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Politique

Projet Sénégal émergent: Une communication réussie du gouvernement … mais suffira-t-elle ?


Mercredi 12 Février 2014

Le Président Macky Sall ne pourra plus se voir reprocher de ne pas avoir de vision pour le Sénégal. Le Projet Sénégal Emergent s’inscrit effectivement dans une prospective qui vise à donner à notre pays un taux de croissance de 7 % à l’orée de l’an 2025. En lisant ce ratio, certains peuvent déployer une moue dédaigneuse, jugeant peu ambitieuse cette ligne d’horizon. Gagner quatre points de croissance en une décennie, c’est faire autant que le Burkina aujourd’hui, deux points en-deca de la Côte d’Ivoire, à peine le niveau moyen actuel de l’UEMOA (6 %) et moins que la CEDEAO (8 % à 9 %). C’est vrai qu’avec 3 à 4 % de croissance, le Sénégal est à la traine et atteint à peine son étiage de 2006. Mais le mérite du gouvernement, c’est de tenter avec assez de réussite de sortir du pilotage à vue et de la gestion au quotidien de la pauvreté pour engager le Sénégal dans une dynamique de croissance, qui dépassera le simple agrégat et se ressentira réellement dans l’activité et la vie des ménages. Sans doute la préconisation seule ne suffira pas. Il faudra bien plus que de la proclamation incantatoire pour relancer un pays peu doté en richesses, dépendant de la monoculture arachidière, d’une économie touristique décadente, à l’économie extravertie, à l’administration tatillonne, corrompue et peu efficace, aux acteurs en proie au doute. Et ce, malgré l’important soutien de la communauté financière internationale qui fait du Sénégal un des pays le plus aidés d’Afrique de l’Ouest.


Le projet Sénégal Emergent que le gouvernement va soumettre aux bailleurs de fonds du Groupe Consultatif pour financement partiel (1850 milliards FCFA) ambitionne de tirer notre pays vers une croissance durable au moins sur une décennie. Un préalable essentiel avant de penser à une croissance structurelle à deux chiffres, vers 2025. Le doute avait pourtant affecté la crédibilité du PSE. Le Gouvernement avait confié sa confection à un cabinet internationalement connu, Mac Kinsey, pour une rémunération de 2,5 milliards. Une bagatelle pour le commun des Sénégalais, révélée avec force et fracas par Moubarack Lô, l’économiste et ancien conseiller du président de la République, mécontent d’avoir été mis à l’écart sur ce coup. Ce mouvement d’humeur, il n’était pas seul à le manifester. Le Premier ministre, et nombre des ministres, et sans doute aussi, plusieurs hauts fonctionnaires de la finance, de la planification, chefs d’entreprise et autres bailleurs s’étaient insurgés contre l’exclusivité accordée à une flopée d’experts basés en Europe et sans prise réelle avec les réalités quotidiennement vécues par les Sénégalais, pour faire cette étude. En un moment donné, le gouvernement a même semblé avoir levé le pied sur ce projet, pour faire baisser la tension au sein de son équipe. 

Processus de validation crédible 

Selon toute vraisemblance, il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une tactique, permettant de gagner un peu de temps, faire baisser la tension, taire les contestations. Et surtout pour engager un vrai processus de communication et de validation du projet. Jeudi dernier, au cours d’un diner de presse, le vaillant ministre de l’Economie et des Finances, Amadou BA, a donné un aperçu de ce processus. Il a fallu d’abord assurer son appropriation par les hauts fonctionnaires des finances et de l’économie, les cadres locaux d’une haute facture comme Pierre Ndiaye, Moustapha Bâ etc. Mais aussi par les fiscalistes, économistes et planificateurs de talent dont regorge notre administration. Dopés par cette mise en confiance, ils se sont sentis moins snobés par les experts froids du cabinet Mac Kinsey, et ont pris à bras le corps le projet. La séance d’explication, voire d’imprégnation à laquelle ils se sont livrés, aidés en cela par le directeur de l’Apix, Mountaga Sy, le ministre Diène Farba Sarr (trop académique et professoral) et son équipe, ont achevé de convaincre les plus sceptiques que le PSE s’est réellement acclimaté à l’administration sénégalaise. 

Le ministre Amadou Ba nous l’a appris ce soir-là, des anciens Premiers ministres et ministres des Finances sénégalais, des experts indépendants locaux et étrangers, la Banque mondiale, le FMI, l’AFD, entre autres ont donné leur caution au PSE. D’ailleurs, la délégation sénégalaise sera flanquée d’experts de la Banque mondiale pour accentuer ce soutien, véritable imprimatur sans lequel tout projet de cette envergure passera difficilement au Groupe Consultatif. Les députés l’ont également adopté, et la presse, informée des tenants et aboutissants du PSE a salué, à notre instar, la démarche communicationnelle, en attendant de connaître et commenter les décisions du Conseil Consultatif du 25 février. L’épisode du cabinet Mac Kinsey – qui a reçu la bagatelle de 4,5 milliards FCFA du Maroc et presque autant de la Côte d’Ivoire pour ce même devoir — semble avoir été dépassé. La fronde gouvernementale n’a été qu’une tempête dans un verre d’eau. 

Quid du Premier ministre ? 

Il est vrai qu’à ce dîner de presse, le nom du Premier ministre, Mme Aminata Touré, n’a pas été évoqué et on n’a pas senti, même dans les discours d’usage, son niveau d’implication dans la préparation du dossier destiné au Groupe Consultatif. Pas même un message de sa part, ou une prise de parole d’un de ses conseillers pour réaffirmer solennellement, face à la presse, l’engagement de son équipe. Il semble bien que la coordination ait été directement faite par le brillant ministre de l’économie Amadou BA. Les ministères de la Communication et celui de la Promotion de la Bonne Gouvernance étaient de la partie et leurs messages ont bien tonné. 

Ceci dit, c’est une délégation sénégalaise dirigée par le Président Macky Sall himself, forte de sa confiance et très imprégnée de son sujet, qui tentera de décrocher une bonne partie des 3200 milliards dont le Sénégal a besoin pour lancer le PSE jusqu’en 2018. Pour la Côte d’Ivoire, c’est le Président Ouattara lui-même qui était face à ses bailleurs et du monde de la finance internationale qu’il connaît bien. Ibrahima Boubacar Keita du Mali et Ali Bongo du Gabon n’avaient pas non plus hésité à faire le déplacement devant les argentiers internationaux, pour porter leurs projets de développement. La Côte d’Voire a réussi à réunir un gotha de près 3000 participants et le Mali s’est fait confirmer l’octroi d’un pactole de 3 milliards d’euros, qui lui était déjà promis en cas de retour à l’ordre institutionnel. 

Le Sénégal plagie-t-il le Gabon et ses autres partenaires de l’UEMOA ? La question semble saugrenue, même si le Projet Gabon Emergent est bien antérieur à celui Sénégal. Quant à la Côte d’Ivoire et le Mali, ils ont eu la faveur des bailleurs, après une longue nuit d’instabilité sociale et politique à l’issue de laquelle leur économie s’était quasiment assoupie. C’est certainement pour encourager et accompagner ces processus pacifiés et les stratégies économiques et sociales afférentes que les bailleurs ont mis la main à la poche aussi facilement. Le Gabon jouit de richesses pétrolières, agricoles et forestières, mais ne s’illustre pas par un leadership politique et économique particulièrement brillant. 

Atouts et faiblesses du Sénégal 

Le Sénégal a donc des atouts. La démocratie y prévaut. Le pays est stable. Le risque-pays est assez faible pour les investisseurs désireux d’y apporter des capitaux. La qualité des ressources humaines est respectable et nos réseaux téléphoniques et de connectivité sont appréciables. Mais les infrastructures sont de médiocre qualité, les procédures administratives longues et coûteuses, la fiscalité lourde et handicapante, le climat social délétère à cause de grèves incessantes, et la corruption scandaleusement présente dans bien des rouages du système. Les dernières observations du Doing Business en attestent largement. Il s’y ajoute que le pilotage des projets est entravé par des pesanteurs sociologiques et sociales fortes, qui empêchent de réaliser des gains de productivité importants dans tous les secteurs. Trop d’immixtion du fait religieux et politique dans la gestion du pays et trop de népotisme et régionalisme dans le choix des hommes et des lieux d’implantation des projets finissent par décourager les investisseurs les plus téméraires. 

Pour avoir bien rattrapé les erreurs de communication commises au départ du projet, le gouvernement doit comprendre que communiquer n’est pas agir. Et la finalité n’est pas d’obtenir les 1850 milliards FCFA pour revenir plastronner à Dakar, comme jadis Idrissa Seck. Tout ne fera que commencer au lendemain du retour de Paris, car il sera indispensable d’animer un véritable dispositif de pilotage avec des acteurs motivés, sérieux, un gouvernement réactif, des plans d’actions réalistes, des actions pensées porteuses d’impact, mesurables, réalistes sur des délais réfléchis. La même approche inclusive qui a guidé en fin de compte au partage du PSE doit être renforcée dans sa mise en œuvre. Le souci du calendrier a certainement une importance dans les visées politiques du Président. Mais haro sur la précipitation et les calculs politiques. 

En apparence le gouvernement a pensé a tout, même à un plan B au cas où… la cagnotte espérée n’était pas obtenue. Dans ce cas peu probable, il prévoit d’accorder la priorité aux 40 projets prioritaires et à trouver des financements propres … par le budget national. Là, il est vrai c’est une autre paire de manche. Les recettes fiscales estimées à 1500 milliards pourraient difficilement servir à payer les fonctionnaires (pour plus de 400 milliards FCFA) financer le développement. Déjà pour l’horizon de 2017-2018, le gouvernement peine à trouver les 1400 milliards sur fonds propres nécessaires au financement du PSE, comment procéderait-il alors pour obtenir l’apport que les bailleurs devraient nous octroyer à Paris ? 

C’est dire que le passage au Groupe Consultatif est quasi vital. Un virage que le gouvernement ne veut et ne peut surtout pas rater, au risque de ruiner toutes les chances d’atteindre l’objectif de l’émergence. Le Sénégal et les Sénégalais doivent comprendre que les régimes Wade leur ont coûté très cher, à cause des dysfonctionnements structurels que le précédent régime a engendrés pendant douze ans. Que notre pays est devenu très enclavé du fait de l’état désastreux de ses infrastructures vers l’hinterland ouest-africain dans les sens sud, nord et ouest. Que notre pays ne tire pas encore assez profit de sa proximité avec l’Occident, le Brésil et les Etats-Unis. Or, tous ces atouts, la Côte d’Ivoire les fait désormais siens, et développe une communication payante pour valoriser sa destination. Idem pour le Burkina et même les convalescents régimes malien et guinéen. Alors que le Sénégal semble s’empêtrer dans ses nombreuses et peut-être trop nombreuses contradictions internes …. 

SENEPLUS



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