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La grande interview de Fatou Diome : "Défendre ma mère adoptive Marianne" (LEPOINT)

Mercredi 29 Mars 2017

ENTRETIEN. L'écrivaine d'origine sénégalaise est en colère. L'objet de son ire : la tournure que prend en France le débat sur l'identité nationale.


La grande interview de Fatou Diome : "Défendre ma mère adoptive Marianne" (LEPOINT)

Attention, voilà une fine bretteuse dont les armes redoutables sont les mots. C'est en tout cas ce qui ressort du dernier livre de l'écrivaine française d'origine sénégalaise Fatou Diome : Marianne porte plainte !* Et Fatou Diome entend bien se faire son avocate indignée. Celle qui se dit "Française par choix, donc par amour mais aussi par résistance" détaille en mots bien sentis et parfois lapidaires sa colère devant certaines déclarations politiques qui font de l'identité nationale un totem médusant et sclérosé. Ces "pirates qui menacent devant [ses] yeux [sa] mère adoptive", Fatou Diome a choisi de les affronter. Elle le fait avec la langue française, celle-là même qui l'attache, en lien d'amour, à ce pays. Fatou Diome porte plainte aussi auprès de chaque lecteur. Elle dit au Point Afrique les raisons de sa colère.

Le Point Afrique : auprès de qui Marianne porte-t-elle plainte et pour quelle raison ?

En littérature, l'ironie est permise. Marianne porte plainte contre les diviseurs, contre ceux qui falsifient son histoire, son identité. Contre ceux qui ne veulent pas admettre la diversité de ses enfants. Contre ceux qui vont à l'encontre de sa devise nationale. Je suis de nationalité française, je suis donc une des enfants de Marianne, et je me donne le droit de dire que je ne suis pas d'accord. On ne m'a pas donné la nationalité à titre provisoire mais vraiment de manière sincère. Cela signifie qu'on m'a donné le droit de m'exprimer en tant que citoyenne française.

Marianne porte plainte aussi contre ceux qui refusent de la défendre. Si elle porte plainte, elle espère être défendue. J'imagine que Marianne compte sur tous ceux qui ne sont pas d'accord avec ces propos partout entendus pour la défendre. J'en appelle à toute personne qui se sentirait mal à l'aise avec les propos qui m'ont révoltée ; que ceux qui partagent ma révolte viennent avec moi défendre ma mère adoptive Marianne.

Quels sont ces propos ?

C'est une accumulation. Les propos d'aujourd'hui ne sont graves que parce qu'ils ont été installés depuis longtemps. Voilà quelques années que l'identité est devenue une obsession. Ce sont parfois les défenseurs de l'identité de la France qui lui font le plus grand mal en la rendant tellement restrictive, crispée, inquiète. La France n'a pourtant aucune raison de s'inquiéter car partout dans le monde, les gens parlent de la France avec tant d'amour. Comment peut-on habiter un si beau pays et être si pessimiste, rancis dans sa mentalité, vouloir s'enfermer alors que la France a toujours voulu disperser ses valeurs d'une manière universelle. À l'étranger, quand je dis "la France", les gens me parlent des auteurs, des musiciens, des poètes. Rien ne m'oblige à rester en France, je suis parfaitement libre d'aller travailler ailleurs. Je vis dans ce pays parce que je l'aime ; c'est une libre décision. Ce qui est triste est que quand on est Africain, les gens pensent qu'on reste en France pour y gagner sa vie. Je peux gagner ma vie ailleurs. Mais je reste par choix, par amour.

Vous dites que l'identité nationale est une passerelle, pas une barrière. Pourquoi pas un pont ? La passerelle a quelque chose de fragile, qui tangue aussi.

Aller vers l'autre est toujours une fragilité. Pour aller vers l'autre, il faut accepter sa propre fragilité. Il faut accepter de se décentrer de soi, de relativiser sa culture. Dès lors, on ne peut plus mépriser l'autre. On se met alors en position de comprendre et d'apprendre. C'est là la fragilité, car on transmet ce qu'on sait et reçoit ce qu'on ne sait pas. On ose. Effectivement, une passerelle tangue, mais je ne veux rien sécuriser. Ma vie n'a jamais été sécurisée. Je suis venue en France car j'ai pris le risque d'aller vers l'inconnu. Il faut en cela beaucoup d'humilité, de découvrir un pays, sa langue. Encore maintenant, je découvre des mots nouveaux qui m'émerveillent. Cette fragilité-là est nécessaire, philosophique aussi dans le cheminement d'un être humain car on n'est jamais parfaitement accompli. Dans l'idée de passerelle, il y a quelque chose de l'ordre du chemin étroit. Je viens d'une île. Parfois sur un bras de mer, il y avait une toute petite passerelle, faite de simples branchages. Cela tangue, bouge, le vent souffle, il faut s'accrocher. J'ai dû aussi m'accrocher pour rester en France, on ne m'a rien facilité.

Vous écrivez qu'on a exigé de vous "un saut d'obstacle qui aurait brisé les jambes d'une jument", que voulez-vous dire ainsi ?

Cela signifie que si vous venez en France en 1994, que vous êtes noire, et qu'en 2017 vous y êtes encore, c'est que vous êtes une combattante. Car vous aurez entendu des "rentre dans ta forêt, va manger tes bananes". Évidemment, ce sont là les mentalités les plus primaires qui parlent. Mais il y a aussi d'autres mépris qui ne disent pas leur nom. On vous regarde de haut, vous parle mal, vous tutoie, vous avez bac+5 et vous devez faire des ménages. On refuse de vous donner votre chance tout en sachant que vous n'êtes pas bête. Tout cela, je l'ai vécu. Mais cela ne m'a pas découragée. Je me suis dit qu'il fallait continuer à m'instruire, à respecter les gens, à me comporter comme une citoyenne ordinaire. Alors même les plus obtus en auront assez de me traiter en étrangère. On finit aussi par en avoir assez de traiter les autres en étranger. Peut-être verront-ils alors que ce n'est pas de la triche, que j'aime vraiment cette culture. Que je l'ai étudiée et la respecte. C'est tout. Je ne peux pas faire plus que l'aimer et la respecter. Aussi la partager.

 

 ©  Flammarion
La couverture du livre de Fatou Diome "Marianne porte plainte !". © Flammarion
 

 


La France quand on est noir, arabe, chinois, ce n'est pas la même chose que quand on est blanc ?

Non, ce n'est pas la même chose car j'imagine que moi, la Noire, je n'aurais pas la prétention de vouloir chasser les autres. Moi, la Noire, je suis consciente d'avoir été immigrée. Je suis consciente d'avoir dû faire mes preuves. Pour être française, j'ai souffert. Mais les autres, qu'ont-ils fait pour mériter d'être mes compatriotes ? Les autres Français sont nés ici. Moi, je suis venue ici. J'ai pris un avion, déjà, il pouvait s'écraser (rires). J'ai aimé un enfant de France, il m'a laissée. Je suis quand même restée. Mais l'être humain doit rester debout, il a besoin de sa dignité. Cela aurait été plus facile de s'enfuir. J'ai étudié et j'étais femme de ménage. Je ne connais personne qui rêve de faire ce métier. Pourtant je remercie ceux qui ont eu la bonté de me faire travailler car j'ai financé ainsi mes études. Certains m'ont refusé ce simple travail. Tous ces gens ont contribué à ce que je réussis à faire aujourd'hui.

 

Mais pour parler comme Montesquieu, "comment peut-on être français" ?

Comment peut-on être sénégalais ? La vraie question est "comment devient-on un être humain ?". On devient français ou sénégalais de la même manière : respecter et aimer les gens. Bien sûr qu'il y a le fond des préjugés, le racisme. Mais c'est à chacun de choisir d'en être la victime ou de les combattre. Je ne suis pas une victime de l'histoire de France. La colonisation, je ne l'ai apprise que dans les livres d'histoire. L'esclavage aussi. Avec un peu d'intelligence, on peut éviter d'être otage des tiroirs du passé. L'Histoire doit être étudiée, certes, mais ensuite il faut conclure que oui, cela est arrivé, et que cela n'arrivera plus. Je me présente toujours aux autres en individu totalement libre. Et si on ne me reconnait pas cette liberté, je vais combattre pour qu'on me la reconnaisse et la prouver

Votre vocabulaire est très marqué par la lutte. La France suppose-t-elle un combat permanent ?

Non, ce n'est pas un vocabulaire guerrier. Il s'agit juste de tenir. Simplement tenir. Vous savez, même quelqu'un qui m'insulte en termes racistes, je lui réponds "bonjour monsieur". Cela m'est déjà arrivé. Même cela, c'est combattre. Quand certains vous provoquent ou vous humilient en espérant que vous explosiez et que vous fassiez du mal, il faut leur montrer que vous avez une réflexion qui va plus loin que leurs mots blessants. Il faut regarder celui qui insulte et se dire que c'est juste un de vos frères, une de vos sœurs. Ils ne me connaissent pas, mais moi j'ai pris le temps d'étudier leur culture. Ils ne me font pas peur.

Vous écrivez longuement sur certains hommes politiques dont vous dénoncez les phrases. Mais qui a votre faveur ?

(Rires). Je ne vous le dirai pas car on vote dans le secret de l'isoloir. Trouvez par déduction. Il y a des hommes politiques sur lesquels je ne dis rien de négatif dans le livre. Mais j'ai pris les exemples les plus choquants. J'ai été choquée de voir certains politiques s'accrocher à une identité nationale avec des slogans rabougris et répulsifs. Or, pour beaucoup, ils viennent aussi d'ailleurs. Comment se fait-il que des gens qu'on a accueillis soient si peu accueillants. C'est honteux. Si Marianne lui avait fermé la porte aussi, à celui qui voulait un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, il n'aurait pas été en France.

Vous écrivez aussi que la laïcité vous semble avoir été dévoyée. En quoi consiste ce dévoiement ?

Des deux côtés, elle est dévoyée. Par ceux qui ne la respectent pas. Mais aussi par ses pseudo-défenseurs qui montrent leur sectarisme en utilisant cette laïcité. Or ce principe ne suppose pas d'interdire la religion des autres. La laïcité suppose que l'État est indifférent aux croyances de chacun. L'État garantit de croire ou de ne pas croire. La laïcité vient pacifier l'espace public, pas le troubler. Chacun garde sa libre conscience de choisir son Dieu. La foi des autres ne doit pas être le prétexte à une sanction, à une souffrance pour les autres. C'est une chose intime. L'État n'a pas à décider de notre intimité. Certains défenseurs sont de bonne foi, évidemment. Mais d'autres, qui disent défendre la laïcité, l'utilisent en fait pour l'islamophobie.


Mais certains récusent le terme même d'islamophobie, pour eux il s'agit en fait d'une critique libre de la religion.

Oui, il y a aussi des gens qui disent que le racisme anti-noir n'existe pas. La preuve, quand quelqu'un vous traite de « sale n**** », on vous rétorque qu'il était juste un peu impoli. Ce sont les euphémismes qui tuent les mots. On ne nomme plus les choses. Il faut oser dire qu'il y a de la fumée pour mieux éteindre l'incendie. À force de dire qu'il n'y a rien de grave, la maison risque de s'embraser.

Vous pensez que le tissu social français va s'embraser ?

Je ne crois pas, mais il y a un risque. C'est la fille de son père [Marine Le Pen, NDLR] qui dit toujours que tout va brûler. Mais ce pays a connu des moments plus tragiques que ceux-là, et a toujours su trouver des solutions. La solution passe par l'ouverture, la communication, l'éducation. Et surtout d'arrêter l'hypocrisie, cette manière de toujours parler des discriminations sans jamais les combattre. Les citoyens d'origine asiatique, africaine, maghrébine, ne peuvent plus continuer à passer leur vie ici en étant des mendiants de leurs propres droits. Oui, ils ont des devoirs. Mais ils les rempliront d'autant plus qu'ils seront reconnus, en tant que citoyens. Si vous ne reconnaissez pas à quelqu'un sa place, il est difficile ensuite de lui demander de faire son devoir.

Vous parlez de ces gens, souvent très diplômés, qui choisissent de partir de France faute d'être reconnus dans leur compétence ?

Leurs parents rasaient les murs, eux ne le feront pas. Ils n'ont d'ailleurs aucune raison de le faire. Ils sont nés ici. Être européen aujourd'hui ne signifie pas être blanc. La couleur n'est pas une nationalité. La France y perd car elle forme des gens qui finissent par la quitter. Elle renonce à leurs compétences. J'ai eu aussi des propositions pour partir, je suis restée. Ce sont aussi des enfants de Marianne qui font leurs valises.

Une France avec Marine Le Pen au pouvoir, quel signal cela serait pour le monde ?

Cela n'arrivera pas, sinon, je me présente (rires). Je ne veux pas y croire. Je pense qu'il y a assez de sagesse dans ce pays. Le problème n'est pas cette dame. Le vrai problème est la situation économique qui désespère tant les gens qu'ils croient en n'importe quelle promesse. Elle arrive à asseoir ses thèmes sur cette situation et n'a même pas besoin de faire campagne. Les gens sans emploi doivent devenir une question prioritaire pour les politiques. Les gens ont besoin de nourrir leur famille, c'est une question de dignité. Ce désespoir-là sert cette dame.

Est-ce que finalement vous êtes aussi française par votre combativité optimiste ?

Mon optimisme m'a déjà empêchée de mourir quand j'étais au Sénégal. Je n'étais pas attendue, je n'étais pas programmée. Je suis un accident. Même les gens qui m'ont donné la vie ont eu du mal à admettre mon existence. Je suis née dans le rejet, on ne peut pas m'atteindre avec cela. Je suis un cas désespéré pour un raciste. Quand il me rejette, il ne sait pas que j'ai connu pire. Même si on me rapatriait dans mon village sénégalais, je ferais des poèmes d'amour en français. On ne peut pas me déposséder de la langue française. C'est un défi pour toute haine et tout racisme. 



1.Posté par katy le 30/03/2017 13:28
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