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Médias

Présentation des voeux à la presse: Le CDEPS illégitime pour parler au nom des journalistes par Serigne Saliou Guèye


Mercredi 29 Janvier 2014

Le 17 janvier dernier, le président Macky Sall a présenté, au palais de la République, ses vœux à la presse. Mais malheureusement ceux-là qui étaient en face du président ne représentaient pas la communauté des journalistes. Le chef de l’Etat avait en face de lui une organisation privée dénommée Collectif des éditeurs et diffuseurs de presse (Cdeps), qui regroupe des opérateurs économiques ayant investi dans le secteur des médias.


Même si plusieurs d’entre eux détiennent encore par devers-eux des cartes de presse et s’enflamment, par intermittences, dans des éditoriaux mi-flatteurs, mi-critiques, il est évident qu’ils ont déserté les rédactions pour se consacrer à juste raison à la viabilité financière de leurs entreprises de presse. Pour ne pas tomber dans l’amalgame savamment entretenu par le pouvoir et les patrons de presse, il convient de préciser que le président Macky Sall a présenté ses vœux à un club de copains entrepreneurs dont le seul souci est de solliciter indûment des avantages matériels, financiers et fiscaux.

Apurement des dettes fiscales par l’exécutif : une entorse à l’indépendance du législatif

D’ailleurs l’absence du Syndicat des professionnels de l'information et de la communication du Sénégal (Synpics), de l’Association de la presse étrangère et de l’Association des professionnels de la presse en ligne à la cérémonie de la présentation des vœux présidentiels montre que le Cdeps, dirigé par Madiambal Diagne, ne représente pas la presse sénégalaise et n’a, par voie de conséquence, aucune légitimité pour parler au nom des journalistes.

Une telle rencontre aurait eu sa place à la fête du 1er mai où les travailleurs syndicalistes viennent rituellement présenter au chef de l’Etat leurs cahiers de doléances.

Et pourquoi diantre, le président de la République accepte-t-il de recevoir seule une organisation économique privée qui n’a même pas le même statut que le Conseil national du patronat du Sénégal (Cnp), la  Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes) qui regroupent chacune plusieurs associations patronales ?

Pourquoi l’ensemble des corps constitués et certaines autres structures administratives de l’Etat (le gouvernement, le Conseil économique social et environnemental, l’Assemblée nationale, la Cour suprême, la Cour des comptes, la Médiature de la République, Le Corps diplomatique, le Conseil de l’Ordre national du «Lion», les Forces armées sénégalaises, les Universités, les chefs coutumiers et traditionnels et l’imam de la Grande mosquée de Dakar, les anciens combattants, le Cnoss, la Croix-Rouge et le Conseil de la jeunesse, le corps des Inspecteurs d’Etat), qui ont ce privilège républicain qu’est le rituel de la présentation des vœux, ont été reçus simultanément et sobrement le 3 janvier dernier pour le même exercice ? Il y a là deux poids deux mesures.

Que représente cette minuscule structure patronale du secteur des médias qui ne respecte pas les droits de leurs employés au point que le président les reçoit spécialement en leur octroyant de nouveau un cadeau fiscal de début d’année ? Au nom de quoi, le président, de façon discriminatoire, s’arroge-t-il le droit d’effacer une ardoise fiscale– qui est une redevance citoyenne à payer– à une organisation économique privée ? Pourtant les patrons de presse, comme les industriels, les commerçants, les autres opérateurs économiques, les artisans, les marchands ambulants et les petites vendeuses de cacahuètes s’acquittent régulièrement de leurs redevances fiscales.

Au nom de quel pouvoir le chef du pouvoir exécutif promet-il que le code de la presse va être voté alors qu’une telle initiative relève de l’indépendance du pouvoir législatif encore rétif à toute inclination de vote ?

En recevant le club des patrons de presse pour la cérémonie de présentation solennelle des vœux pour leur offrir un cadeau fiscal pour le nouvel an, le président Macky Sall a fait une entorse à la tradition républicaine et à l’indépendance du pouvoir législatif habilité à voter les lois d’apurement des dettes fiscales. 

Relations suspectes entre le Cdeps et le pouvoir actuel

Les patrons de presse sont devenus les privilégiés, les enfants gâtés de la République. Non seulement ils bénéficient d’une aide financière annuelle (qui va être renforcée) destinée pour la plupart à gonfler leurs comptes bancaires où à payer des vacances outre-Atlantique imméritées, mais beaucoup d’entre eux ne respectent même pas la caduque convention collective qui organise la grille salariale des journalistes.

Il appert que dans des démocraties immatures comme le Sénégal où les Etats sont dirigés de manière peu transparentes, les présidents s’attachent très souvent, indépendamment de la presse publique naturellement sous leur coupe, les services de la presse privée pour éviter certaines révélations scandaleuses ou attaques virulentes contre leur pouvoir.

Cette générosité débordante et ces libéralités exagérées du Prince sèment le doute et la suspicion sur les relations complexes que le nouveau pouvoir entretient avec les patrons de presse. Il semble aujourd’hui que le nouveau rôle du Cdpes est de mettre à l’encan la dignité des journalistes et d’aliéner la liberté de la presse privée pour jouir des ors du pouvoir, lequel n’hésitera jamais à déployer tous les grands moyens financiers et matériels pour assujettir cette colonne vertébrale de la démocratie.

La rencontre du 3 janvier dernier n’était qu’un opportunisme pour le Cdeps et le pouvoir de célébrer au palais des noces incestueuses à la morgue des autres corps de métier asphyxiés par les lourdes charges fiscales qu’ils sont obligés de payer sans possibilité de bénéficier d’un apurement quelconque.

Mutuellement on se caresse dans le sens du poil et l’on se fond en éloges hypocrites. On signe le pacte de non-agression. On fait le rictus quand le président de la République relate avec humour son bébé fictif que les journalistes-parturientes de Direct info avaient mis au monde au forceps. Si Madiambal Diagne, au nom du cartel qu’il dirige, «salue l’action du président de la République pour le renforcement de la liberté de la presse, le félicite et le remercie pour la nomination à divers postes de responsabilité de plusieurs journalistes dont Babacar Touré au Cnra, Abdou Latif Coulibaly au gouvernement au nom de la réparation d’une injustice», c’est parce qu’il ne maîtrise pas ou feint d’ignorer l’histoire politique du Sénégal.

Une hirondelle ne fait pas le printemps. Si nommer deux journalistes appartenant à une même entité médiatique à des postes-coquilles quasiment vides est synonyme de réparation de justice, beaucoup de corps professionnels et non des moindres peuvent, à juste raison, crier à l’injustice puisque depuis que le Sénégal est indépendant, il y en a qui n’ont jamais été représentés dans une quelconque formation gouvernementale.

Aujourd’hui des icônes respectables et respectées de la presse comme Babacar Touré et Abdou Latif Coulibaly en plus des Souleymane Jules Diop, Abou Abel Thiam, El Hadj Hamidou Kassé, Ibrahima Ndoye, Racine Tall, Jacques Habib Sy, de par leur fonction respective, ne peuvent plus parler au nom des journalistes parce qu’ils se sont retirés de la communauté médiatique pour se mettre au service exclusif du Prince dont le seul souci est de conserver à tout prix son pouvoir-délice.

Il en est de même pour beaucoup de ces patrons qui se sont rendu le 3 janvier dernier au palais de la République sous le prétexte de présenter des vœux au maître des céans. Le destin de certains de ces opérateurs économiques est depuis longtemps lié à ceux des membres des différents gouvernements qu’ils critiquent ou flattent. 

Si le président Macky Sall sollicite le partenariat des dirigeants des grands médias pour faire triompher son encore nébuleux Plan «Sénégal émergent» (Pse), au point de leur assurer une publicité ciblée pour une meilleure promotion des programmes du gouvernement, c’est parce qu’il veut s’inscrire dans une logique rédhibitoire de compromission-complaisance, de connivence, de conspiration, voire de corruption, qui empêchera à la presse indépendante de jouer pleinement son rôle critique de la politique de l’Etat.

Pourtant pour éviter à la presse de tomber dans de telles bassesses, le penseur allemand Jürgen Habermas dénonçait, il y a près d’un demi-siècle, la corruption du principe de publicité. Sous l’effet de«contraintes de sélection toujours plus puissantes, les journaux indépendants, qui assurent l’existence d’une sphère publique de discussion rationnelle-critique, cèdent la place à une industrie des relations publiques, mettant la puissance d’influence des médias de masse au service d’intérêts privés».

La presse, une véritable médiacratie

La presse dans les pays démocratiques est importante à tel point qu’elle s’identifie à une véritable médiacratie, un quatrième pouvoir, contre-pouvoir dont la mission première est d’informer et d’observer de manière critique les trois autres pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire. C’est le sens que lui attribue Alexis de Tocqueville qui enseigne que «c’est elle dont l’œil toujours ouvert met sans cesse à nu les secrets ressorts de la politique, et force les hommes publics à venir tour à tour comparaître devant le tribunal de l’opinion».

Par conséquent, la tâche essentielle de la presse n’est pas de s’acoquiner avec un pouvoir qui cherche à mithridatiser, intelligemment, avec une palanquée de passe-droits indus, tous les patrons de presse et par extension tous les leviers de contestation sociale.

Ce dont le secteur médiatique a réellement besoin de la part de l’Etat pour pouvoir se prendre en charge financièrement, ce n’est pas de se fixer dans une sempiternelle posture de mendicité, mais de développer une véritable politique managériale et stratégique des médias qui sera axée sur l’accompagnement dans la recherche de ressources financières. Cela avec un soutien protéiforme substantiel de l’Etat qui pourra permettre aux médias de générer des revenus et de résoudre le problème chronique de financement qui plombe leur développement. 
SENEPLUS




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