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Le Rédacteur en chef de Seneweb, Daouda mine: "Quand un journaliste se casse la gueule..."


Mercredi 20 Mai 2015

Le Rédacteur en chef de Seneweb, Daouda mine: "Quand un journaliste se casse la gueule..."

Quand un journaliste se casse la gueule...

Cette semaine, il a beaucoup été question de liberté de la presse et de responsabilité des journalistes. Un sujet qui revient chaque jour. Chaque année, on organise des tables-rondes, des conférences, des rencontres, pour disserter sur le sujet. Mais nous journalistes, avons nous retenu quelque chose des critiques que nous ne cessons d'enregistrer et des fautes que nous avons commises tout au long de notre carrière ?

Pour ma part, je fais une confession. Je me suis cassé la gueule plusieurs fois. Ce qui m'a poussé à faire mon introspection.

Je m'appelle Daouda Mine. Je dirige aujourd'hui la Rédaction de Seneweb. Auparavant, j'étais le Rédacteur en chef de l'Observateur. Avant cela, j'ai fait mes armes au journal le Populaire. A la base, j'ai eu une formation de juriste. J'ai fréquenté la faculté des Sciences juridiques et politiques (Fac Droit). En 1999, je me suis retrouvé à la Rédaction du journal “Le Populaire” en train de faire du journalisme, sans avoir fréquenté une école de journalisme. J'étais jeune, armé de ma fougue, de mes quelques notions en Droit et de mes quelques aptitudes en matière d'écriture. La déontologie était une notion abstraite pour moi.

Mon premier revers

En 2001, je suis amené à traiter mon premier grand dossier. Comme j'avais appris le droit et que le dossier avait un aspect judiciaire, mon Directeur de publication de l'époque me l'impute. Il s'agissait d'une affaire entre un homme d'affaires du nom de Pape Ndiamé Sène (ex-époux de l'ancienne Premier ministre Mame Madior Boye) et la Bst (banque Sénégalo-tunisienne) dont le patron était à l'époque Abdoul Mbaye, l'ancien Premier ministre.

La Bst avait exproprié Pape Ndiamé Sène. Et ce dernier avait saisi la justice. Le juge en charge de l'affaire avait, à son tour, désigné un expert pour y voir plus clair. Expert qui avait rédigé son rapport et incriminé la Bst. Nous avions pu disposer d'une copie de ce rapport. Les faits étaient donc constants et les preuves en notre possession. Mais j'ai pêché dans la manière de traiter. Car, comme je pensais être un excellent juridique (ce que je ne suis pas du tout), je me suis permis, après avoir relaté les faits, de conclure en ces termes : “quand bien même la faute ne lui serait pas imputable, Abdoul Mbaye est coupable de recel s'il maintient dans le patrimoine de la Bst un immeuble frauduleusement acquis”. Là, je n'étais plus un journaliste, mais un juge. Mon ton était sentencieux. Je n'avais plus cette distance critique que doit avoir tout journaliste. J'ai traité une personnalité de receleur alors que je n'en avais pas le droit. Naturellement, j'ai récolté une plainte déposée par Abdoul Mbaye qui avait, en son temps, comme avocat Me Augustin Senghor, l'actuel Président de la Fédération sénégalaise de football. Jugé, j'ai été condamné à trois mois avec sursis et à 5 millions de dommages et intérêts. Une somme que “Le Populaire”, mon employeur d'alors, civilement responsable, n'a jamais payé, Abdoul Mbaye n'ayant pas exécuté cette décision de justice.

Cette affaire est ma première leçon de responsabilité. J'ai alors su que les erreurs commises dans l'exercice de mes fonctions se paient cash.

Ce cas m'a poussé à aller dans une école de formation en journalisme et communication pour mieux comprendre le métier que j'avais fini par embrasser et devenir meilleur journaliste que je ne l'étais.

N'empêche, en 2004, je subis un second revers.

Comment je me suis fait manipuler

J'étais allé couvrir un procès devant le tribunal correctionnel de Dakar. Un mannequin du nom de “Babita” était poursuivi pour bigamie. C'est à dire qu'on lui reprochait d'avoir deux maris. Devant la barre, le procureur demande sa condamnation et l'affaire est mise en délibéré. Je rédige le papier qui est appelé à la “Une” du Pop. Malick Ndiaye “Fara thial thial” s'en inspire pour produire une pièce théâtrale intitulée “borom gnari dieukeur yi” (la femme aux deux maris).

Le jour du délibéré, j'oublie d'aller au tribunal pour recueillir le verdict. J'étais à mon bureau lorsque je vois “Babita” arriver avec un vieux aux cheveux blancs qu'elle présente comme étant son père. Des trémolos dans la voix, histoire de m'attendrir, elle me dit que je lui ai causé un tort et j'ai sali sa réputation. En effet, j'étais le seul journaliste à avoir écrit sur cette histoire, qui a fait le tour des chaumières en faveur de la pièce théâtrale produite sur la base de mes écrits. Elle m'explique qu'elle vient du tribunal qui l'a relaxée purement et simplement. C'est pourquoi, disait-elle, elle est venue me voir, accompagnée de son père, pour me demander “humblement” de rectifier. Je me suis senti mal. J'ai eu honte. J'ai causé un tort. Il me fallait rectifier. J'ai promis de le faire et elle m'a laissé un numéro de téléphone portable. Après son départ, j'écris un papier pour dire qu'elle a été blanchie et j'ai plaidé auprès de mes patrons de l'époque (Yakham Mbaye, Mamoudou Wane, Daouda Diarra) pour que le papier soit appelée à la “Une” comme la dernière fois. Chose qui a été faite.

Après la parution de l'article, je reçois un appel téléphonique. Un ami avocat me demande comment je peux écrire une bonne information et la démentir avec de fausses informations. L'avocat m'informe que “Babita” a bien été condamnée pour bigamie et doit payer des dommages et intérêts à son “premier” mari, celui qui a saisi la justice. Je cours (après coup) au tribunal et vérifie auprès du greffier audiencier. Je me rends compte que l'avocat disait vrai. J'appelle sur le numéro que “Babita” m'a remis. La Sonatel me répond que le “numéro n'existe pas”. Je me rends alors compte que j'ai été tout simplement manipulé pour avoir manqué à une règle élémentaire de déontologie : la vérification. Pour “sauver les meubles”, je me fends d'un texte pour demander pardon à mes lecteurs. Un papier que j'avais titré : “la vérité si je mens”.

Ce que j'ai retenu de mes erreurs

Je vous raconte ceci parce que dans les deux cas, j'ai manqué à mes obligations déontologiques. Le premier pour avoir formulé des accusations, traité une personnalité de receleur, alors que je n'en avais pas le droit. Le deuxième parce que je me suis laissé attendrir et je n'ai pas vérifié les informations portées à ma connaissance. Deux comportements qui sont aux antipodes de la déontologie journalistique.

Fort de mes revers, apprenant de mes erreurs, renforcés par mes cours, j'ai alors compris que le droit à l'information et à la communication, un droit fondamental de chaque personne, de chaque communauté et de chaque peuple, implique le fait de recevoir une information objective, précise, complète et transparente sur la réalité et de s'exprimer librement par l'intermédiaire des divers moyens de communication. Et la tâche primordiale du journaliste est donc de respecter et de promouvoir le droit de chaque personne et de chaque peuple à une information objective. Cette objectivité nécessite, autant que possible, l'utilisation de diverses sources d'information. Elle requiert la vérification des faits et la description du contexte dans lequel ces faits s'inscrivent. L'information est ainsi un bien social et non un simple produit. Le rôle social du journaliste exige de sa part un haut niveau d'intégrité. Il doit agir en toute sincérité et liberté, en accord avec sa conscience. Il doit donc s'abstenir de travailler à l'encontre de ses convictions et de révéler ses sources d'information. Il doit refuser toute forme de rémunération illicite, directe ou indirecte, et la promotion d'intérêts contraires au bien commun. Il doit résister aux pressions abusives de quelque pouvoir que ce soit.

Il a le devoir de respecter le droit des personnes à la vie privée et à la dignité. Ce qui exige du journaliste la protection des droits et de la réputation d'autrui et l'interdiction de la diffamation, de la calomnie, de l'injure, de l'offense et de l'insinuation malveillante. J'ai appris que toute erreur commise par un journaliste peut lui coûter un procès en diffamation ou en diffusion de fausses nouvelles. Elle peut induire une condamnation pécuniaire de son entreprise civilement responsable. J'ai appris que l'irresponsabilité d'un journaliste peut briser un couple, disloquer une famille, faire perdre à quelqu'un un travail, causer des blessures “impansables”. J'ai appris que la plume d'un journaliste est un couteau à double tranchant : il peut s'en servir pour faire du bien, comme il peut s'en servir pour faire du mal, s'il est dépourvu de toute éthique et de toute déontologie.

J'ai pu comprendre qu'un bon journaliste est un acteur social, mais il n’est pas un acteur politique au sens commun du terme bien que son rôle social ait un impact politique. Le journaliste ne milite jamais en faveur d’intérêts catégoriels, sectoriels, individuels ou partisans. Sinon il tombe dans la confusion des genres, aliène sa liberté, compromet le crédit de confiance que les lecteurs accrochent à son indépendance.

Aussi, très souvent, nous journalistes passons de l'information à l'opinion, parce que tout simplement nous manquons de recul. Le rôle du journaliste, contrairement à ce que les gens pensent, ce n'est pas de formater l'opinion. C'est de lui donner la bonne information pour lui permettre de faire une lecture lucide sur la base de faits vérifiés. L'opinion que la personne se fera après ne regarde qu'elle.

Aujourd'hui, après 15 ans de métier et après avoir commis plusieurs erreurs dans l'exercice de mes fonctions (oui je ne suis pas infaillible et je commettrais sûrement d'autres erreurs), j'ai compris (je le sais depuis longtemps) qu'un journaliste digne de ce nom doit placer haut la barre du professionnalisme. Faire en sorte que son intégrité professionnelle ne puisse jamais être mise en doute. Cette exigence inclut non seulement le respect de la vie privée, le respect de la dignité des individus, le refus des méthodes déloyales, le refus de promouvoir des intérêts particuliers contraires à l’intérêt général, mais aussi l’interdiction de toute connivence et de toute compromission. C’est ce qui fait la grandeur et la noblesse de notre métier




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