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Opinion

Lettre à Ndèye «Tahawalou»: Excuse-moi Sophie, d’avoir pleuré.Par Mor Talla Gaye du quotidien l'Observateur


Vendredi 19 Février 2016

Les souvenirs sont remontés à la surface…, et j’ai pleuré. Tu n’aurais pas aimé me voir «chialer», comme un môme sous la menace de la chicotte. Tu aurais dit, de ta voix nasillarde : «Arrête, toi aussi !» C’était plus fort que moi. Mais rassure-toi, personne ne m’a vu. J’ai attendu que le manteau de la nuit enveloppe la Medina, coin que tu dominais de la taille, pour que, par l’ouverture presque céleste de la fenêtre à ce moment-là, je me rende compte d’une évidence cruelle : tu es partie à jamais. Je n’y crois pas, c’est trop : insupportable et injuste. Mais le poète l’a dit : «Ne dites pas mourir, dites mûrir.» Tu es toujours parmi nous. Sophie ne sera plus là pour partager mes papiers. «Ah ! Mor, j’ai bien aimé ton portrait sur Lamine Diack !» C’était toi. Tu n’arrêtais jamais de distribuer des sourires francs, des compliments de connaisseur quand l’envie t’en prenait. Tu ne souriais jamais par défaut. C’était sincère. Alors, quand je me suis ouvert une échappée par la fenêtre, j’ai pleuré ta mort brutale. J’ai revu cette tombe du cimetière de Bambara à Thiès où tu seras si seule ce soir pour raconter ta difficile et joyeuse vie sur terre. Je t’ai imaginée toi, lumière ensevelie dans ces ténèbres, et j’ai pleuré. Je t’ai vue écarquiller des yeux quand les gens tournaient les talons, regagnant, le moral dans les chaussettes, leurs préoccupations de prochain sur la liste noire du Tout Puissant. Quelle liste macabre!
Ndèye, j’ai pleuré parce que j’aurais aimé faire beaucoup de choses pour toi. Je n’ai pas pu les réaliser. Je t’ai laissée souvent à tes difficultés, préférant, instinct de survie, m’occuper de moi, de l’autre Ndèye de ma vie. J’ai pleuré, parce que je n’ai pas été toujours là pour écouter tes silences, lire entre les lignes de ce pétrin que tu traversais sans geindre. Et voilà qu’au moment de te dire «bye bye» à jamais, je repense à tout ça. Et je sais que tu ne m’en voudras pas. D’où venais-tu, pour ne jamais te fâcher ? Jamais te prendre la tête ? Tu aurais pu, toi la romancière de renommée au style vif et alerte. «Yitey diamono dji rekk» (les contraintes de la vie), aurais tu dit. Les larmes ont coulé sur mes joues quand je t’ai aperçue pour l’ultime fois, dévaler, la mine joyeuse, les escaliers. Comme d’habitude, tu es arrivée essoufflée au 5ème étage de l’immeuble Elimane Ndour. Tu avais des soucis, tu n’en laissais rien transparaître. Mais tu les ruminais, et ne te calmais que pour coucher ta chronique. Tu avais réussi à ouvrir des parenthèses de dignité à tes frustrations enfouies. Tes états d’âme. Ecrivaine de talent, tu aimais dribbler par surprise ton lectorat assidu du samedi. Et ce mercredi 16 février de triste mémoire, tu as fait ton dernier «Takhawalou», tu as traîné comme une sainte pour aller te reposer enfin au cimetière de Bambara. Repose en paix, Safiatou Dièye. Toi qui as habité poétiquement la terre des hommes…


LOBSERVATEUR





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