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Opinion

Edito de seneplus: L’ÉQUATION DES MÉDIAS Par ALYMANA BATHILY


Samedi 13 Février 2016

Les Sénégalais doivent être en capacité de comprendre les contenus pour choisir en toute connaissance de cause et demander éventuellement des offres plus conformes à leurs besoins et goûts


La place de la politique dans les médias sénégalais n’est-elle pas exagérée ? Ne réduit-t-elle pas celle des sujets tout aussi importants tels que le développement, les droits humains, le sport, la culture, la distraction ? Ainsi depuis le discours  de fin d’année du président de la République et la confirmation de sa volonté de réduire le mandat présidentiel de 7 à 5 ans, la presse écrite, la radio et la télévision ne consacrent ses «Unes» et émissions phares qu’à ce seul sujet.

«Macky Sall a-t-il vraiment l’intention de respecter son engagement ?», «Pourquoi un référendum ?», «Le chef de l’État est-il tenu de suivre l’avis du Conseil constitutionnel ?»... Ces questions tournées et retournées dans tous les sens, déclinées en français et en wolof remplissent nos médias depuis près des semaines. Auparavant, c’était de «l’affaire Lamine Diack» dont les médias faisaient leurs choux gras. Et tous les jours pratiquement, le feuilleton de la  «guérilla» entre Macky Sall ou l’APR et le PDS, dans ses développements successifs, «la bataille à l’Assemblée nationale», l’emprisonnement de tel ou tel leader de l’opposition, sont en exergue dans la presse écrite et dans les médias audiovisuels.

Pourtant dans la même période du mois de janvier plusieurs faits de première importance, aux plans économique et social sont survenus qui auraient dû susciter une plus grande couverture médiatique. Il s’agit notamment de la campagne arachidière 2015 dont les journaux et les radios ne donnent que des comptes rendus ponctuels et contradictoires. Certains présentent le point de vue du ministère de l’Agriculture insistant sur une production record de plus d’un million de tonnes et l’exportation vers le marché chinois. D’autres indiquent que la production n’a pas atteint le record indiqué, que les paysans ont été obligés de brader leur production au-dessous du prix indicatif fixé par le gouvernement et que les huileries n’ont pas pu collecter les tonnages voulus.

Ainsi donc à travers la campagne arachidière de cette année se posent des questions graves. La famine menace-t-elle le monde rural ? Les emplois dans les huileries sont-ils menacés du fait de l’insuffisante quantité de graines collectées ? Quel repositionnement stratégique pour la SUNEOR, la principale huilerie du pays ? Ces questions auraient certainement mérité des enquêtes approfondies, des points de vus divers, susceptibles de susciter un débat national.

Autre fait qui aurait mérité un traitement approfondi : l’annonce par le secrétaire général du syndicat des agents des Impôts et Domaines sur les «remises gracieuses» accordées par l’État à des «entreprises nationales ou privées» représentant 50 milliards de recettes en 2014. Au regard de leur rôle de «chien de garde», les médias auraient pu (dû) creuser cette information et édifier les citoyens sur la manière dont le budget de l’État est établi ainsi que sur les priorités et les hiérarchies qui sont observées.

Il en est de même de la proposition de projet de loi portant sur l’avortement médicalisé dont une dépêche annonçait le dépôt depuis 2 mois, selon l’Association des juristes sénégalaises. Cette nouvelle aurait pu (dû) être l’occasion de documenter la question de l’avortement médicalisé auquel s’oppose farouchement certains milieux maraboutiques et traditionalistes alors qu’elle est portée avec fougue par les associations de femmes ainsi que par plusieurs intellectuels.

Dans un ouvrage collectif intitulé «Où vont les mass médias» paru il y a plusieurs années, Alassane Guèye, un journaliste économique faisait ce constat sur les contenus des médias sénégalais : «L’action du gouvernement, les déclarations des partis politiques, celles de leurs dirigeants ou d’autres personnalités, prennent toujours le devant, tandis que des questions d’ordre social ou économique sont reléguées au second plan…» Il ajoutera pour illustrer son propos : «Un cas exemplaire est la couverture de l’économie dite ‘informelle’, un secteur représentant probablement 60% du PIB mais négligé de manière presque systématique.»

Un autre journaliste, Birima Fall, donnera lui comme exemple la couverture de l’environnement qui représenterait moins de 5% du contenu des médias. Autre exemple : la place des femmes dans les médias, «place marginale dans les contenus d’information» selon une étude menée par «Article 19» prenant en compte la presse écrite, la télévision et la radio. Le rapport dit : «Même dans des domaines où leurs rôles, leurs activités ou leurs statuts et leurs responsabilités les interpellent au premier plan, les femmes apparaissent souvent de manière incidente… La couverture ne découle pas généralement d’une initiative propre à la rédaction de traiter ces sujets, elle est surtout motivée par des agendas extérieurs.»

De même, concernant les enfants : très peu de contenus spécifiques, répondant aux besoins, attentes et droits de cette catégorie. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) appelait ainsi, dans son rapport intitulé : «Vers une nouvelle société médiatique : les grands chantiers», à créer des contenus susceptibles d’établir «un nouveau rapport à l’audiovisuel : les esprits de nos enfants ont besoin de nourriture, de rêve et de protection».

Ces carences des médias sénégalais relèvent de plusieurs raisons selon les différents analystes que nous avons consultés. Voici ce qu’en dit le journaliste, éditeur et formateur Tidiane Kassé : «Tous les médias tirent ensemble sur les mêmes ambulances, c'est parce qu'on ne cherche plus le fait particulier, l'originalité qui fait la différence… Les angles d'attaque des articles ne cherchent plus à faire valoir les préoccupations des communautés, mais à traduire les promesses et les querelles des politiques.»

Selon Alassane Guéye, reflétant une opinion qui semble largement partagée par les analystes, «ces problèmes s’expliquent en partie par les déficits de formation dont souffrent nombre de journalistes, mais aussi par l’exploitation de jeunes journalistes comme stagiaires ou pigistes sans encadrement de la part de leurs supérieurs».

Tidiane Kassé partage cette opinion, qui indique que le «flair journalistique», à savoir cette capacité à aller chercher l'information et non pas à attendre que des communicants vous l'imposent» fait défaut et que «les capacités d'enquête, de vérification et de recoupement de l'information sont devenues faibles».

Mandiaye Gaye s’interrogeant sur la question dans les colonnes de notre confrère Leral.Net faisait quant à lui le diagnostic suivant : «Ce sont des politiciens véreux encagoulés et des affairistes aux ambitions politiques dissimulées, complices et suppôts des pouvoirs en place, qui ce se sont accaparés des groupes de médias, à des fins politico-commerciales.»

D’autres spécialistes des médias, faisant remarquer qu’en fait la politique est de plus en plus présente dans les médias à côté de la lutte, des faits de société, du people, de la musique et de la danse, attribuent cet état de fait à la situation économique désastreuse des médias. Les journaux, radios et télévisions ne sont dès lors préoccupés que par la vente de leurs titres et de leurs espaces à la publicité. Pour amoindrir leurs coûts ils ont recours quasi exclusivement à des «stagiaires» mal payés, font fi de toute éthique et déontologie et tentent vaille que vaille à répondre à ce qui leur semble être la pulsion du moment du consommateur.

Cependant font remarquer certains spécialistes, il s’agit là somme toute d’une évolution, peut-être pas souhaitable, mais naturelle puisqu’on la retrouve dans tous les pays du monde. Elle est seulement aggravée d’une part par la situation de pauvreté de ce pays et des pays d’Afrique en général et d’autre part par l’apparition de l’Internet et du numérique. Ce qui manque, soutiennent-ils, la seule alternative, c’est l’éducation aux médias, dès l’école, des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Les Sénégalais doivent être en capacité de comprendre les contenus qui leur sont proposés pour choisir en toute connaissance de cause et demander éventuellement  des contenus plus conformes à leurs besoins et goûts.

Les mêmes spécialites plaident en outre pour une véritable régulation des médias sur la base de cahiers de charges spécifiques pour chacune des trois catégories requises en démocratie que sont les médias de service public, les médias privés commerciaux et les médias privés communautaires.

SENEPLUS




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