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Theatre

Souvenir-20 ans après la mort d’un as du rire : Il était une fois Sanokho


Lundi 17 Mars 2014

20 ans après sa disparition, difficile de rencontrer un comédien imitateur de son niveau. Mamadou Sanokho dit Sanokho a inspiré beaucoup de comiques de téléfilms et d’animateurs d’émissions. «Sanokho ou le métier du rire» paru aux éditions L’harmattan est ouvrage qui a percé le mystère que constituait l’artiste. L’œuvre revient sur sa vie assez mouvementée, son œuvre. Extraits du portait d’un comédien atypique !
Les années 1980 et le début des années 1990 sont marqués au Sénégal par l’émergence et la disparition d’un artiste qui a influencé toutes les générations de comédiens, imitateurs, musiciens, animateurs et autres hommes de culture. Mamadou Sanokho ou Nokho, comme il s’appelait, était un imitateur de personnages qu’il se créait lui-même, et qui avaient la particularité de parler la langue wolof avec les accents de leurs ethnies respectives. Il les mettait en scène dans des scenarii originaux qu’il avait conçus et qui retraçaient des histoires de la vie quotidienne du Sénégalais et du nandité (personne branchée) dakarois, en particulier. Dans un genre comique, ses héros confrontés à la rigueur de l’exode rural faisaient face aux difficultés de la vie à travers le système D (la débrouille), et illustraient plusieurs façons d’être du «petit peuple». Il s’intéressait moins aux élites qu’aux couches populaires dont il portait la voix. Samba Yoro Poulo, Yigo Sankharé, Amadou Oury Diallo, Abdou Maïga, Mère Fangol, Jean Pierre Mendy, Sa Baol et autre Ngor Djégane Diouf, représentaient l’univers dakarois où la «parenté à plaisanterie» se mêle au gigantisme de la capitale et de ses pièges quotidiens. A sa manière, Sanokho réinvente la comédie, moralise la cohabitation notamment entre communautés ethniques. Il réinvente un nouveau type de citoyen et un langage largement repris dans l’argot utilisé par ses héritiers, ses imitateurs et même dans certains milieux dits branchés de la capitale.
L’homme sous le couvert d’un repris de justice, d’un clochard, ou d’un moralisateur, selon la conception que les uns et les autres se font de lui, faisait pourtant la photographie de la société, autant ou plus que quiconque. Son œuvre est un miroir où se reflètent les réalités sociales et psychologiques vues à travers le regard de son auteur. Ce dernier incarnait une certaine marginalité, propres aux artistes et aux génies, pour se projeter dans la description et la satire sociales grâce à l’autodérision déléguée à ses personnages. Tous les faits de société sont passés en revue : l’exode rural et tout son processus (du village à la ville), en général, les relations interpersonnelles, les rapports avec l’autorité, le pèlerinage vers les lieux marginaux, le banditisme, l’alcoolisme, la prostitution et diverses autres tentations de la ville.

Le messager
Toutefois, à bien l’écouter, on est frappé par son caractère didactique et son profil d’éducateur, sous les allures de comique. Il se voulait lui-même un messager, et c’est ce qu’il demandait à la postérité de retenir dans la dernière production de notre collection, qui ressemble bien à une sorte de testament. Malheureusement, son œuvre ne reflète pas l’image qu’il a laissée à la postérité : celle d’un amuseur public, très sympathique certes, mais surtout de vagabond, de troubadour, de clochard, de personnage au langage vulgaire, avec toutes les charges négatives et les préjugés qui vont avec.
Entre le psychopathe et le pervers, les avis divergent sur le personnage, selon les cliniciens psychiatres ou psychologues. Donc, ce ne sont pas seulement ses histoires qui interpellent, mais le personnage lui-même, victime et /ou manipulateur, mais certainement très intelligent. Il comprenait les rouages du système et savait se mouvoir dans son monde : il était à l’aise aussi bien en prison qu’en dehors, il était partout chez lui. Sans doute, les péripéties de la vie de l’homme, avec de douloureuses expériences, comme ses fréquents séjours en prison, marquèrent ainsi son œuvre qui se caractérise à bien des égards par la profondeur de ses réflexions, la diversité, la richesse et la gravité des sujets qu’il aborde. Le destin de cet homme est assurément tragique. Il était marié aux difficultés de la vie qui lui avaient peut-être permis en retour d’avoir ce regard inquisiteur sur sa société. Sanokho semblait être frappé par ce qui est considéré comme la «malédiction des artistes», à l’image du sort qui avait frappé d’autres grands artistes et poètes «maudits» comme Baudelaire ou Modigliani. Comme un autre trait de génie d’artiste, il avait admirablement réussi cette immersion qui lui autorisait ce regard, imperceptible du profane, qui lui permettait de devenir sujet et objet à la fois…

Accidenté anonyme
Sanokho ou Mamadou Sanokho de son vrai nom est né le 8 avril 1955 à Dakar au quartier populaire de la Médina. Décédé le 21 avril 1994 à l’Hôpital principal de Dakar, à la suite d’un accident de circulation survenu le 15 avril 1994, il est enterré au cimetière de Pikine. Sa vie a été courte, mais bien remplie tant par l’importance de sa production que par l’impact de son héritage historique et l’image de comédien célèbre qu’il a laissée à la postérité. Certes, Sanokho est mort très jeune (à l’âge de 39 ans), mais sa «carrière» s’étend sur une assez longue période d’environ 14 ans de succès et…de galères. Sans doute, avait-il commencé cette carrière d’artiste plus jeune, mais la phase la plus connue de sa carrière est condensée du début des années 1980-qui constitue le moment où il est connu du grand public- à 1994, l’année de sa mort. Ses parents sont originaires du Mali, ancien Soudan français, mais lui il est né au Sénégal. Ainsi, il est prédestiné au brassage culturel, ethnique et linguistique, et disposé à la compréhension des autres groupes qui composent la population du Sénégal voire de la sous-région ouest-africaine. Son talent fera le reste. L’appel à la tolérance fut son crédo dans ses textes où il se faisait l’avocat des groupes ou minorités de personnes victimes de préjugés sociaux, même si sa volonté permanente de moralisation était toujours altérée par son côté comique. Par ses origines géographiques et ethniques, sa famille constitue un condensé de l’histoire de l’ex-Aof (Afrique occidentale française). Son père venu du Soudan a rencontré sa mère à Thiès, jadis ville du chemin de fer et lieu de brassage, par excellence, de toutes les populations de la sous-région ouest-africaine.

Carrière débutée en prison
Thiès fut donc le début de son histoire personnelle, marquée par une grande mobilité et la diversité géographique de ses lieux de résidence. Né à la Médina, sa résidence de base fut le quartier de sa famille aux Hlm Las Palmas dans la banlieue de Dakar, autre lieu de socialisation. Mais Sanokho était connu partout dans la ville, notamment dans les quartiers populaires où il avait des familles d’accueil (Rue 37 à la Médina, famille Badji à Hann Soleil…), mais également dans les marchés dont il participait à l’animation (Sandaga, Ngélaw, Colobane, etc.). C’est le cas également dans d’autres villes du pays, comme Podor, où il séjournait et y était célèbre par ses prestations et sa réputation.
Dans sa famille, on ne faisait pas de la comédie avant lui, le don lui semblait donc personnel. Selon certains témoignages, il aurait commencé ses prestations en prison avant d’être révélé, vers 1981, par l’émission télévisuelle Télé variétés de la Radio télévision nationale (Orts à l’époque). Il était capable d’imiter tous les groupes ethniques, raillant ainsi les cousins à plaisanterie, les Peuls, les Man­djaks, les Sérères etc. Il était autodidacte et polyglotte : il semblait parler, ou plutôt se dé­brouiller, aussi bien en français qu’en anglais, ainsi que dans les diverses langues nationales qu’il utilisait dans ses sketchs ….

Sa production artistique
Il serait peut-être impropre de parler de production pour quelqu’un qui a «travaillé» de façon si informelle et qui avait été enregistré de manière manuelle (par magnétophone) sans vraiment respecter les normes modernes de production : copyright, droits d’auteur, contrat, management, maison de production, etc. Mais ce qui est heureux dans ce procédé, c’est qu’il a permis au moins de collecter et de sauvegarder l’œuvre et la mémoire de l’artiste, souligné plus haut. D’ailleurs, l’artiste ignorait peut-être la portée de ce qu’il faisait, mais ses «producteurs» avaient donc fait œuvre utile en ayant permis de sauvegarder ce qui pouvait l’être, d’autant qu’il est encore impossible de connaître toute son œuvre, tant elle est éparpillée. Aussi, la question à laquelle on ne peut pas répondre actuellement est de savoir s’il existe des textes inconnus ou non produits, à cause de la censure ou de la dispersion de l’artiste. Ce qui est sûr c’est que ses prestations innombrables n’ont pas toutes été enregistrées et que beaucoup de ses histoires nous sont inconnues, au-delà du fait que la régularité de sa «production» fut affectée par ses séjours carcéraux. Mais pour ce dont nous disposons et sur lequel se base la présente étude, Sanokho a fait au moins treize cassettes dont douze de son vivant, la 13e sortie sous forme de cassette de musique Salut l’artiste, produite par le studio Xippi, fut un hommage à titre posthume. De toute façon, son génie dépasse largement son répertoire connu, il aurait pu accroître le nombre de ses cassettes si on tient compte de son talent et de sa capacité d’improvisation. La particularité de l’artiste fut qu’il ne pouvait pas et ne voulait pas être «catégorisé» ni être programmé ! …

LEQUOTIDIEN




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