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Theatre

En privé avec... Lamine Ndiaye(comédien): «Désolé, mais ce que l'on voit à la télévision n'est pas du théâtre !»


Mercredi 5 Mars 2014

Mouhamadou Diarra à l'état-civil, Lamine Ndiaye est partagé entre le théâtre qui l'a façonné, et le cinéma qui l'a adopté. Président de l'Association des artistes et comédiens du théâtre sénégalais (Arcots) après la disparition du doyen Thierno Ndiaye Doss, il entend poser les jalons du renouveau théâtral au Sénégal. L'artiste s'est entretenu avec EnQuête.

Parlez-nous un peu de votre jeunesse

Avec quelques amis, on avait créé un cercle de jeunesse au niveau de la Médina. On organisait des marches populaires et revendiquait beaucoup de choses. C’est ce qui avait fait de nous de petits révolutionnaires contre le régime du président Senghor. Ma foi, cela a continué jusqu’au jour où nous fûmes arrêtés. Les forces de l’ordre nous avaient surpris en train d’écrire sur les murs des slogans hostiles au pouvoir.

A cette époque, il n'y avait point cette liberté d’expression démocratique comme c’est le cas aujourd’hui. Nous avions été conduits à la prison centrale de Rebeuss. On avait même failli être emprisonnés car Maître Abdoulaye Wade qui représentait l’État avait requis dix ans de travaux forcés contre nous. N’eût été le pool d’avocats qui représentait notre défense, on se serait retrouvé en prison.
Quels sont les avocats qui vous ont défendu ?

Je dirai seulement que c’était un pool d’avocats. Il y avait parmi nous des enfants issus de familles nanties. Et c’est ce qui nous a permis d’avoir de bons avocats et de ne pas être emprisonnés comme l’avait demandé Me Wade qui représentait le gouvernement en son temps. Par la grâce de Dieu, on a été libérés. Par la suite, le groupe s’est disloqué et chacun a pris sa destination dans la vie. Je faisais déjà du théâtre que l’on utilisait comme médium pour mobiliser les masses.

Qu’est-ce qui a déclenché chez vous le talent artistique ?

Après cet épisode de petit révolutionnaire, je suis parti travailler dans une boîte qui s’appelait Anovenan comme secrétaire et représentant commercial. Je faisais des applications pour la publicité dans notre journal. Quelques mois plus tard, j’ai quitté pour aller faire du théâtre. Au bout de quatre ans, j’ai embrassé la musique.

Je rencontrais souvent mon ami, le défunt Jacob Yacouba, à Caravane sérail. J’ai aussi été disc-jockey dans une boîte qui s’appelait Tabou avant de rejoindre le Sorouba de Louga. Étant un musicien polyvalent qui joue la guitare et les percussions, cette aventure a duré quatre ans. Actuellement, je joue et chante dans l’orchestre de Sandéné qui fait de la salsa. C’est ainsi qu’est parti le talent artistique.

Ensuite ?

Après Louga, je suis revenu à Dakar pour me consacrer entièrement au théâtre. C’est ainsi que j’ai intégré la troupe Jamonoy tey que j’ai dirigée après la retraite du doyen Abdoulaye Seck. La troupe a commencé à pratiquer l’art dramatique sous ma direction. En tout cas, ce n’était pas le théâtre qu’on avait l’habitude de voir.
Après un long chemin, avec Malick Ndiaye et quelques comédiens de Jamonoy tey, nous avions formé la troupe Libidor. Ensuite, j’ai intégré la compagnie nationale Daniel Sorano. Sept ans après, je suis parti en France. Une fois de retour au bercail, je suis retourné à Sorano avant de retourner encore en France pour travailler sur un projet qui m’a fait connaître la comédie française. Nous avions fait des tournées en France et dans les îles.

Entre le théâtre et le cinéma, où se trouve votre place ?

Ma place se trouve partout. C’est vrai que je suis un produit du théâtre, mais cela n’exclut en rien que je sois acteur de cinéma. Je précise acteur par ce qui est du théâtre, ne l’est pas au théâtre.

Pourquoi selon vous, le théâtre sénégalais a du mal à retrouver ses marques là où le cinéma prend un nouvel envol ?
Pour dire vrai, le théâtre est laissé en rade. Les moyens ne suivent pas et le cinéma est en train de prendre son envol. Tout le monde sait que le président de la République a alloué au secteur cinématographique un budget à hauteur d’un milliard de nos francs. Cela veut dire que les gens pensent beaucoup à la production. Et il faut reconnaître que la production théâtrale est en manque. Le théâtre est délaissé !

N’est-ce pas plutôt dû au fait que les acteurs du théâtre n’arrivent pas à s’organiser ?
Les hommes de théâtre n’ont pas de porte de sortie au Sénégal. Par exemple, les productions de Sorano ont baissé. Quarante années d’existence de la télévision ne sont pas parvenues à faire évoluer le théâtre sénégalais. Dans les foyers, le cinéma a déjà ravi la place au théâtre. Je pense qu’il faut remédier à cela et mettre tout en œuvre pour que le théâtre puisse s'épanouir. Le théâtre doit connaître son essor par le biais de la promotion et du marketing. Ce n’est pas une question d’association. Parce qu’on a beau s’associer, on ne s’en sortira jamais sans la moindre porte de sortie.

La distinction entre les théâtres amateur, populaire ou professionnel pose-t-elle problème ?

En réalité, il existe un théâtre professionnel fait par des professionnels qui ont appris la technique, et un théâtre pratiqué par d'autres comédiens qui, par amour, s'y intéressent à leurs heures perdues. On appelle ces derniers «amateurs». Le mot n'est pas péjoratif. Mais ici, ils pensent qu'on les réduit à néant en les taxant d'amateurs. Le talent existe certes, mais il manque la technique pour s'ouvrir vers le professionnalisme. Et cela est très important. Il faudrait que l'on forme les comédiens. On peut avoir le talent mais sans aucune notion technique, on ne sera jamais un professionnel du théâtre.

Comment expliquez-vous la prolifération des troupes au Sénégal ?

Je dis que les troupes privées commencent à tuer le théâtre. C'est vrai qu'il y en a beaucoup qui contribuent à l'épanouissement du théâtre, mais encore une fois, ce qui est important, c'est de former la plupart des comédiens. Je ne dis pas les acteurs de cinéma parce qu'il y a nuance. On peut être acteur sans être comédien et vice-versa. L'urgence est d'aller à la rencontre des troupes les mieux structurées pour essayer d'organiser des ateliers de formation.
C'est ainsi que le théâtre sénégalais pourra prétendre retrouver son lustre d'antan et rayonner aux yeux du monde. D'ailleurs, il est bon de rappeler que ce que l'on voit à la télévision n'est pas du théâtre ! Je suis désolé ! C'est des acteurs qui filment un sketch bouffon avant de le balancer sur le petit écran. Le théâtre se fait autrement. C'est un métier qui a une technique qu'il faut apprendre.

Quelle est votre feuille de route en qualité de président de l'Arcots ?

Nous avions déjà commencé à massifier les différents acteurs. On a été freiné dans notre élan par le décès de Thierno Ndiaye Doss. Aujourd'hui, nous avons repris avec la volonté de montrer un nouveau visage de l'Arcots. Nous multiplions les réunions à Dakar et dans les cellule régionales pour mieux nous organiser. On veut revoir nos textes, mettre en application nos lois, organiser des assemblées pour élire démocratiquement une équipe dirigeante.

Qu'est-ce qui retarde le démarrage de l'émission «Les planches à la télé» annoncée sur la RTS 1 ?

«Les planches à la télé» est un partenariat entre Arcots et la RTS 1. C'est un problème de financement qui fait que nous n'avons pas encore démarré le projet. Personnellement, je suis ce projet. Quand j'ai approché Pape Sy, le directeur des programmes de la télévision nationale, il m'a dit qu'il y a un problème d'argent qui nous empêche de mettre le projet en exécution. Par contre, nous avons un autre projet avec le théâtre national Daniel Sorano qui a accepté d'ouvrir ses portes pour accueillir régulièrement les prestations d'Arcots.

SENEWEB




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