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Société

LE « KHAKHAR », MESSAGES D’ACCUEIL DE LA NOUVELLE MARIEE: LE BIZUTAGE ORAL DE LA NUIT DES NOCES, UNE TRADITION PERVERTIE


Samedi 27 Septembre 2014

Aujourd’hui, lorsqu’on évoque le mot « khakhar », les gens pensent aussitôt à insanités, incorrection et méchanceté gratuite. Cette pratique ancestrale a, depuis très longtemps, perdu sa vocation première d’éduquer la nouvelle mariée et, surtout, de lui donner les clés de son nouveau milieu social. Pourtant, c’était là le but recherché : à travers le rire et la caricature, amener la nouvelle épouse à bien s’imprégner des réalités de la communauté qui l’accueillait en son sein. Les références, symboles et repères étaient ainsi passés en revue. Toutes les pratiques que réprouvait la société étaient dénoncées en public. Ainsi, dès son arrivée, la nouvelle mariée savait à quoi s’en tenir.

Actuellement, à travers le « khakhar », c’est un torrent d’insultes, de grossièretés et de fausses affirmations qui accueillent la nouvelle mariée au domicile conjugal. Qu’elle intègre ou pas un ménage polygame, ce sont ses coépouses et les autres femmes de son nouveau milieu qui essaient, autant que faire se peut, de lui broder et de lui faire enfiler un tricot de défauts imaginaires en vue de la « déstabiliser ».

S’il existe une caractéristique des Sénégalais bien connue de tous, c’est leur attachement à la vie en communauté. Il est dit, dans notre pays, que celui ou celle qui se met hors de la communauté est simplement une « réincarnation » d’un génie malfaisant. Une telle personne est mise à l’index et est crainte de tous.

Chez nous, l’individu se réalise au sein d’un ensemble qui l’enrichit et qu’il doit enrichir. Hors de cette idée, il est honni. Si les hommes tenaient ce viatique de leurs maîtres-encadreurs en période de circoncision ou passage dans la case de l’adulte, les femmes, pour leur part, méditaient sur le contenu de ces lois sociales le jour où elles regagnaient le domicile conjugal.

C’était le « khakhar », une manière, pour les femmes mariées, de souhaiter la bienvenue à la nouvelle épouse venue intégrer leur cercle. Et elles n’y allaient pas par quatre chemins pour secouer la « trouble-fête ». Ce bizutage, par le verbe, n’avait rien de méchant.

La candidate à ce « supplice » était digne dans l’épreuve qui, dans tous ses aspects, lui permettait de tendre l’oreille, de recueillir les exigences de sa nouvelle communauté et, en fonction de cela, rectifier le tir au besoin.

Voilà la fonction essentielle du « khakhar », occasion de tracer les lignes directrices à une femme mariée qui, ainsi mise en selle, disposait d’atouts pour se nimber de gloire.

LE TEMPS DU RIRE ET DE LA CARICATURE

Cette distinction, on ne la méritait que pour services rendus aux ascendants du mari, à ses amis, frères, cousins, sœurs, tantes et oncles qui, vu l’élasticité de la famille sénégalaise, exerçaient leur commandement et devaient être écoutés par toute épouse vivant à l’intérieur du carré familial. Il fallait donc supporter car le dicton wolof dit également que « tout ce qu’une femme sème, en bien ou en mal, dans le foyer conjugal, est récolté par sa progéniture ».

Le bon sens appelle à la bienfaisance, même si l’on se sent brimée. Cette disponibilité à encaisser tous les coups, tout en restant digne, était enseignée le jour où la mariée regagnait le domicile conjugal où était organisé le « khakhar » dont il faut revenir sur chacun des mots qui le composent. « Khakh », fausse interjection, véritable onomatopée, exprime l’acte de cracher.

Mais, dans le cadre de cette enquête, ce terme symbolise le fait de se défouler, d’extérioriser son dégoût, sa déception amère pour la femme qui, malgré elle, s’est vue dotée d’une coépouse. « Khakh » est un sentiment de dégoût manifesté par une femme à qui l’on impose un morcellement des plaisirs et de l’intimité dont elle jouissait de son mari. Quant à « khar », il signifie casser, occasionner la rupture après avoir déséquilibré moralement.

Le mot composé donne alors « khakh-khar », œuvre de la femme qui reçoit une coépouse et qui fait appel à des spécialistes de la caricature dite ou chantée et dont les propos sont accusateurs, libertins et souvent orduriers, même s’ils véhiculent une bonne dose de rire, ce rire qui atténue le poids et la méchanceté du propos. C’est là que le « khakhar », en matière d’ironie, d’humour sarcastique, était, dans la tradition, une affaire de spécialistes.

Ce n’est pas seulement cela la vocation du « khakhar » qui, en tant que caricature, sort souvent de la réalité caractérielle de la dimension de la femme qui rejoint pour se munir d’effets particuliers, d’imaginaire. Et c’est là qu’il plonge dans le domaine du merveilleux comme le conte. Pourvu d’images caricaturales typiques et appropriées, le « khakhar », donc bien orienté, force le rire, suscite l’attention de l’audition. Il devient, ici, une véritable comédie.

LEÇONS DE MORALE

Les paroles qui véhiculent ces images constituent une véritable création dont la dimension s’amplifie au cours de la nuit et selon le nombre d’intervenantes. Et compte tenu de tout ce qui précède, l’on peut dire que le « khakhar » est en fait une création littéraire dans le domaine de la tradition orale en ce sens qu’il a ses règles, ses contenus et, souvent, sa métrique.

Aussi les paroliers glissent-ils, dans la caricature, des conseils, de véritables leçons de morale s’adressant à la nouvelle venue pour l’armer d’humilité, de tolérance et de l’acceptation de la chose désirée mais partagée.

Il y a également que le « khakhar » met en garde contre l’égocentrisme, convie au rapprochement et à la solidarité dont dépendra l’atmosphère de la demeure conjugale, surtout lorsque le mari est aussi mis en garde. C’est là que « kha- khar » devient un humanisme, une école à la classe vite fermée puisque ne durant que le temps du rire et de la caricature.

Mais, l’essentiel est qu’il prépare aux bienséances futures, devient une sorte d’hygiène de la coexistence, mettant à l’abri des désaccords possibles qui ne pourraient que perturber le ménage et ses composantes.

Son importance est donc plus grande lorsque grande est la participation des paroliers et des femmes chargées des refrains appropriés. Sous cet angle, le « khakhar » est œuvre collective, œuvre qui intéresse la nouvelle mariée, les déjà mariées et les futures mariées. Il représente, respectivement, pour elles, l’indication du point d’ancrage de la communauté dans l’océan des valeurs, un rappel pour mieux gérer l’appartenance à la société et une méditation sur une situation qu’on vivra un jour.

Le « khakhar » garantit également le rythme. Les instruments traditionnels de musique qui le soutiennent donnent une dimension à la parole, la régulent, en assurent le flux et le reflux, participent aux intonations, appuient la caricature, occasionnent les césures, les ruptures, imposent le silence aux paroliers pour laisser libre cours au rythme, ce qui génère des pauses et permet aux intervenantes d’imaginer et de recréer.

C’est là que le « khakhar » devient multi- art. En effet, à travers la manifestation, l’on agence parfaitement la parole et le rythme avant de déclencher la danse qui a son expression, son message et la force de captiver, surtout que l’érotisme y est toujours présent. Intéressant l’esprit, le « khakhar » ébranle le corps et rend, merveilleusement, la dimension multiple de l’homme.

AU PASSE-PRESENT

Une pratique dénaturée

Traditionaliste pure et dure, nostalgique du beau vieux temps, la sexagénaire Adja Adiara Mbaye est pour le moins une femme enracinée. Courtoise et disponible, elle nous accueille à bras ouverts dans son salon. Dans la cour de sa maison sise au quartier Hersent à Thiès, ses filles et quelques autres personnes étaient occupées aux travaux ménagers.

Une joie de vivre et une bonne ambiance prévalent chez notre interlocutrice profondément ancrée dans ses traditions ancestrales, fière d'être issue du grand groupe des griots. Après quelques salamecs, elle accepte de nous en boucher un trou sur le « khakhar ».

Adja Adiara Mbaye nous fait savoir que le « khakhar » est « une pratique plusieurs fois séculaire que les dernières générations ont transformée en océan d’insanités dans lequel on essaye de noyer qui on veut.

Une fausseté de la caricature qui, selon notre interlocutrice, était, dans le passé, une forme d’éducation morale à travers laquelle on rappelait à tous qu’une communauté, pour vivre et prospérer, a besoin de références, de repères et de symboles dont le culte permettait de galvaniser les énergies et de mobiliser les forces dans l’union pour l’édification du progrès général.

Loi sociale

Ainsi, tout ce qui pouvait gêner la marche de la société était dénoncé en public. Du fait des séances de « khakhar », beaucoup tenaient à soigner leur comportement pour ne pas tomber sous le coup de la loi sociale que les femmes savaient bien appliquer, elles chargées de créer des chants satiriques autour des défauts pouvant miner le fondement de la société.

Aussi, selon Adja Adiara Mbaye, dans la défense des normes sociales, une charge était laissée aux parolières, véritables spécialistes qui savaient assumer, de manière responsable, la mission qui leur était dévolue, grâce à leur capacité d’extérioriser toutes les tares de l’époque. « Dans le passé, on ne s’aventurait pas à ternir l’image de marque de quelqu’un comme cela se fait aujourd’hui.

Mais plutôt à amener les époux et leurs proches à se démarquer des pratiques avilissantes », dit notre interlocutrice qui, dans une envolée, nous chante l’œuvre qui a « corrigé » Galaye, père de famille violent, dur envers les enfants, ces êtres fragiles qui demandent protection et amour.

Avec « Seetbi, bulko yar yaru baayam/ Baayam du dundal, du wood, day door bamu saf/ Bul ko yar yaru baayam/ » (Ne traitez pas la nouvelle mariée comme l’a fait jusqu’ici son père. Il ne lui assurait ni repas, ni habillement et la battait sauvagement. Ne faites pas comme son père).

Portée morale

Ailleurs, c’est une mariée, la nommée Aïda, au talent culinaire nul qui s’est finalement rectifiée en allant à la bonne école. Les spécialistes du « khakhar » sont passées par là avec « muy salade, muy mayonnaise, kumukoyakal, bagnal/ Ndax Birima moy maamam » (Refusez les plats de Aïda, piètre cuisinière formée à l’école de Birima, sa grand-mère).

Son mari Meïssa dont la pratique religieuse laissait à désirer a finalement élu domicile à la mosquée après que les parolières lui ont tenu ces propos : « Meïssa, linga mën ci wure, mën ko ci fo/ Sooko jaamuwoon yalla/ Soo dewee texe » (Meïssa, si tout le temps que tu consacres aux jeux et autres loisirs, tu l’avais réservé à prier Dieu, nul doute que le paradis sera ta demeure éternelle).

La plupart des œuvres de « khakhar », nous dit Adja Adiara Mbaye, avaient une portée morale et permettaient de lutter contre certaines tares sociales comme la violence, l’oisiveté, les facilités... Cette fonction de la caricature est, aujourd’hui, travestie.

« Actuellement, le meilleur cru qu’on puisse nous proposer dans une séance de « khakhar » ne pourrait avoir la valeur du nectar qu’on nous servait lors des veillées du passé », regrette Adja Adiara Mbaye, nostalgique.

LESOLEIL





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