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Société

Les lundis de Madiambal: Gare à la tentation de tuer le messager


Lundi 21 Juillet 2014

Le Colonel de gendarmerie, Abdoulaye Aziz Ndaw, vient de dégoupiller une grenade offensive dont les déflagrations feront des dégâts dans les rangs de la maréchaussée. Dans un brûlot en deux tomes pour, dit-il, «défendre l’honneur de la gendarmerie sénégalaise», il relate, de façon circonstanciée, des faits de concussion, de prévarication, des comportements et des pratiques les plus répréhensibles et dont les auteurs seraient les plus hauts gradés de l’institution militaire avec, à leur tête, le Général Abdoulaye Fall.
Après la forte émotion suscitée par les révélations, on se demande pourtant si ce qui vient d’être révélé au grand public constitue une nouveauté ? C’est un lieu commun de relever que les pratiques de corruption, les passe-droits et autres comportements répréhensibles avaient toujours cours dans l’Armée nationale comme dans d’autres grands corps de l’Etat. Personne n’a jamais eu le courage de s’en prendre à la hiérarchie militaire pour quelque turpitude que ce fût. Pourtant cette armée qui se plaît à se présenter comme une armée professionnelle, une armée républicaine, une armée de métier, devrait pouvoir souffrir que ses brebis galeuses soient extirpées. C’est comme cela que cela se passe dans toutes les grandes armées du monde.
Qui ne se souvient pas des scandales des marchés des Armées ? Qui ne se souvient pas des rébellions de la troupe pour exiger le paiement de sommes dues dans le cadre de missions internationales ? Qui ne se rappelle pas les révoltes de militaires, gendarmes et éléments du Groupement mobile d’intervention sur le théâtre des opérations, notamment en Casamance où les hommes sont confrontés à un péril et un stress permanents et que le moral des troupes reste le cadet des soucis de la hiérarchie qui profiterait des positions de commandement pour s’enrichir par tous les procédés ? Qui ne sait pas que même les commerçants de Ziguinchor ne voudraient pas de la fin de la guerre en Casamance, du fait du circuit d’enrichissement entretenu à coups de centaines de millions de francs ?
La circonstance aggravante cette fois-ci, est que les révélations et autres accusations sont sorties de la bouche d’une autorité de commandement, bien placée pour savoir ce qui se passait. Le numéro 2 de la Gendarmerie nationale était on ne peut plus bien placé pour voir les cafards de la maison. Aussi, ses états de services dans des services de renseignements comme la Ddse entre autres, l’autorisent à accéder aux informations les plus précises sur ce qui se tramait, de jour comme de nuit, dans les plus hautes sphères de l’Etat. Les différentes rédactions de presse savaient déjà beaucoup de ce qu’écrit aujourd’hui le Colonel Ndaw et dans les moindres détails. Rien n’est donc nouveau pour certains journalistes. Combien de lettres de dénonciation de telles pratiques ont eu à tomber entre les mains de responsables de rédaction de presse ? Combien de fois des interlocuteurs anonymes ont eu à porter de pareilles accusations ? Combien de fois des officiers supérieurs se sont ouverts aux médias sur de telles questions ? Qu’est-ce que des gradés de la police n’avaient pas eux aussi sorti comme cafards au sein de la gendarmerie pour montrer que les ripoux ne se trouvaient pas uniquement dans la police ? C’était à l’occasion de l’affaire de la drogue éventée par le commissaire Keïta, qui accusait le patron de la police, Abdoulaye Niang, d’être mêlé à des trafics de drogue.
On nous dira que les faits dénoncés aujourd’hui dans la gendarmerie sont aussi vieux que l’existence de cette institution, mais force est de dire que si la règle de l’omerta a été brisée ces dernières années, c’est parce que ceux qui prennent la responsabilité de dénoncer au grand jour sont assurés que désormais, il existe une presse assez libre pour relayer leurs révélations. Les médias méritent la reconnaissance de la Nation pour avoir permis les conditions de transparence indispensable à toute politique de bonne gouvernance. Pourtant, cette presse n’a jamais été écoutée. Les révélations faites par le journal Le Quotidien par exemple, de la découverte dans des cantonnements de rebelles du Mfdc d’armes provenant de stocks de la gendarmerie nationale ont aujourd’hui une autre portée. Cette même presse doit aussi se satisfaire d’avoir toujours cherché à montrer la face de la gouvernance du Président Abdoulaye Wade. Les années Wade ont été des années de prévarication, de prédation et les révélations du Colonel Ndaw sur des pratiques mafieuses en sont une parfaite illustration. Il reste maintenant à savoir ce qu’il faudrait faire de tout ça ? La première tendance serait de faire le dos rond. Une telle attitude de ponce-pilatisme ne saurait prospérer car aujourd’hui, on peut bien se demander le niveau de crédibilité du Sénégal devant les autorités portugaises, du fait des graves accusations dont notre ambassadeur à Lisbonne, le Général Abdoulaye Fall, fait l’objet. Le sens du devoir et de la République commanderait que l’ambassadeur du Sénégal au Portugal donne sa démission en attendant la suite à réserver à cette affaire. En tout cas, devant les accusations du commissaire Keïta, le Président Macky Sall n’avait pas hésité à démettre le mis en cause Abdoulaye Niang. Seulement, devrait-on éviter de tomber dans les mêmes erreurs que dans l’affaire de la drogue dans la police ? Dans cette affaire, le maillon le plus faible, le commissaire Keïta le dénonciateur, avait été vite sanctionné, radié des corps de la police. Quelques semaines après, les autorités de l’Etat s’étaient mises dans une situation ridicule, d’autant que les faits semblaient donner raison à Cheikhna Keïta, avec l’arrestation du policier Ibrahima Dieng, membre du fameux Office central de coordination et de répression du trafic illicite de stupéfiants (Occrtis) pour des faits de trafic de drogue. Comme dans l’affaire Keïta, on semble se focaliser plus sur la personnalité du dénonciateur que sur les faits eux-mêmes. Au delà de la vie supposée dissolue du Colonel Ndaw, au delà de ses frustrations réelles, au delà de sa rancœur et des rancunes qui transparaissent dans ses écrits, on devrait se pencher sur les faits dénoncés et déterminer leur véracité. La tendance semble plutôt aller dans le sens de tuer le messager et d’occulter son message. Antigone de Sophocle montrait que «personne n’aime le messager porteur de mauvaises nouvelles». Pour autant, William Shakespeare mettait en garde : «Don‘t shoot the messenger» (ne tuez pas le messager). Alors, pourvu qu’une enquête complète et impartiale puisse établir la vérité et que sans complaisance aucune, les fautifs soient punis

LEQUOTIDIEN





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