression policière pendant la période préélectorale (les chiffres varient entre 10 et 15 morts), il est au moins évident que des individus ont été tués par les forces de l’ordre. L’étudiant Mamadou Diop fauché par le camion lance-eau appelé "dragon noir" reste l’emblème de ces interventions meurtrières des hommes en tenue. Il a partagé le même sort que le jeune El Hadji Thiam de Rufisque. Il a été blessé par balle lors des manifestations dans son quartier.

Arrêté à Tivaouane en février 2012 par les gendarmes suite à une manifestation contre la candidature de Wade, Ibrahima Fall a été torturé à mort. L’étudiant Mamadou Ndiaye ayant reçu une balle dans le dos décède à Keur Mbaye Fall. Quant à l’élève Mamadou Sy et la septuagénaire Bana Ndiaye, ils sont tombés à Podor sous les balles des gendarmes. Les auteurs de tous ces crimes, aucun n’a été condamnés.

Les dossiers sont officiellement toujours en cours. Pourtant, il y a certains parmi eux qui datent d’avant la mort du policier Fodé Ndiaye. Et les circonstances de décès des victimes ne semblent pas plus difficiles à élucider. D’ailleurs, le doyen des juges Mahawa Sémou Diouf avait mis sous mandat de dépôt l’adjudant-chef Madior Cissé à l’époque commandant de la brigade de Podor, ainsi que ses trois subalternes Babacar Sarr, Racine Ndong et Mountaga Gaye impliqués dans cette affaire. Ils ont été incarcérés en même temps que Samba Sarr commandant de la brigade de Sangalkam qui lui, a été arrêté pour le meurtre de Malick Bâ, tué lors des manifestations contre le découpage territorial jugé politicien.

"Les commissariats, des mouroirs"

Mais malgré ce semblant de volonté à rendre justice, ces hommes appartenant aux corps habillés ont été tous remis en liberté. Leur jugement n’a toujours pas eu lieu. Pas plus que dans la mort de Mamadou Diop. Les meurtriers n’ont jamais été inquiétés. L’avocat de sa famille s’est récemment indigné de l’évolution du dossier. "Je dois malheureusement avouer que ce dossier n’a pas connu d’évolution majeure malgré la constance des faits et malgré les témoignages qu’on a pu recueillir à l’époque, les vidéos, même des personnes qui étaient blessées au moment des faits...On n’a pas eu le traitement judiciaire escompté, on nous a dit que des personnes étaient inculpées mais non détenues. Il n’y a pas eu de détention dans cette affaire, si bien que ce dossier est pratiquement au point mort", déplore Me Assane Dioma Ndiaye.

Pourtant, les policiers sont loin d’être à leurs premières tentatives. Avant ces cas qui datent d’un contexte politique particulier, les forces de l’ordre ont fait plusieurs victimes, particulièrement ceux qui ont eu la malchance d’être conduits dans leur refuge. Les commissariats sont aujourd’hui des lieux de torture avérée. Durant les 12 ans du régime de l’alternance, plus d’une dizaine de personnes ont trouvé la mort dans des commissariats ou après leur sortie ; décès consécutif aux sévices dont elles ont été victimes. Kécouta Sidibé à Kédougou, Dominique Lopy à Kolda, Malick Bâ à Sangalkam, Aladji Konaté à Bakel dont le corps dénudé et menotté a été retrouvé en avril 2011, Mara Diagne à Kaolack, Abdoulaye Wade Yinghou, Bambo Danfakha.

Rien qu’entre 2008 et 2013, Amnesty déclare, dans un rapport intitulé "le temps est venu de tenir ses promesses", avoir "eu à connaître au moins sept cas de personnes mortes en détention après avoir été torturées". Très peu de bourreaux ont été inquiétés et ceux qui l’ont été n’ont été condamnés qu’à des peines légères voire en sursis, relève Amnesty international. En guise d’exemple, trois policiers ont été impliqués dans la mort d’Ousseynou Seck à la Patte d’ Oie. El hadji Bop et Mamadou Diouf ont été relaxés et le troisième, Bâ Abdoul Niang, a écopé de 2 ans de prison. Comparé aux 20 ans des jeunes de Colobane, il y a de quoi s’interroger.

Les droits-de-l’hommistes dénoncent une justice à deux vitesse

La décision rendue par les juges lors du procès des jeunes de Colobane n’est pas du genre à renforcer la crédibilité de la justice déjà contestée par ces temps par l’opposition. Les défenseurs des droits de l’Homme ne sont pas du tout en phase avec les juges. Pas plus qu’ils ne sont rassurés par le deux poids deux mesures. Assane Dioma Ndiaye et Seydi Gassama constatent avec regret que les jeunes de Colobane soient jugés et les policiers pas poursuivis. "À notre connaissance, aucun des policiers n’a fait l’objet d’arrestation. Nous sommes préoccupés par cette justice à double vitesse. Il y a pourtant des morts célèbres comme celle de Mara Diagne à Kaolack", s’indigne M. Gassama.

Me Ndiaye aussi constate cette "justice à géométrie variable". "L’affaire Mamadou Diop est là. On n’arrive toujours pas à éclairer le dossier. D’autres morts sont passés par pertes et profits. Aucune suite judiciaire n’a été réservée à plein d’autres affaires", s’offusque-t-il lui aussi. En tout cas, cette célérité laisse paraître une justice à "double vitesse" devant l’immensité des autres crimes qui tardent à être élucidés. "Avec les événements préélectoraux de 2012, au moins 11 personnes ont perdu la vie. L’idéal aurait été de traiter les dossiers sur le même pied d’égalité avec le sérieux qui sied", souligne Oumar Diallo de la Société internationale des droits de l’Homme (SIDH).

Il s’interroge : "L’affaire Fodé Ndiaye a été traitée avec rapidité, peut-être parce que simplement il fait partie de la famille policière". Une idée partagée par le président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO). "C’est une bonne chose de traiter avec diligence le dossier du meurtre de Fodé Ndiaye, seulement il ne faudrait pas aussi classer les autres dossiers aux oubliettes", déclare Aboubacry Mbodj. Il a par ailleurs souligné la confiance que les citoyens vouent à la justice sénégalaise qui souffre, selon lui, de problèmes de ressources humaines et de finances. M. Mbodj a regretté que dans un contexte pareil, des milliards soient investis dans d’autres secteurs qui ne sont pourtant pas plus importants que la justice.

Le président de la RADDHO de dire que l’Assemblée nationale et la justice se trouvent aujourd’hui dans une situation difficile, ce qui porte atteinte à l’équilibre de la justice. Une situation qui débouche sur un manque de confiance envers les institutions, entraînant des déséquilibres dans le dispositif, selon M. Mbodj. Toujours sur l’affaire Fodé Ndiaye, Oumar Diallo a dénoncé l’absence d’une loi sur l’indemnisation au Sénégal.

Evoquant le cas de Cheikh Cissé dit "Délé", blanchi par la Cour d’assises après trois années d’emprisonnement, il souligne qu’il devait bénéficier au moins d’une indemnisation.

LEQUOTIDIEN





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