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PAPA FARA DIALLO, ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCE POLITIQUE À L'UGB: "LA RADICALISATION DE FADA ET CIE ÉTAIT PRÉVISIBLE"


Lundi 22 Juin 2015

Malgré la suspension de leurs auditions par la Commission de discipline du Parti démocratique sénégalais, Modou Diagne Fada et ses camarades frondeurs ont décidé d’aller jusqu’au bout de leur logique. Une radicalisation prévisible dès le départ si on en croit Papa Fada Diallo. Selon l’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint Louis, cette situation s’explique par la patrimonialisation du Pds par Abdoulaye Wade. Dans cet entretien avec EnQuête, l’analyste politique soutient que Modou Diagne Fada et cie doivent s’attendre à être exclus du Pds.

Comment appréciez-vous l’attitude des frondeurs du Parti démocratique sénégalais qui semblent se radicaliser en dépit de la suspension de leur audition par la commission de discipline ?

Cette radicalisation était prévisible et il fallait s’y attendre dans la mesure où le Pds est le prototype du parti patrimonialisé par excellence. C’est un parti dirigé d’une main de maître par son chef historique, le président Abdoulaye Wade. Certes il est facile de diriger un grand parti comme le Pds quand on a les rênes et les ressources du pouvoir, mais dès qu’on perd le pouvoir avec tout ce que cela comporte comme avantage, on va avoir beaucoup de mal à garder un certain nombre de responsables qui ont eux aussi des ambitions personnelles pour ce pays.

Le président Wade n’est pas prêt à lâcher la direction du parti. Et tant qu’il n’aura pas accepté une refondation du parti, les problèmes vont continuer à se poser. Il se croit être le propriétaire du parti miné par un déficit d’institutionnalisation. Toutes les institutions périphériques du Pds sont inféodées à la personne du président Abdoulaye Wade. Dès l’instant que d’autres sons de cloches se font sentir pour essayer d’apporter un souffle nouveau, les plus fidèles du secrétaire général national vont essayer de jouer la carte de la trahison. Pour ces affidés du pape du Sopi, tous ceux qui sont en train de le dénigrer sont des traîtres dans la mesure où ils sont devenus ce qu’ils sont grâce aux largesses du président Wade, que ce soit Souleymane Ndéné Ndiaye, Modou Diagne Fada ou pas mal de responsables au sein du Pds. Mais en réalité, dans cette affaire, il s’agit moins de traîtrise qu’une volonté de ne pas subir le diktat d’un chef qui s’est de plus en plus délégitimé en voulant imposer son fils à la tête du parti. Donc, c’est moins de la traîtrise que cette volonté de refonder un parti qui est moribond et qui a besoin d’un souffle nouveau.

Jusqu’où peut aller cette fronde ?

Actuellement, ce que les frondeurs attendent, c’est qu’Abdoulaye Wade prenne la responsabilité historique de les exclure du parti. Et dans ce cas-là, Modou Diagne Fada et ses camarades diront qu’on s’est battus jusqu’au bout à l’intérieur du parti en respectant les textes, mais le président nous a exclus. Ils vont avoir beaucoup plus de légitimité que ceux qui ont décidé de quitter le parti sans pour autant être exclus comme Souleymane Ndéné Ndiaye. Ceux-là vont avoir un problème avec l’opinion. Car, malgré la volonté d’Abdoulaye Wade de leur imposer son fils, ils ont accepté de jouer le jeu tant qu’il y avait les largesses du pouvoir. Maintenant que Wade n’est plus au pouvoir, ils ont tout bonnement décidé de quitter le navire. Au même moment, Fada et ses amis ont présenté un mémorandum pour décliner leur vision du parti, lequel selon eux doit être refondé pour être un parti d’avenir qui ne se fera pas avec Abdoulaye Wade.

Mais que vaut Modou Diagne Fada en dehors du Pds ?

En dehors du Pds, Modou Diagne Fada ne vaut pas grand-chose à mon avis. Le président du Conseil départemental de Kébémer est un activiste estudiantin qui a gagné en maturité politique surtout au moment où le Pds était au pouvoir. Il a gagné beaucoup en expériences et ce n’est pas fortuit qu’il soit devenu le président du groupe parlementaire libéral. C’est aujourd’hui l’un des députés les plus sérieux du parlement sénégalais à mon avis. C’est quelqu’un qui, avec son temps de parole, fait des propositions et des contre-propositions fécondes et intéressantes à l’Assemblée nationale. Il a gagné son fief, il a réussi à s’octroyer une certaine légitimité politique au sein de l’opinion publique. Quand il avait quitté le Pds et créé War wi, il avait réussi à imposer le respect de tous les membres du Pds et à forcer la main d’Abdoulaye Wade jusqu’à ce qu’il le rappelle dans le gouvernement. Donc, c’est un monsieur qui a une légitimité. Mais s’il sort du Pds pour créer son parti, il ne pourra pas réussir ce que les Idrissa Seck et autres n’ont pas pu faire, c'est-à-dire, accéder à la magistrature suprême malgré leurs poids, leur charisme et les postes qu’ils ont eu à occuper.

Maintenant attendons de voir ce qui va arriver d’ici quelques mois. Plus on s’approche des élections, plus les choses seront plus claires. Le parti que Souleymane Ndéné Ndiaye vient de créer, c’est un parti qui, à mon avis, va faire long feu. Parce que c’est un parti qui va avoir beaucoup de problèmes pour asseoir sa légitimité. J’attends de voir quel est le discours que Souleymane Ndéné Ndiaye va tenir aux Sénégalais. Le même problème risque d’arriver à Modou Diagne Fada, encore que lui va bénéficier d’un peu plus de légitimité et peut avoir un discours cohérent. Il pourra dire que le Pds est un parti auquel nous tenons, c’est un parti d’avenir mais l’avenir n’est pas avec le président Wade, encore moins avec un candidat qui est en prison. L’avenir, c’est la refondation du parti. Si ce discours fait mouche à l’intérieur du Pds, il peut avoir une portée au sein de l’opinion nationale.

Quelle peut être la conséquence d’une sortie de Modou Diagne Fada du Pds sur la survie du parti libéral ?

La conséquence est la même que la sortie de Souleymane Ndéné Ndiaye ou la sortie d’autres responsables du Pds. C’est un parti qui va exploser et ça, tous les spécialistes en sciences politiques s’y attendaient. Et tous les pronostics sont en train d’être vérifiés sur le terrain. Ce qui se passe, c’est qu’actuellement, le Pds est un parti qui va tout droit vers le mur. Vous vous rappelez sûrement les déclarations de Serigne Mbacké Ndiaye. Ce dernier disait à l’époque : ‘’Si nous perdons le pouvoir, nous irons tous en prison.’’ Certains responsables libéraux sont en train d’avoir des démêlés avec la justice et ceux qui ont eu la chance jusqu’à présent de n’avoir pas maille à partir avec Dame justice n’échapperont pas à la sanction populaire.

Et le président Abdoulaye Wade n’arrange pas les choses. Actuellement, il est entouré d’un certain nombre de responsables qui n’ont aucune base politique. C’est le cas de Farba Senghor et de bien d’autres qui ne lui disent pas la vérité et qui lui font croire qu’il a encore une certaine légitimité. Or ce n’est plus le cas. Pis encore, le fait qu’il veuille coûte que coûte imposer son fils à la tête du Pds vient compliquer davantage les choses. Je puis vous assurer qu’il y a pas mal de militants du Pds qui ne sont pas d’accord avec ce que le président Abdoulaye Wade veut faire mais ils ne peuvent pas sortir au risque d’être traités de traîtres comme les autres.

Quel est aujourd’hui l’avenir même du Pds dans le landerneau politique sénégalais ?

L’avenir du Pds est très sombre. Il y a deux possibilités ou deux hypothèses. La première hypothèse, c’est que le président Wade accepte ici et maintenant une refondation du Pds dont il ne peut d’ailleurs faire partie. A la limite, il peut y avoir une fonction de président d’honneur, diriger une cellule de sages, mais il ne peut plus être le secrétaire général du Pds. Le Pds est l’un des partis les plus structurés au Sénégal avec le Parti socialiste (Ps). C’est un grand parti qui a eu à diriger ce pays et dispose de moyens financiers. C’est un parti qui est bien ancré à l’intérieur du pays.

Rares sont les partis politiques qui ont cet ancrage. Abdoulaye Wade est celui qui a créé le Pds, mais c’est lui qui va précipiter le processus de destruction du parti qu’il a créé. Donc il faut qu’il accepte tout de suite cette refondation voulue par l’ensemble des militants du parti et même ceux qui sont avec lui et qui lui demandent de rester jusqu’après les élections de 2017. Eux-mêmes veulent cette refondation parce que ce parti, comme il fonctionne actuellement, n’a pas d’avenir. Il faut donc cette refondation pour que des jeunes prennent la relève et essaient de travailler à la massification et à la redynamisation du parti pour faire en sorte d’avoir des scores honorables aux prochains scrutins. Ça, c’est la première hypothèse.

L’autre hypothèse, c’est que le président Abdoulaye Wade continue à s’entêter à vouloir imposer son fils comme candidat et à vouloir diriger le parti. S’il persiste dans cette lancée, l’hypothèse la plus probable, c’est une saignée dans les rangs du parti. Beaucoup d’autres responsables vont quitter le parti parce qu’ils ne vont plus s’y retrouver. Et le problème qui risque de se poser, c’est qu’à la base, les militants ne vont plus rien y comprendre. Le parti sera morcelé, dépiécé et l’avenir risque totalement d’être sombre. Et ce serait vraiment très triste parce le Pds est un parti qui a eu à jouer des rôles extrêmement importants pour le renforcement de la démocratie au Sénégal.
SENEPLUS





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