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Société

Ouvrage juridique: « Comment renforcer l’indépendance de la magistrature au Sénégal ?»

Par Babacar Ngom, juge au Tribunal d’Instance Hors classe de Dakar,


Jeudi 18 Février 2016


RESUME

L’ouvrage présente dans une première partie les bases légales de l’indépendance de la justice au Sénégal.

Cette présentation met l’accent sur les garanties constitutionnelles de l’indépendance de la justice, sur celles découlant des règles d’organisation de la Magistrature et du ministère de la Justice, notamment les dispositions constitutionnelles, légales et réglementaires qui organisent ce principe d’indépendance.

Il s’agit de la règle de séparation des pouvoirs, du principe de la soumission des juges qu’à l’autorité de la loi dans l’exercice de leurs fonctions, du principe de l’inamovibilité du magistrat du siège.

Il s’y ajoute l’existence d’un Conseil Supérieur de la Magistrature chargé de gérer la carrière des magistrats mais aussi l’existence d’un statut particulier fixé par une loi organique.

Après cette présentation des règles d’indépendance affirmées par la Constitution, des dispositions relatives à l’organisation judiciaire, au statut des magistrats et au fonctionnement du ministère de la Justice, l’ouvrage procède dans une seconde partie à une analyse de ces dispositions pour apprécier la portée de cette indépendance. Cette analyse qui tente de localiser, de jauger l’existence ou le degré de cette indépendance telle que organisée dans ces différents textes, se fonde à la foi sur les dispositions textuelles mais également sur les indicateurs objectifs de l’indépendance de la magistrature admis au plan international. Il s’agit, entre autres, des trois critères essentiels de l’indépendance de la magistrature dégagés en 1985 par la Cour suprême du Canada dans l’ « affaire Valente », à savoir la sécurité financière, mais aussi des déclarations, résolutions et principes internationaux dégagés par l’Union Internationale de Magistrats, l’Union Européenne, et l’Organisation des Nations Unies.

L’analyse est complétée par des propositions de réformes en vue d’une meilleure indépendance de la magistrature au Sénégal.

Ainsi, vu sous l’angle de la séparation des pouvoirs, le principe d’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif est mis en échec par les liens de subordination entre les magistrats du parquet et le ministère de la justice, par le caractère fortement politique de la Haute Cour de justice que détient le président de la République sur les magistrats.

Le principe fondamental de l’inamovibilité comme garantie de l’indépendance du juge prévu par l’article 90 de la Constitution est tempéré par la loi organique portant statut des magistrats qui précise que « toutefois, lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination ».

Du point de vue de son fonctionnement, le pouvoir judiciaire dépend totalement du pouvoir exécutif, ordonnateur de ses dépenses et du pouvoir législatif qui les autorise. Tous les projets et programmes d’investissement sont exécutés par des autorités centrales.

Il s’y ajoute que quelque fois, se fondant sur leurs prérogatives en matière de réaménagement budgétaire, que le président de la République ou le ministre de l’Economie et des Finances fasse migrer, en cas de besoin, en cours de gestion, vers d’autres secteurs, une partie des crédits destinés aux juridictions.

Ces restrictions perturbent toute la planification des besoins ainsi que le bon fonctionnement des juridictions. Cette dépendance financière de la magistrature place aussi la justice dans une situation de précarité.

Les recommandations ou propositions de réforme pour juguler ces différentes contraintes identifiées vont dans le sens d’une réforme du Conseil supérieur de la magistrature où le président de la République et le ministre de la Justice ne siègeront plus.

Le Conseil doit être composé de membres de droit et de membres élus parmi les magistrats et professeurs de Droit. Les décisions prises par le Conseil en matière de Nomination, d’affectation et en matière disciplinaire devront être sanctionnées par décret du président de la République, avec un pouvoir lié. Le Conseil peut choisir en son sein un président, un vice-président ainsi qu’un secrétaire permanent et doit avoir son siège au sein de la Cour suprême et non à la présidence de la République.

Par ailleurs, le principe de l’inamovibilité du magistrat du siège doit simplement être proclamé sans y apporter un quelconque tempérament.

Il faudrait aussi couper le Garde des Sceaux du parquet pour éviter que le gouvernement oriente son action dans le sens qu’il souhaite, en faisant du procureur général près la Cour suprême un procureur général de la République qui serait le chef naturel du Ministère public et dirigerait les poursuites judiciaires. Tous les procureurs de la République seront hiérarchiquement liés à cet organe central.

Le procureur près la Cour suprême devenu procureur général de la République doit être désigné avec des règles satisfaisantes au regard du rôle très important qu’il joue dans la distribution de la justice. Il pourrait être élu à la fois par l’Assemblée Nationale et les magistrats à une majorité renforcée.

L’indépendance de la magistrature vis-à-vis du Pouvoir exécutif exige aussi la réforme des conditions de nomination des magistrats. Elle passe nécessairement par une suppression ou un meilleur encadrement des pouvoirs du président de la République en matière de nomination des magistrats. Dans ce cadre, s’agissant du Conseil constitutionnel, ses membres devraient être choisis sur la base de profils et de critères bien définis par plusieurs organes ou autorités, tout en veillant à ce qu’aucun de ces organes ou autorités ne puisse choisir un nombre de magistrats égal ou supérieur à la minorité des membres.

Les autorités dotées de ce pouvoir de désignation peuvent être : le président de la République, l’Assemblée Nationale et les magistrats par le biais d’une élection.

En ce qui concerne la Haute Cour de justice, il faut renforcer son caractère judiciaire en faisant de sorte que du point de vue de sa composition, les magistrats professionnels y soient majoritaires au lieu qu’elle ne soit dominée par les députés, pour éviter tout risque d’influence politique. Ces magistrats ne doivent plus être nommés par le président de la République mais plutôt par le Conseil supérieur de la magistrature réformé.

En outre, les procédures de poursuite devant la Haute Cour de justice doivent être réformées en éliminant les prérogatives réservées au Gouvernement et à l’Assemblée Nationale dans les fonctions de poursuite, tout en les réservant au seul Procureur général élu par le collège des Magistrats et celui des députés.

On peut aussi noter que le président de la République ne peut être poursuivi que pour haute trahison. Cette notion n’est pas concise et ne renvoie à aucun fait que l’on peut qualifier.

Il s’ensuit que le président de la République bénéficie dans les faits d’une irresponsabilité absolue. D’où la nécessité de redéfinir des conditions de mise en responsabilité du président de la République plus précises et conformes aux exigences de la loi pénale, sans pour autant remettre en cause le souci du Législateur qui consiste à limiter la possibilité tous azimuts de poursuivre le président de la République au regard de la stabilité et de la quiétude nécessaires à la nature de la très haute fonction qu’il exerce.

S’agissant des magistrats des cours et tribunaux, leur nomination doit être exclusivement proposée par le Conseil supérieur de la magistrature réformé et autrement composé.

Leur nomination doit tenir compte d’une véritable garantie de l’indépendance de chaque magistrat, et d’une meilleure prise en compte de la compétence, de l’intégrité morale, et non du simple principe d’ancienneté ou d’un réseau relationnel.

Par ailleurs, l’indépendance de la justice doit être garantie par un système de gestion financière qui donne aux cours et tribunaux une meilleure autonomie, avec des pouvoirs d’ordonnateur et la mise en place de véritables services de gestion compétents.

L’idée d’une justice autonome et indépendante suscite une certaine méfiance. Car elle peut favoriser un léger risque de développement du corporatisme ou engendrer des inégalités graves et des dérapages. En plus, les magistrats laissés à eux-mêmes pourraient être tentés d’abuser de leur pouvoir en s’enrichissant de manière illicite.

Cependant, cette situation que l’on qualifie communément de « gouvernement des juges » ne devrait pas justifier le refus d’une justice indépendante. Car le système actuel caractérisé par une forte dépendance de la justice vis-à-vis du président de la République et du ministre de la Justice, n’offre non plus aucune garantie d’une magistrature libre, à équidistance des groupes de pression et qui s’exerce de manière neutre, dans le respect des principes d’égalité de tous les citoyens devant la loi.

En effet, la réforme de notre système judiciaire en vue de le rendre plus indépendant est une exigence du niveau actuel de notre démocratie.

Le Sénégal a des bases institutionnelles très solides qui permettent de faire le saut vers un pouvoir judiciaire, au regard de notre évolution politique et de la mentalité des populations qui aspirent à plus de justice et de démocratie.

Les risques d’abus de pouvoir ou de développement de corporatisme invoqués contre l’idée d’une justice indépendante peuvent être évités avec l’aménagement de contrôle de l’action de la justice, à travers notamment la création d’une structure de veille et d’alerte sur l’éthique et la déontologie des magistrats.

En définitive, conclut l’ouvrage, il importe de souligner que, sécurisé ou pas sur le plan institutionnel et/ou financier, le magistrat doit en toutes circonstances observer un comportement éthique. Car l’indépendance est une vertu et, à ce titre, elle ne peut se limiter à une simple affirmation incantatoire. Le but poursuivi à travers l’indépendance judiciaire n’est pas de procurer aux magistrats un confort matériel, financier et de carrière mais de garantir aux citoyens que ceux qui sont chargés de les juger ne se prononceront qu’en leur intime conviction sans subir d’interventions pesant sur leurs jugements.






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