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KHAR MBAYE MADIAGA, GRANDE CANTATRICE: UN PATRIMOINE NATIONAL À SAUVEGARDER !


Lundi 1 Septembre 2014

C’était un jour comme les autres, à la différence que celui-ci était un moment de communion, l’occasion de décupler le patriotisme des "Lions" du football ainsi que l’enthousiasme des Sénégalais à les accompagner lors d’une de leurs campagnes africaines. Sorano, comme lors de ces occasions où le peuple agit à l’unisson, accueille les célébrités de la chanson sénégalaise. C’est dans ces circonstances que déboule sur scène la diva Khar Mbaye Madiaga pour entonner un hymne dédié au football. Ce fut l’extase dans une salle où l’on commençait à s’ennuyer. Comme toujours, Khar Mbaye Madiaga, grande cantatrice de la musique sénégalaise, sait où tirer pour galvaniser tout un peuple comme elle l’a toujours fait dans l’arène où aucun lutteur ne peut demeurer statique quand elle déroule son hymne à la bravoure.

Khar Mbaye Madiaga, un nom et toute une légende autour de cette voix qui demeure l’une des plus pures de la musique sénégalaise à l’image de sa peau à la noirceur d’ébène qui constitue son identité…

Que l’on soit intello, analphabète ou "assimilé", nul ne peut résister à la voix de cette grande dame de la musique sénégalaise dont le répertoire musical fait partie intégrante du patrimoine artistique de notre pays. En fait, il n’existe pas un seul ténor de la musique sénégalaise qui n’ait repris un morceau de son répertoire ou qui ne s’en soit inspiré.

Khar Mbaye Madiaga, Fatou Khar Mbaye à l’état civil, est en effet une source inépuisable d’inspiration. Elle allie une grâce et une légèreté exquises avec une voix d’une pureté sublime. Avec son éternel foulard négligemment posé sur la tête et qui participe à sa gestuelle ravissante, la chanteuse rufisquoise a un pouvoir unique de nous transposer dans un univers onirique où l’on peut se surprendre à avoir l’ego surdimensionné.

En même temps, on se sent fier d’appartenir à une nation ou une entité culturelle. Son pouvoir de nous redonner ce "Jomm" qui nous déserte souvent, elle l’a toujours exercé avec succès chez les lutteurs, sans que nos compatriotes aient réussi à le transposer chez les acteurs des autres disciplines sportives.

Sa mythique chanson "Kharo yalla", plus qu’un hymne à la bravoure, fouette nos consciences. L’ancien lutteur Moustapha Guèye avoue qu’entendre cette chanson, le transforme en "lion". Il fait plus que cela chez ceux qui ne sont que des spectateurs. De plus cette chanson serait, selon un jeune universitaire avec qui nous nous sommes entretenus, un appel au travail, un hymne contre la paresse ou le défaitisme.

Une chanson parmi d’autres qui exprime le même engagement et le même appel à rester soi-même et fier de ce que l’on est. C’est en vérité cela, Khar Mbaye Madiaga, une dame profondément ancrée dans les valeurs de nos terroirs.

Ayant vu le jour à Rufisque, un des foyers ardents de la vie politique, artistique et sportive du Sénégal, Khar Mbaye Madiaga n’a fait que répondre à l’appel du sang. Elle est issue d’une famille griotte, et la chanson, c’est ce qu’elle a toujours su faire, toute petite. Bien qu’elle ait hérité de ce don, cela ne l’a pas empêchée d’en apprendre les secrets chez les dépositaires de la tradition et d’en tirer la substantifique moelle qui constitue la quintessence de son répertoire d’une richesse lexicale sans égale.

La chanson, elle la pratique alors qu’elle n’avait que cinq ans. Autant dire une enfance précoce. Une époque où le Sénégal cherchait sa voie et luttait pour son indépendance avec une vie politique intense à travers les meetings et aussi les combats pour l’accession à la souveraineté internationale d’une manière générale. Elle prend part à cette lutte aux côtés de Me Lamine Guèye, le premier Président de notre Assemblée nationale, et Léopold Sédar Senghor, premier président de notre jeune République.

Des joutes politiques épiques durant lesquelles toute la richesse culturelle du pays était étalée par des griots très au fait de nos réalités et qui n’utilisaient pas leurs cordes vocales seulement pour soutirer de l’argent aux nantis, mais aussi pour galvaniser les hommes politiques en leur rappelant avec justesse leurs origines. Bien que talentueuse, Khar Mbaye était trop jeune pour chanter au micro. On était donc obligé de l’installer sur un tabouret afin qu’elle puisse faire sa prestation.

Coachée par son oncle, Babacar Mbaye Kaba, elle apprend beaucoup auprès de cet homme qui, pour l’encourager, lui disait de chanter parce qu’elle devait le faire. "Chante parce que tu dois le faire" l’encourageait-il. Qui peut résister à une telle invite, surtout si l’on est fier de ces origines ? La petite ne pouvait faire que cela et bien le faire. Et, de fait, elle l’a toujours réussi. Toujours…

Depuis toute petite, à l'occasion des "Mbappat" (séances de lutte nocturnes) dans les quartiers à Rufisque, notamment à Thiawlène et à Dangou. "À l'arène Makhary Thiam alors que Bassirou Diagne (Ndlr : l’ancien Grand Serigne de Dakar rappelé à Dieu) était seul à organiser des combats de lutte, il m'arrivait de jouer là-bas avec Fa Mbaye Diop et Diabou entre autres", disait – elle dans une interview.

Symbole de l’authenticité

"C'est le symbole de l'ancrage dans le chant originel ! Elle est la bonne synthèse des voix du Cayor et de celles des Lébous sans compter que sa carrière scénique lui a donné une discipline artistique sans commune mesure avec celle des autres ! Elle connaît le répertoire ancien mais le renouvelle sans cesse par une voix unique ! Elle est respectueuse de sa religion et des jeunes générations !", s’enthousiasme à son propos le professeur Massamba Guèye, l’un des meilleurs spécialistes de la tradition sénégalaise.

Khar Mbaye, une voix unique et inimitable. Oumar Sall, un acteur culturel convaincu, y va de ses explications en fouillant l’histoire. Il soutient avoir découvert la cantatrice à travers le son "Dounga kagn laay sey" qu’elle a interprété pour la première fois avec le "Gorom Orchestra" de Rufisque. Dans ce même groupe, poursuit Oumar Sall, il y avait aussi une certaine Yandé Codou Sène alors au sommet de son art en plus d’être la griotte attitrée de Léopold Sédar Senghor.

Deux divas au parcours et au registre exceptionnels. "Sans vouloir les opposer, à cette époque, Yandé Codou, par son talent mais aussi en étant la griotte de Senghor, "noyait" toutes les autres voix féminines. Or voilà que, dans ce son, les mélomanes découvrent une voix aussi "forte" que celle de Yandé Codou, presque masculine et posée avec un soupçon de mélancolie", renseigne Sall. Cette voix, c’était celle de Khar Mbaye Madiaga qui réussit à faire étalage de son grand talent dans un environnement presque macho.

Malgré tout, sous le charme du répertoire de cette diva atypique, des hommes n’éprouvèrent aucune gêne à reprendre son répertoire d’une beauté à vous couper le souffle. Une voix qui nous rappelle ce que nous sommes et devons être et met presque en transes l’enseignant chercheur Khadim Ndiaye. Lequel vit et enseigne au Canada :

"Ah, Khar Mbaye ! C'est une de nos grandes cantatrices qui nous rappellent que nous avons un riche patrimoine culturel. Sa voix unique, reconnaissable entre mille, apporte du baume au cœur et nous plonge dans nos traditions les plus reculées. Sa tenue vestimentaire ancrée dans le terroir, sa noirceur d'ébène, nous rappellent le Sénégal des profondeurs. Elle mérite amplement le titre d'ambassadrice et de représentante d'un grand pan de la culture sénégalaise". Les mots sont parfaits et véridiques.

Elle est tout cela, la grande diva. La cinéaste Laurence Gawron renchérit : "J’ai beaucoup d’admiration pour elle et j’avais eu envie à un moment de faire un film sur elle. Je ne suis pas une spécialiste mais je sais que c’est une vraie griotte qui connait bien l’Histoire. Elle est d’une grande beauté, dégage de la puissance de son être et de sa voix". Un timbre qui diffère de ceux des autres et qu’Oumar Sall juge unique dans sa façon de chanter.

"Je ne sais d'ailleurs pas si elle même s'en rend compte. Quand elle se met à chanter, elle a le cou abaissé. Ce qui fait sa différencie par rapport à beaucoup de chanteurs qui ont le cou allongé". Dans ce chœur presque parfait, tout le monde s’accorde à reconnaitre la beauté de la voix de Khar Mbaye Madiaga et cette tranche de feeling (mouchoir de tête mal ajusté, roulement des yeux etc.) dont elle s’enveloppe. Nous enveloppe, devrions nous dire.

Elle connait certes l’histoire de son pays, nos origines mais également les problèmes auxquels sont confrontés ses compatriotes notamment les jeunes. Qui ne se souvient pas de "Aaya bimbang" ou encore de cet hymne dédié aux jeunes et déclinée en "Xaleyi", une chronique des chômeurs et leur esprit de solidarité ? Elle ne chante pas pour chanter, la fille de Rufisque bercée par les eaux de la mer, mais déclame notre histoire, dit nos peines, nos joies et nos tourments sans jamais qu’on se lasse de cette voix pas comme les autres et jamais imitée tellement elle est unique.

"Khar Mbaye Madiaga est une grande dame qui a traversé les générations, et en qui chaque Sénégalais peut se retrouver. Ses chansons sont pleines de sens car éveillant les consciences, incitant à la réflexion et à la préservation de notre patrimoine culturel et historique. Sans oublier cette exceptionnelle beauté naturelle, qui est sa marque de fabrique", fait remarquer la nouvelle romancière Ndèye Fatou Kane auteure du livre "Le malheur de vivre". Symbole d'authenticité et de naturel, la diva de Rufisque reste un patrimoine qui se meurt tant la sauvegarde de son riche répertoire est compromise.

Identité musicale

Elle reste l’une des meilleures voix à se positionner dans le registre traditionnel sans l’altérer avec des instruments modernes. Du coup, Oumar Sall pense qu’un producteur qui ose pourrait faire beaucoup d’argent avec elle si Khar en a encore la motivation. C’est parce qu’elle est tant marquée par la déception qu’elle en est arrivée à désespérer de vivre pleinement de son art, elle qui a tout donné sans rien recevoir des autres. Notamment ceux qui ont spolié son patrimoine.

Des artistes qui reprennent son répertoire sans l’en informer ou qui le font sans y mettre le prix. Car presque tous les ténors de la musique sénégalaise ou jeunes divas modernes, à l’instar de la chanteuse Titi, ont repris ou se sont inspirés de son œuvre. Une œuvre qui constitue notre musique. Celle qui nous parle et dit qui nous sommes et qui pourrait nous rapporter plus que cette musique qu’Oumar Sall considère comme étant un patchwork dans lequel notre apport est infime, presque inexistant.

Sall dont la sentence ouvre des pistes de réflexions. Car, à l’en croire, "nous ne pouvons pas vouloir faire comme les autres car nous ne serons jamais meilleurs qu’eux alors que nous avons de quoi envahir le monde." Avec notre belle musique traditionnelle, bien sûr. Une musique qui tend à se perdre et dont des gardiens de la tradition comme Khar Mbaye Madiaga tentent tant bien que mal de lutter pour sa sauvegarde sans en avoir les moyens ni pouvoir en vivre pleinement.

Une grande dame incarnant la vieille génération dont les jeunes doivent s’inspirer pour faire jonction entre tradition et modernité. Là où pourrait résider tout le charme d’une musique hybride qui se cherche une identité et dont Khar Mbaye Madiaga est l’une des plus grandes dépositaires.

SENEPLUS





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