FESTIVAL: Saint-Louis Jazz surfe sur le doigté d'Omri Mor et la voix de Woz Kaly
Les spectateurs venus jeudi soir place Faidherbe, pour la deuxième soirée de Saint-Louis Jazz 2015, sont repartis éblouis par le spectacle que l’Israélien Omri Mor et surtout le Sénégalais Woz Kaly leur ont offert, plaçant déjà cette 23e édition à un niveau artistique fort appréciable.
Ils étaient nombreux à se demander ce que Omri Mor et son trio allaient bien proposer au public saint-louisien, qui le découvrait. Mais avec sa maîtrise du piano, le doigté de son contrebassiste et la parfaite intégration du percussionniste sénégalais Aziz Diop – rencontré seulement trois jours auparavant -, ils ont si bien joué qu’ils ont obtenu l’adhésion des mélomanes.
Les compositions du musicien israélien, l’un des jazzmen les plus en vue de son pays, épousent les contours d’un univers de mélodies et de sonorités plurielles venues d’Orient et d’Afrique, dont il fait voir et sentir les couleurs spirituelles. En solo ou avec les deux autres musiciens du tableau, Omri Mor a capté l’attention, donnant à son spectacle un niveau qui l’honore et donne raison à ceux qui l’ont programmé.
La prestation du trio a atteint les sommets sur une composition intitulée "Dakar", née de la rencontre entre Omri Mor et Aziz Diop, dont les percussions ont discrètement et parfaitement intégré le morceau ouvert par le piano de Mor.
Pour Woz Kaly, "content sur la terre de [ses] ancêtres", le défi avait un double volet : renseigner et rassurer les mélomanes et observateurs qui le suivent sur la santé de ses capacités vocales exceptionnelles, lesquelles ne cessent de prendre du volume, faire adhérer ensuite le public sénégalais à un style que des audiences ont déjà adopté à l’étranger.
Cette "confrontation" artistique a été d’un tel niveau que résume presque à elle seule la maîtrise vocale de Woz Kaly, qui a fait de cet instrument naturel (la voix) un moyen puissant de transmettre sensations fortes, émotions et messages aux relents très politiques.
Avec cette voix, l’auteur-compositeur chante la paix, l’amour, le Walo, terre de ses ancêtres du côté maternel, la protection de l’enfance, la Casamance de son père, etc. C’est d’ailleurs par le titre "Casamance", extrait de son premier album, qu’il a ouvert cette prestation, l’une des meilleures des trois dernières éditions du Festival international de jazz de Saint-Louis.
L’on a senti que l’actualité récente de centaines de migrants subsahariens ensevelis dans les abysses de la Méditerranée a suscité compassion, mais surtout colère chez Woz Kaly, qui profite de cette tribune pour dénoncer et interpeller ces élites dirigeantes africaines, "marchands de rêves", qui s’habillent en "costumes de sang" et vivent dans des "immeubles de sang".
Ce souci de glisser des messages politiques part toujours d’un arrangement artistique bien travaillé. C’est par exemple le cas sur cette reprise de "Bamba Bodian", classique du patrimoine sénégambien chanté par Lalo Kéba Dramé. Woz Kaly et ses musiciens vont au-delà de l’hommage à ce musicien disparu il y a une quarantaine d'années, pour se faire l’écho des aspirations légitimes du peuple gambien à plus de liberté et de démocratie.
Au propre comme au figuré, Woz Kaly a élevé la voix, jeudi soir place Faidherbe, ses envolées cherchant à toucher à la fois les cimes et les cœurs des mélomanes. Il chante la tradition, appelle à lutter contre l’excision, les violences faites aux femmes… Le tout à travers des rythmes et des mélodies dont l’essence traverse le Sénégal de part en part, allant du Walo (nord) à la Casamance (sud), en passant par le pays sérère, parmi d'autres contrées.
Et à 00h45, heure à laquelle Woz Kaly finit de saluer le public, ils étaient encore nombreux les spectateurs qui en redemandaient, visiblement éblouis et conquis par la prestation du musicien sénégalais et de ses amis. Ils n’avaient pas pour autant oublié l’excellente partition de l’Israélien Omri Mor. Parmi les plus belles soirées de l'édition 2015 du Saint-Louis Jazz, celle de ce jeudi soir comptera.
APS
