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Entretien avec Serigne Fallou Dieng, tête de file du Cercle des intellectuels soufis: La menace jihadiste


Samedi 28 Novembre 2015

Chef de file du Cercle des intellectuels soufis, par ailleurs petit-fils d’Ahmadou Bamba Mbacké, Serigne Fallou Dieng estime que le Sénégal est exposé aux menaces terroristes. À l’en croire la stigmatisation des adeptes du salafisme, qui rogne l’espace jusque-là occupé par les confréries, risque de mettre le feu aux poudres. Entretien exclusif avec SenePlus.


Comment analysez-vous les attentats de Paris ?

J’exprime tout mon sentiment d’abomination contre toute idéologie haineuse qui débouche sur des victimes innocentes. Mais d’emblée, je ne voudrais pas tomber dans une indignation sélective qui consiste à regarder Paris en fermant l’œil sur Bamako, Maiduguri, Baga Sola, Alep, Bagdad, Gaza. La violence est exécrable quel que soit son lieu de manifestation. Concernant les attentats qui ont ensanglanté Paris, il ne faut pas les analyser sous l’emprise de la colère ou de la compassion sur fond d’une certaine islamophobie. Il faut aller dans le tréfonds du problème pour pouvoir en cerner les véritables causes.

Selon vous quelles sont les véritables causes des attentats de Paris ?  

Tout le monde sait que, contre toute invraisemblance, la France, profondément déchirée par son multiculturalisme racialiste, traverse une guerre domestique très douloureuse. Elle est devenue un terrain de lutte fertile où se fermente «un code de pensée musulman» islamiste contre une théorie hégémoniste des valeurs judéo-chrétiennes caractérisées par ce «grand manteau des cathédrales et d'église» dont Nicolas Sarkozy faisait l'éloge par cette phrase : «Quand on voit la France d'en haut et qu'on voit ce long manteau d'églises et cathédrales, ça veut dire qu'il y a des siècles d'Histoire. C'est la rencontre entre l'Eglise et la royauté qui a permis à la France de devenir ce qu'elle est.».

Un tel discours ostracisant est supplée par celui de Marion Maréchal-Lepen, député frontiste du Vaucluse et nièce de l’actuelle présidente du FN qui lâche : «Il faut accepter de définir et de revendiquer quel est notre héritage et quelle est notre identité. Ça passe par l'affirmation de notre héritage gréco-romain et chrétien. Il faut dire que la France est une terre culturellement et très longtemps spirituellement chrétienne. Et dans ces conditions, si des Français peuvent être musulmans et exercer leur foi, il faut qu'ils acceptent de le faire sur une terre qui est culturellement chrétienne. Ça implique aujourd'hui qu'ils ne peuvent pas avoir exactement le même rang que la religion catholique.»

Même si les affirmations contenues dans ces deux discours sont discutables, en quoi elles ont pu déboucher sur les attentats de Paris dans lesquels chrétiens, musulmans, athées et agnostiques ont tous péri ?

De tels propos émanant de la droite raciste ont contribué à alimenter une certaine fracture religieuse entre citoyens français unis par le ciment laïque de la devise Liberté-Égalité-Fraternité. Donc la France engage une guerre protéiforme, celle domestique contre un pan de sa population intérieure qui est réfractaire aux valeurs de la République et qui sont mis en quarantaine dans les banlieues, dans les zones d'exclusion (Clichy-sous-Bois) et Seine-Saint-Denis. Mais cette guerre se prolonge extra-muros, au Mali, en Libye et au Proche-Orient pour des raisons géoéconomiques.

L’Occident est désigné comme responsable de toutes ces guerres ainsi que de l’avènement de Daech. Partagez-vous ce point de vue ?

La responsabilité de l’Occident sur l'avènement de Daech est indéniable. Il s'avère même de plus en plus que c’est une pure création occidentale, usinée dans les laboratoires de la CIA et de l’Otan. L’ex-Premier ministre anglais Tony Blair, dans un entretien accordé à la CNN, fait son mea-culpa en présentent ses excuses pour son rôle dans la désintégration de l’Irak et l’émergence du «Califat islamique ou Daech» par la référence à des renseignements erronés. Par la décision américaine d'envoyer Paul Bremer, comme administrateur de l'Irak, ce dernier a procédé à la dissolution du parti Baas de Saddam Hussein, d'interdire ses hauts responsables d'exercer une fonction au sein du nouvel État irakien post-saddamique.

Ce n’est pas nécessaire de remonter l’histoire pour démontrer que c'est la théorie du «chaos constructif» mise en place par les Américains et adopté par les Français qui est la matrice de ces schémas de dérèglement et de désintégration de certains Etats du Proche-Orient (Irak, Syrie) et d’Afrique (Libye). En sus, il faut ajouter que l’auto-responsabilité de la France dans ce terrorisme dont elle est victime trouve aussi ses fondements dans sa boulimie et son opportunisme financiers.

Ses meilleurs partenaires économiques sont les Qataris et les Saoudiens qui, pourtant assurent le financement des factions terroristes et radicales dont les succursales s’étendent jusqu’au cœur de Paris. Donc comment comprendre que la France subordonne ses choix politiques à des impératifs commerciaux sans aucune vision stratégique, qui, en fin de compte, se retourne contre elle ? D’une manière indirecte, elle participe à nourrir ce terrorisme-là qu’elle s’évertue à combattre. 

Pensez-vous que le Sénégal est concerné par la menace djihadiste, comme le laisse penser le Président Macky Sall ?

Bien sûr que oui ! Le Sénégal constitue bel et bien une cible potentielle du djihadisme et il n'est pas superfétatoire de dire que le Sénégal contient, dans sa typologie socio-confessionnelle et la constellation des types de groupe religieux, des ingrédients de détonation. Le Sénégal présente les mêmes symptômes «terrorigènes» que la France de par le volume du flux migratoire dans notre pays et le financement occulte de plusieurs mosquées par des pays étrangers. Le flux migratoire des peuls du Fouta, selon les recensements de novembre 2014, a atteint la barre des  trois millions avec une majorité de salafistes à forte tendance communautaire qui détonne avec le modèle confrérique de notre pays.

Au Sénégal, l’esprit du confrérisme est répandu un peu partout. Ce qui fait sa puissance, son hégémonie contre les modèles non-confrériques. Mais le flux migratoire important et le financement des adeptes locaux du salafisme venant de la pétromonarchie du Golfe secouent la prééminence de la «confrérisphère» sénégalaise.

Est-ce que la montée du salafisme constitue un risque réel de violence terroriste ?

Certes, au Sénégal, il n'y a pas encore d’actions qui puissent indiquer que les adeptes du salafisme ont une certaine inclinaison vers la violence terroriste mais une certaine stigmatisation oppressante cultivée de façon latente par les confréries et encouragée de façon patente par le pouvoir y mène. Alors toute violence qui naitrait de cette certaine exclusion ou ostracisme social ne s'exercerait pas alors idéologiquement sur une base religieuse, mais comme un instinct de survie ou une réaction naturelle face à une injustice. Il n’y a pas ou il ne doit pas y avoir d’exclusivité religieuse dans notre pays laïque.

En France des discours irresponsables, comme ceux du Front national contre l’islam, qui demandent la fermeture de toutes les mosquées salafistes, alimentent les haines et font le lit du terrorisme djihadiste qui n’est que la réponse d’une violence à une autre violence. D’ailleurs ce comportement irresponsable des responsables du FN a déclenché les réprobations virulentes du très éclairé sage Gérard Contremoulin qui le fustigeait par ces mots : «Pourquoi serait-il impossible qu'un homme, qu'une femme qui revendique une identité religieuse non catholique, et spécialement musulmane, n'aurait pas sa place dans la République française ! Pourquoi refuser aux musulmans ce que l'on accorde aux catholiques ?» On pourrait dire la même chose concernant les salafistes du Sénégal. Pourquoi leur refuser ce que l'on accorde aux adeptes de l’islam confrérique ?

Exclure un homme, une femme en fonction de ses origines et/ou de sa pratique religieuse n’est pas compatible avec le principe de la Liberté absolue de conscience. Ce serait de surcroit, abonder dans le sens des islamistes. Ils n'ont de cesse de rabâcher aux musulmans non fondamentalistes que la République n'est pas compatible avec l’Islam. Pourtant la liberté de conscience commence par la liberté des cultes. Dès lors, on est libre de choisir ses références spirituelles, d’adhérer à l'explication du monde de son choix. Ainsi devient possible la liberté de penser, de réfléchir, de revendiquer de ne plus se référer à une valeur transcendantale. Au Sénégal le fait de stigmatiser une représentation schématique de l'Islam sur une autre interprétation ou lecture doctrinale est de nature à créer des fractures sociales mortifères.

Interdire la burqa ou le niqab ne serait-il pas une forme de stigmatisation ?

S’agissant de la burqa, voici ce que Allah a révélé dans le Coran (Sourate 24La Lumière) : «Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu'elles rabattent leur voile sur leurs poitrines; et qu'elles ne montrent leurs atours qu'à leurs maris, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs maris, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs, ou aux femmes musulmanes, ou aux esclaves qu'elles possèdent, ou aux domestiques mâles impuissants, ou aux garçons impubères qui ignorent tout des parties cachées des femmes…»

Donc, Dieu n’a pas enjoint aux femmes de rabattre le voile sur le visage mais plutôt sur la poitrine. Mais libres aux femmes désireuses de se couvrir intégralement de le faire tant qu’une législation ne l’interdit pas. Mais le principe de précaution pourrait inspirer son interdiction comme le suggère les officiers de sécurité au Président. Seulement la démarche du Président est contestable parce qu’il ne dispose d’aucune prérogative lui conférant le pouvoir de restriction des libertés en matière du code vestimentaire. Tout monde sait qu'il n’a pas l’audace ni d’empêcher aux «Baye Fall» de porter leurs fameux habits en patchwork encore moins à beaucoup de femmes sénégalaises qui s’habillent presque nues.

Ces «Baye Fall» et ces «femmes sénégalaises qui s’habillent presque nues» ne constituent pas une menace pour la sécurité nationale comme pourrait l’être une personne qui se cache derrière un voile. N’est-il pas de la responsabilité du Président de prendre les devants afin d’éviter au Sénégal que les actes terroristes commis dans les pays de la région ou ailleurs et qui sont souvent l’œuvre de personnes drapées du voile intégral ?

Intelligemment le Président aurait dû faire comme son homologue français qui a mis à profit son discours au congrès français pour demander que l’on modifie la Constitution pour y inscrire l’État d'urgence assortie de mesures ultra-sécuritaires. Parce que l’État d’urgence est la suspension légale d’un fonctionnement pleinement démocratique. Dès lors que le Gardien de la Constitution veut imposer cette proscription vestimentaire spécifique à un groupe social arrimé à une certaine conception de l’islam, il risque de se heurter à des résistances qui, in fine, créeront plus de problèmes qu’il ne le soupçonnerait. Ce serait un cautère sur une jambe de bois et seul le Sénégal en pâtirait.




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