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Opinion

Edito de seneplus: Paradoxe médiatique-Mar Momar Seyni Ndiaye


Lundi 25 Avril 2016

Ce n’est le fait d’avoir gagné six places depuis le dernier classement de Reporters sans frontières, qui nous consolera. Il en faudrait bien plus pour que le pouvoir actuel comprenne que les Sénégalais n’ont pas encore la presse qu’ils méritent


Le dernier rapport de Reporters Sans Frontière (RSF) classe le Sénégal à une déshonorante place de 65ème rang mondial sur les 185 pays recensés. On aurait à l’évidence, beaucoup d’incohérences à noter dans ce classement. Il serait fastidieux de les exposer toutes. On peut tout de même s’étonner de la deuxième position de l’Afrique devant des continents ou des zones où l’ancrage démocratique est plus prégnant. Et plus proche de nous que des pays comme la Mauritanie, le Niger ou le Burkina Faso devancent le Sénégal, vitrine démocratique en Afrique. On peut même douter de la fiabilité de cette taxinomie, car l’image de l’institution qui en est la génératrice a perdu beaucoup de son crédit.

En effet, le monde de la presse et l’opinion internationale ont découvert avec stupéfaction que l’ancien patron du mythique RSF, Robert Ménard, grand donneur de leçons devant l’Éternel, est maire de Béziers, une commune gagnée lors des récentes municipales françaises sous la bannière du Front national. Depuis son élection, ce sulfureux Ménard multiplie ses sorties effrontées, racistes et xénophobes contre les communautés émigrées.

Dans les écoles de sa circonscription, il s’est drapé d’outrecuidance par l’exercice d’un sordide comptage des élèves portant des noms à consonance islamique. Euréka ! À l’issue cette farfouille inqualifiable, il aurait découvert que 60% des écoliers fréquentant ces classes étaient d’origine musulmane. Sans sourciller, il avait révélé publiquement à la télévision sa trouvaille, en reconnaissant sans vergogne avoir commis un délit de faciès. Les informations judiciaires engagées contre lui, n’ont abouti qu’à une condamnation formelle. Comble d’hérésie, un tout jeune élève d’à peine cinq ans avait vu une flopée de foudres s’abattre sur lui et ses parents parce qu’il avait manifesté une empathie enfantine pour les terroristes pourfendeurs, du répugnant magazine Charlie Hebdo.

Même si Bob Ménard a depuis quitté RSF, ce souvenir du long passage de cet inique personnage donne encore froid au dos. Jusqu’au point de rendre non crédibles les rapports de RSF ? Certainement pas. Il n’empêche quand une organisation a pu garder à sa tête pendant des décennies, un homme aussi infâme que Robert Ménard, elle ne peut qu’inspirer doute et méfiance à l’opinion. Ces réserves d’usages faites, on peut lire tout de même ce rapport à la loupe, en osant espérer que la prime faite à la presse de régimes autoritaires, à peine sortis de la dictature, ne confortera pas ceux qui, en France, comme Ménard, estiment que l’Afrique s’accommode mal du luxe démocratique.

Sans doute faudrait-il aussi analyser sérieusement, les critères de notation motivant ce classement ! On y trouverait pêle-mêle sans doute le pluralisme médiatique, la nature préventive ou répressive des lois, l’exercice du droit à l’information des publics, du devoir d’information des professionnels, de la régulation et la gouvernance des médiats publics et privés, du rapport dialectique entre la liberté et la responsabilité, de la protection physique, morale et économique des journalistes et des limites fixées à l’exercice de leur profession, entre autres considérations.

Mais à l’analyse de cette grille, on verra facilement que le Sénégal est un véritable paradoxe médiatique ? En effet, des moyens de communication d’information, de collecte, traitement et diffusion y sont à profusion, dans tous les ordres de médias. Ce pays regorge de journalistes formés à bonne école. L’encadrement juridique, du moins sur le plan formel est acceptable puisque le code de la presse s’inspire profondément de la loi française du 31 juillet 1881 octroyant des libertés essentielles, d’expression, d’association, d’information pour tous les moyens (écrit, son, image), en public ou en privé. Le tableau n’est pas si idyllique que cela, certes. Mais,  la presse sénégalaise ne recèle, de façon particulière, ni plus ni moins de scories que la plupart des médias de son environnement externe.

D’où viendrait donc l’explication de cette indigne posture de la presse sénégalaise ? Un petit flash back ! Après avoir vécu dans un système institutionnel d’information de type autoritaire de 1960 à 1980, au départ de Senghor, le Sénégal a connu de sensibles avancées certes limitées, de 1981 à 2000, sous le régime d’Abdou Diouf, à la faveur de l’ouverture démocratique intégrale.  Alors que l’essentiel des journaux privés étaient des organes de Partis politiques, on a assisté à partir des années 90 à l’émergence d’un patronat privé constitué cette fois, par des journalistes-éditeurs. D’où une vraie presse privée libre et passablement équidistante, mais en gros, crédible.

À  la faveur de l’adoption du principe de la déclaration préalable en lieu et place de l’autorisation préalable, une loi scélérate, la floraison d’une presse variée, de qualité, se permettant toutes les audaces, ne tarda pas à poindre. Malgré la dure répression du régime socialiste enkystée et imprégnée de propagande senghorienne recyclée par le régime à peine plus tolérant de Diouf, la presse sénégalaise s’illustra par une amélioration constante dans la forme et le fond.

Dans les années 2000, la désillusion fut grande. Le Président Wade, amoureux de la presse et éditeur de plusieurs titres à grand tirage durant les années de braise de l’opposition, fait preuve d’une telle intolérance vis-à-vis de la presse qu’il finira par en être l’ennemi numéro un. La boulimie et la culture propagandiste du service public de la radio, télévision, presse écrite et d’agence héritées du régime de Senghor, confinaient le Sénégal dans une sorte de dualité malsaine : une presse privée conquérante, organisée et consolidée en Groupes Multimédia, une presse publique aux ordres, timorée ou la censure, l’autocensure et le carriérisme sont légion.

Des marabouts menacent les journalistes par des fatwas, en bastonnent, surveillent des bancs de montage ou encore confisquent des bandes audiovisuelles, sous l’œil apeuré du DG du service public. Sans la moindre réaction du ministère de tutelle. Et avec une timide indignation des journalistes.

Hélas ! La rupture que promettait le Président Sall a fait long feu. Certes de nouveaux groupes et titres de presse sont venus sur la scène médiatique, élargir et enrichir l’offre aux publics devenus un tantinet exigeants. Certes des écoles de formation de journalistes essaiment à Dakar et même dans les régions. Mais le décorum version 2012 comme un sempiternel remake reste le même. Les violations des droits des journalistes sont monnaie courante. À la moindre incartade, des présentateurs de radios ou journalistes de presse sont convoqués à la Division des investigations criminelles (DIC), retenus pendant des heures avec à la clé des interrogatoires musclées, en guise d’intimidation. Des policiers zélés, s’en prennent aux reporters en image, harponnent ou cassent leur matériel de vidéo ou de son.

L’obsolète article 80 (offense au chef de l’État) et tant d’autres du code de procédure pénale pendent comme une épée de Damoclès au-dessus des journalistes, des avocats et même des hommes politiques. 

Pis encore, un important secteur de la presse privée tombe sous la coupe réglée de patrons de presse et des chefs d’entreprise politiquement engagés aux côtés du régime, ouvrent grandement les portes de leurs médias au pouvoir. Connivence, complicité et collusion. Ces Groupes de presse sont contrôlés, manipulés, téléguidés par les proches du Président Sall, qui les administrent professionnellement comme des médias d’État. Le Président Sall leur voue une reconnaissance et une attention… tarifées, après avoir qualifié malencontreusement, les organes de presse privé, de «sans programmes» et reproché aux journalistes d’inviter «n’importe qui».

La bienveillance que son régime trouve dans le traitement de l’information de ces médias jadis si prompts à la critique et si dévoués à l’équidistance laisse croire à l’émergence d’une nouvelle conception du Partenariat-Public-Privé, qui dénature à l’évidence, la fonction primaire d’une presse tout court, à plus forte raison, une presse privée.

Que reste-t-il de l’indépendance de notre presse  privée, alors que le service  public n’ose  pas même en rêver ? Des relents de subjectivisme coloré sont même soupçonnés dans la gestion relationnelle entre ces patrons de presse de le pouvoir.

Pendant ce temps, la presse publique comme jamais est mise au pas. Le DG du plus grand média de la presse audiovisuelle publique, est un maire APR. Son attitude autoritaire et son manque évident d’éthique professionnelle, rappellent singulièrement le parcours sinueux de nombre de ses prédécesseurs. Heureusement pas tous. Car ce média recèle heureusement dans son histoire des hommes de valeurs et autres professionnels  dignement reconnus. Dans le service public de la radio et de la télévision, des journalistes valeureux gardent encore la tête haute. À l’image de ce jeune journaliste dont on a censuré et supprimé l’émission, parce qu’il a refusé de se soumettre au diktat de son patron, Monsieur le Maire/DG. La couverture du référendum du 20  mars a révélé toutes les facettes de ses  incroyables facéties.

Au fond, en dépit d’un environnement juridique, professionnel probant, la presse sénégalaise confirme bien que d’exception démocratique, notre pays est passé à la déception démocratique. Et ce n’est le fait d’avoir gagné six places depuis le dernier classement de RSF, qui nous consolera. Il en faudrait bien plus pour que le pouvoir actuel comprenne que les Sénégalais n’ont pas encore la presse qu’ils méritent. La 65ème place reflète bien notre situation médiatique. Pour autant, nous ne la méritons pas ! Ce que le pouvoir frappé de berlue ne veut pas voir.

SENEPLUS




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