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Opinion

Pr Boubacar Barry, Enseignant-chercheur sur la crise sénégalo-gambienne: «L’Existence de la Gambie comme Etat est une aberration »


Jeudi 21 Avril 2016

La crise de la Transgambienne résulte de nombreuses décennies de rivalités et de mésententes entre les deux pays. Dans cet entretien, le professeur d’histoire Boubacar Barry estime que le conflit qui oppose Dakar et Banjul est la conséquence des frontières établies par la colonisation. Un héritage colonial qui a abouti à l’émiettement de notre espace géographique au grand désarroi des populations sénégambiennes. L’auteur du livre «la Sénégambie du XVème au XIXème siècle» appelle les deux Etats à repenser leurs frontières afin de favoriser l’intégration des deux peuples frères. Entretien avec le quotidien L'AS


Pr Boubacar Barry, Enseignant-chercheur sur la crise sénégalo-gambienne: «L’Existence de la Gambie comme Etat est une aberration »

Depuis quelques semaines, on assiste à un désaccord entre le Sénégal et la Gambie autour de la transgambienne. Comment analysez-vous cette situation ?

Cette situation reflète le partage colonial qui a été fait à la fin au XIXème siècle. Les Etats nations, en construction depuis les indépendances, n’ont pas pu remettre en cause l’héritage des frontières coloniales. La décision de l’Organisation  de l’Unité africaine (Oua) de voter l’intangibilité des frontières en 1963 a sacralisé les frontières héritées de la colonisation. Ils disaient qu’elles étaient intouchables. Plus de six décennies plus tard, on a une fragmentation de l’espace politique sans aucune relation avec la dynamique interne des populations dans leur cadre historique et leur cadre géographique. L’existence de la Gambie comme Etat adossée à la simple vallée du fleuve du même nom est une aberration que nous vivons tous les jours. Une même aberration que nous vivons d’ailleurs entre le Sénégal et la Mauritanie 

Pour beaucoup, le Sénégal a commis une erreur historique en n’intégrant pas politiquement la Gambie. Ce qui lui aurait permis d’avoir une continuité territoriale ?

Cette question interpelle aussi bien le Sénégal que la Gambie. Il n’y a pas de raison que l’on accorde uniquement au Sénégal le droit de remettre en cause les frontières. La Gambie doit aussi avoir son mot à dire. C’est toute notre vision sur les frontières qui a été faussée dès le départ par le respect accordé aux frontières héritées de la colonisation. Il nous faut repenser ces frontières. Il nous faut trouver une autre dynamique qui n’est pas celle des Etats nations d’aujourd’hui qui se tournent le dos. Une situation qui a de graves répercussions sur notre pays, car on ne peut pas construire un pont sur le fleuve Gambie, ni sur le fleuve Sénégal.

Pourtant des tentatives de rapprochement ont été faites avec la création de la Confédération Sénégambie dans les années 80 et de l’omvg.

Cette confédération n’a pas marché, parce qu’elle a été faite à la suite de l’opération «Gabou» en 1981. Une opération militaire qui avait pour but de remettre au pouvoir Daouda Diawara. Par ailleurs, les bases sur lesquelles cette confédération a été fondée étaient loin d’être solides. Sa dislocation quelques années plus tard en est la preuve palpable. Il faut d’autres perspectives que la conquête militaire pour bâtir une union. Ces erreurs nous ont plongés dans cette situation inexplicable. Le fleuve Gambie est la voie d’eau la plus navigable de l’Afrique de l’Ouest. Mais le conflit qui oppose les deux pays le rend pratiquement inutile

La position de la Gambie au cœur du Sénégal avec comme toile de fond la crise casamançaise n’est elle pas problématique à long terme pour le Sénégal ?

Toutes ces crises résultent de l’approche qui était de consolider les limites territoriales héritées de la colonisation. Nos dirigeants à l’époque devaient avoir le courage de remette en cause ces frontières au profit des populations sénégambiennes. Car on ne peut pas distinguer la population sénégalaise de celles de la Gambie. Nous avons les mêmes références culturelles et linguistiques. Nous sommes tombés dans le piège du colonisateur qui a morcelé tout cet espace. L’émergence de dictatures qui peuvent naître dans tel ou tel espace peut bloquer toute évolution vers la Sénégambie des peuples. 

D’ailleurs, le Sénégal s’est toujours montré méfiant par rapport au rôle de la Gambie dans le conflit casamançais ?

Je suis certain que le conflit en Casamance ne peut être résolu sans l’accord de la Gambie. La crise casamançaise ne pourra être résolue tant qu’on n’associera pas tous les acteurs régionaux. Au delà de l’historicité de cette région, on ne peut pas faire fi de l’implication de la Gambie pour ramener la paix dans la région Sud du pays.

Comment aller vers la Sénégambie des peuples que vous prônez ?

Il nous faut explorer d’autres voies dans la construction d’une nouvelle vision historique. Les populations ne peuvent pas aller vers cette union sans un leadership politique fort. Il faut aussi une classe politique qui soit consciente des enjeux et de la nécessité de cette union. Une zone fragmentée avec des pays qui se succèdent tous les 300 km de Nouakchott à Freetown. Le Sénégal se trouve ainsi coupé en deux : la Casamance d’un côté et le reste du pays de l’autre. La voie de  contournement ne peut pas en soi constituer une solution viable, car elle coûte cher et d’une certaine manière, on ne peut pas faire abstraction de la Gambie.

Les pays africains ne devraient-ils pas remettre en cause le principe de non intangibilité à l’heure des grands ensembles dans le monde ?

Toutes les crises qui ont eu lieu sont des crises internes. Et elles ont eu une dimension régionale. Il faut voir les choses en face et cesser de se leurrer sur la souveraineté nationale. Il ne faut pas perdre de vue qu’il risque d’y avoir une guerre entre les Etats. Une situation qui ne pourra nous conduire qu’à la catastrophe.
Il faut absolument une prise de conscience que cette région appartient à tous ces peuples qu’il faut organiser en dehors de nos Etats nations. Sinon, nous risquons de connaître ces pics de tensions qui reviennent de manière récurrente depuis près de 10 ans. 




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