A la maison mortuaire : C’est un retour au pays natal qu’aucun migrant ne souhaite vivre. Le retour de cet enfant prodige sera triste pour les siens : il reviendra dans une bière. Une fin tragique pour Jeannot Mendy. Hier, sa maison familiale située à l’entrée de Pikine en face de la mairie de la ville, n’a pas désempli. De partout, parents, amis et proches de la famille Mendy ont accouru pour témoigner, compatir et porter le deuil avec la famille. Malgré cette foule de parents, le silence est assourdissant. On murmure plus qu’on ne parle, on s’interroge, incapable de comprendre cette réponse du sort, cruel destin. «Le scénario est le même depuis que la mauvaise nouvelle est tombée», souffle sa nièce qui a guidé nos pas hier dans la vaste demeure à la cour déjà occupée par des hommes répartis en petits groupes. Dans le salon, deux photos encadrées, celles de Jeannot et de son défunt père, se dressent sur une table éclairée par la lueur d’un cierge entouré d’une dizaine de chapelets, signe que la veillée a démarré. Ce sera ainsi jusqu’à l’enterrement de Jeannot Mendy.
Le film du crime : Le visage crispé, les yeux rougis, Tony Ndoye, frère utérin de Jeannot, semble usé par plusieurs nuits sans sommeil. Le bonhomme s’en veut presque. En effet, Tony, sa mère et sa sœur, Binta, ont été les derniers à parler au téléphone avec leur frère, établi aux Etats-Unis depuis 15 ans. «Dans la journée du dimanche 23 avril 2017, je l’ai appelé. Il était au volant de sa voiture et a proposé de me rappeler. Quelques minutes plus tard, il m’a joint au téléphone, nous avons beaucoup échangé et chahuté. Puis dans la nuit, il a également parlé au téléphone avec notre mère et ma sœur Binta. C’était ainsi presque tous les jours», témoigne Tony. Hélas, la famille Mendy était loin de se douter qu’elle parlait pour la dernière fois avec Jeannot. En effet, dans cette même nuit, à des milliers de kilomètres du Sénégal, à Columbus dans l’Etat de l’Ohio aux Usa, une bande de malfaiteurs avaient fini de repérer le domicile de Jeannot Mendy. Fortement armés, ils se sont dirigés vers le garage situé au rez-de-chaussée. A l’étage, le bruit parvient à Jeannot. Confiant, très sûr de lui et rassuré par les arts martiaux qu’il pratique, Jeannot va chercher à en savoir davantage. Dès qu’il met le nez dehors, les cambrioleurs ouvrent le feu et l’atteignent. Alertés, deux de ses compatriotes, ses frères (Pierre Atepa Mendy et Alphonse Ndoye), informent les secours, qui arrivent avec quelques minutes de retard. A l’hôpital, les blouses blanches se concertent et décident d’une intervention chirurgicale. Hélas, cela n’a pas suffi. Peu avant l’aube du lundi 24 avril, Jeannot rend son dernier souffle. Au Sénégal, sa famille ne se doute de rien. Ce n’est qu’en milieu de matinée que la mauvaise nouvelle tombe. «J’étais déjà au boulot lorsque mon téléphone est tombé et l’écran s’est brisé. J’ai bien vu qu’il y avait un appel, mais je ne pouvais pas décrocher», raconte Tony Ndoye, frangin du défunt, qui se doutait bien que l’appel venait des Etats-Unis. Très vite, la mort de Jeannot fait le tour de la communauté catholique de Pikine et d’ailleurs. C’est le choc : 32 ans, une vie brève qui a démarré à Pikine…
Le rap et le Game Boy : Jeannot Mendy, c’est la vie posée d’un doué. Il y a 15 ans, en 2002, année de grande euphorie au Sénégal après la brillante prestation des «Lions» au Japon et en Corée, un jeune Sénégalais, le bac en poche, débarquait aux Etats-Unis. Destination, Columbus University. Un destin tracé pour un avenir radieux. En effet, dès après son bac, Jeannot est envoyé aux Etats-Unis par son père, aujourd’hui décédé. Après des études de Finances, il va travailler dans plusieurs compagnies, avant d’être piqué par le virus de la mécanique, venue s’ajouter à sa passion du rap. Des Cd, il en a eu et s’apprêtait à tourner un clip. Une percée dans la musique freinée par la maladie de sa mère, qui depuis deux ans, garde le lit. «Sa mère souffre d’arthrose aiguë et a perdu l’usage de ses jambes. C’est Jeannot qui prend en charge ses soins. Chaque vendredi, il envoie une forte somme et dès le lendemain, sa mère, Delphine Calvé, âgée de 64 ans, est conduite à l’hôpital pour des séances de Kiné au centre d’appareillage situé non loin de Fann», informe son frère Tony. Selon ses proches, le défunt, malgré 15 années passées au pays de l’Oncle Sam, n’avait pas changé. «Il était casanier. Et à Columbus, après le boulot, il restait accroché à ses appareils, jouant jusque tard dans la nuit au game boy». Une vie rangée qui a pris brusquement fin par la faute de cambrioleurs
La dépouille attendue en début de semaine : «Grâce à la diligence de la Première dame, Marième Faye Sall et au consul du Sénégal à New-York, la dépouille de notre défunt frère, Jeannot Mendy, sera à Dakar en début de semaine prochaine pour être enterrée au cimetière Saint Lazare de Dakar», témoigne Tony Ndoye, qui a porté hier la parole de la famille du défunt
L’OBSERVATEUR
