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Opinion

Edito de seneplus: La tentation du mandat unique-Par Serigne Saliou Guèye


Jeudi 7 Avril 2016

C’est fait ce 6 avril 2016. Patrice Talon est investi président de la République du Bénin. Selon l’article 53 de la Constitution du 11 décembre 1990, le successeur de Boni Yayi a prêté serment en ces termes : « Devant Dieu, les Mânes des Ancêtres, la Nation et devant le Peuple béninois, seul détenteur de la souveraineté; Nous Patrice Athanase Guillaume Talon, président de la République, élu conformément aux lois de la République jurons solennellement : de respecter et de défendre la Constitution que le Peuple béninois s'est librement donnée, de remplir loyalement les hautes fonctions que la Nation nous a confiées… »


Le point focal du magistère Talon sera la mise en œuvre des réformes institutionnelles comme il l’a laissé entendre lors de son discours d’investiture : «Je m’emploierai à faire de ce mandat un instrument de rupture et de transition devant aboutir à la mise en place des grandes réformes politiques et institutionnelles que nous avons tous appelées de nos vœux.» Mais de ses engagements de campagne, celui relatif à la réforme du bi-quinquennat en mono-quinquennat semble la plus intéressante parce qu’elle concerne la durée du mandat présidentiel.

Dans une interview accordée au site de Jeune Afrique, le 1er octobre 2015, le futur candidat du « Nouveau départ » déclarait : «Le principe du mandat unique en est une. Il faut supprimer la possibilité de renouvellement qui nuit à l’efficacité du pouvoir. Le premier réflexe d’un président élu est de s’assurer de sa réélection. Si j’accède à la magistrature suprême, ma première mesure sera de modifier la Constitution en ce sens. Et d’une manière générale, il faut trouver des mécanismes pour renforcer les partis politiques les plus représentatifs. Aujourd’hui au Bénin, il est devenu ordinaire que les acteurs politiques disent sans gêne ne plus vouloir être dans l’opposition parce qu’ils veulent être du côté du gagnant. » Le 16 mars dernier, au micro de RFI, il se montrait plus catégorique : « Moi, je partirai dans cinq ans, c’est certain. Je ne remettrai pas en cause ma parole parce que je suis un homme de conviction. »

Si une telle réforme est adoptée, ce sera une grande révolution démocratique en Afrique dans un océan de pays où la limitation du mandat présidentiel n’est qu’une simple disposition dont la réformation ne dépend que du bon vouloir du Prince de prolonger son règne. Combien sont-ils ces chefs d’Etat qui n’ont pas hésité à manipuler leur charte fondamentale pour briguer un mandat supplémentaire illégal ? Paul Kagamé, Pierre Nkurunziza, Denis Sassou Nguesso, Joseph Kabila, Abdelaziz Bouteflika, Idriss Deby ont fait sauter les verrous constitutionnels limitant les mandats à deux.

Au Cameroun, en Ouganda, au Gabon, au Djibouti, en Guinée équatoriale, la non-limitation du mandat présidentiel déroule le tapis d’une présidence à vie à Paul Biya, Yoweri Museveni, Ali Bongo, Ismaïl Omar Guelleh et Téodoro Obiang. En Angola, au Soudan et au Zimbabwe, José Eduardo Dos Santos, Omar El Beshir et Robert Mugabé, après plusieurs décennies de règne s’offrent chacun deux mandats de cinq ans constitutionnalisés qui devraient prendre fin respectivement 2022, 2020 et 2023. La Gambie et le Togo se sont ouvertement prononcés contre la limitation du mandat présidentiel au niveau sous-régional tel que prônée par la CEDEAO le 20 mai 2015 à Accra. En Erythrée, il n’y a jamais d’élection ; le président-dictateur Isaias Afwerki avec son parti unique au pouvoir depuis 1993 règne à vie.

En octobre 2014, Blaise Compaoré a été contraint par le peuple burkinabè de quitter le pouvoir alors qu’il tentait de tripatouiller la Constitution pour prolonger ses 27 de règne sans partage. Au Sénégal, le président Abdoulaye Wade qui a voulu briguer un troisième mandat a subi la sanction populaire lors de la présidentielle de février-mars 2012. Son successeur, le président Macky Sall qui s’était promis lors de la campagne de l’entre-deux tours de la présidentielle de 2012 de réduire le septennat en quinquennat en se l’appliquant s’est finalement incliné devant la « décision » du Conseil constitutionnel qui l’astreint à effectuer un septennat plein pour être juridiquement en phase avec le serment de la Constitution. Il s’en est suivi une polémique politicienne qui a pollué l’espace politique pendant plus deux mois.  

Maintenant au vu et au su de ce que deviennent certaines promesses de campagnes compte tenu des contingences et opportunismes politiques, il y a lieu de poser des questions et émettre quelques réserves sur la probabilité de la viabilité de la réforme du bi-quinquennat en mandat unique. D’abord faire un mandat unique freinerait toute velléité de transhumance et éviterait à mettre le pays dans une campagne électorale prématurée surtout quand l’on sait que les premiers mandats sont exercés avec une volonté tenace d’assurer sa réélection. Mais le danger du mandat unique consiste à favoriser un climat fait de guerre de positionnement et de luttes successorales au sein de la majorité au point que s’occuper du mieux-être de la population pour lequel on a été élu devient secondaire. Alors comment vouloir mettre en œuvre sa politique économique efficacement en gérant en permanence dans son camp les guerres de positionnement de certains prétendants à la succession du leader ?

Patrice Talon, hormis les réformes institutionnelles à engager et qui demande du temps pour les consultations et concertations avec tous les acteurs de la vie démocratique béninoise, a promis de relancer l’activité économique en déclin, de développer le secteur de la santé et de l’éducation mal en point. Avec tous ces chantiers à mettre en œuvre, cinq ans suffiraient-ils au nouveau président pour imprimer ce nouveau départ tant attendu par le peuple béninois ? Les choses n’en sont pas moins sures.

D’un point de vue juridique, la future réforme pourra-t-elle être d’application immédiate pour le nouveau président béninois si l’on considère dans ce cas de figure que la loi n’est pas rétroactive ? A l’instar du Conseil constitutionnel sénégalais sur l’impossibilité de réduire le septennat en quinquennat avec application immédiate par le président Macky Sall, la Cour constitutionnelle béninoise risque de buter sur l’écueil de la non-rétroactivité de la loi dès lors qu’il n’est pas permis de mettre une disposition transitoire qui ne viserait qu’une seule personne alors qu’une Constitution, par essence, est intemporelle et impersonnelle. Dès lors des incitations à briguer deux mandats ne risquent-elles d’être agitées par son entourage d’autant que la durée quinquennale s’avère courtissime pour réaliser une bonne partie des promesses de campagne ?

Si le président Talon est enserré dans le corset juridique qui l’astreint à respecter les deux mandats de cinq ans pour lesquels il a été élu, une seule porte de sortie pourrait s’offrir à lui : démissionner pour respecter la promesse de faire un mandat unique. Nelson Mandela, qui avait l’opportunité de briguer un second mandat, a préféré tirer sa révérence après avoir impulsé la concorde de la nation arc-en-ciel par l’installation de la Commission Vérité et Réconciliation, laquelle a sans doute contribué à épargner un bain de sang à l’Afrique du Sud libérée de l’Apartheid. Talon le talonnera-t-il dans cette voie de la sagesse ? Les contingences et les avatars de la politique nous diront.

SENEPLUS




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