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Opinion

Edito de seneplus: Au-delà de la proscription-Par Serigne Saliou Guèye


Vendredi 1 Avril 2016

À peine l’ouvrage Les derniers jours de Muhammad de la Tunisienne Hela Ouardi est-il exposé dans les rayons des librairies que l’Organisation islamique Jamra et l’Observatoire de Veille et de Défense des Valeurs Culturelles et Religieuses, Mbañ Gacce, ont interpellé les autorités sénégalaises notamment le Premier ministre pour l’interdiction de sa vente assortie de son retrait de tous les sites de distribution.

Ce dernier n’a pas tardé à répercuter l’information au chef de l’Etat (absent du pays) qui lui a donné des instructions fermes «pour qu’il soit immédiatement mis un terme à la commercialisation de ce livre provocateur, qui jette le discrédit sur l’icône de la religion musulmane». Et c’est ainsi que la police diligentée a investi les librairies indexées pour retirer le livre blasphémateur avant que l’on ne procédât à l’autodafé. Ainsi l’ouvrage Les derniers jours de Muhammad vient grossir l’Index librorum prohibitorum du Sénégal.

Comme à l’accoutumée, Jamra et Mbañ Gacce se sont mis à l’avant-garde de la défense des valeurs de l’Islam constamment attaqué dans des productions écrites ou filmiques. Dans un monde ou l’islamophobie et la christianophobie et l’antisémitisme se développent à une vitesse supersonique, dans un monde où certains intellectuels pétris de haine religieuse s’évertuent à saper les fondements des religions révélées par des discours et des productions empreints d’impiété, de blasphème en traitant leur Dieu de démon, leurs prophètes d’imposteurs, leurs pratiquants d’égarés, il n’est pas étonnant de voir des intellectuels de la trempe de Hela Ouardi produire des contre-discours antireligieux hérétiques qui suscitent indignation, réprobation et condamnation. Les dérives islamophobes et les outrances anti-musulmanes qui font florès à travers les discours, les productions écrites ou audiovisuelles servent de levain aux adeptes du clash civilisationnel. Et l’ouvrage de la Tunisienne n’échappe pas à cette logique huttingtonienne.

Mais au-delà de l’interdiction qui semble être le seul remède pour lutter contre les écrits islamophobes, Jamra et Mbañ Gacce doivent orienter leurs combats sur le terrain scientifico-intellectuel. La proscription que prônent ces brigades de la foi ont montré leur limite parce que ne remettant point en cause la fiabilité et le caractère scientifique des arguments des contempteurs de l’Islam.

Dans un village planétaire où les 7 milliards de ses habitants sont voisins grâce à la magie du numérique, ce serait peine perdue de vouloir interdire la vente d’un ouvrage dans une librairie alors accessible sur le marché mondial qu’est la toile. La meilleure publicité qu’on peut faire d’un ouvrage aujourd’hui, c’est de l’interdire. D’ailleurs plusieurs Sénégalais qui n’étaient pas au courant de la sortie de ce livre se sont précipités sur le net pour le découvrir. C’est donc dire qu’au troisième millénaire, l’interdiction ou la censure se révèle tout simplement contre-productive. Quand en 1988, la vente des Versets sataniques de Salman Rushdie faisait l’objet d’une interdiction sur l’ensemble du territoire national, l’internet était encore le domaine privilégié de l’armée américaine.

Le remède efficace contre certaines productions qui blessent la religion, c’est de réfuter intellectuellement les arguments qui y sont développés. La proscription fait bien plus de bien à l’ouvrage incriminé parce qu’elle laisse entières et irréfutables les positions de l’auteur. Aujourd’hui sans le vouloir, les brigades de la foi musulmane ont fait au Sénégal la promotion du livre de Hela Ouardi en voulant interdire sa vente. Depuis que le livre est paru en France, il n’y a qu’au Sénégal où il est interdit de vente. Même des pays comme l’Algérie ou l’Iran, très réputés pour l’interdiction des livres blasphémateurs, n’ont pas énoncé des mesures prohibitives ou censoriales. Quand bien même l’auteur y développerait un argumentaire jetant le discrédit sur le prophète de l’Islam, la meilleure façon de lui apporter une réplique cinglante, c’est de produire un contre-discours solide qui réfute et déconstruit son argumentaire.

Devant toute production littéraire ou scientifique, fût-elle blasphématoire, l’émotivisme du lecteur ne doit prédominer son intellectualisme. Même si l’ouvrage de la chercheuse tunisienne peut servir de référence aux tenants des thèses islamophobes qui cherchent une source de légitimation académique pour exprimer ce que l’islam inspire comme ressentiment, haine et peur, il appartient aux penseurs musulmans de produire des écrits savants qui mettent à nu la mauvaise foi et l’imposture intellectuelle dont se nimbent les contempteurs de la religion du prophète Mahomet pour mener leur inlassable combat.

Dans l’ouvrage Les derniers jours de Muhammad, il est facile d’y trouver des postures et des impostures qui atrophient les thèses désinvoltes de Hela Ouardi. Dès l’incipit, cette œuvre semble donc être celui d’une savante qui exprime une analyse ponctuée de faits et de données traditionnelles et historiques avérées. Mais l’on se rend vite compte qu’elle est toute faussement orientée par des rumeurs extérieures et humeurs et fureurs intérieures.

Quand cette dernière soutient dans une interview accordée au site lepoint.fr que «son livre n'est pas une œuvre de fiction et que c'est le résultat de trois ans de lecture attentive du Coran, des hadiths, c'est-à-dire les faits et les dires que l'on attribue au Prophète, et des récits biographiques publiés après sa mort», il n’empêche qu’elle navigue tout au long de son ouvrage-fleuve de 368 pages dans des probabilités et incertitudes qui actent l’irréalité séquentielle de son récit.

D’ailleurs, Asif Arif, avocat au Barreau de Paris, enseignant en Libertés Publiques et directeur du site Cultures et croyances, bat en brèche l’ouvrage de Hela, remet en cause l’authenticité des propos rapportés et provoque un débat intellectuel qui enflamme la toile. À la lecture de l’ouvrage de la chercheuse tunisienne, il déclare : «On s’aperçoit que les sources fondamentales de la chercheure sont le Coran et les Traditions et paroles rapportées du Prophète Muhammad. D’ores et déjà, nous pouvons émettre un léger clignement de sourcils en se posant la question de l’authenticité des paroles rapportées. Tout islamologue le sait, les paroles rapportées sont à analyser au regard de deux conditions d’authenticité : une condition objective (Semblent-elles cohérentes avec la période historique, la localisation du Prophète ? Sont-elles relayées par un personnage fiable de l’histoire de l’islam ?, etc.), mais également une condition subjective (Semblent-elles cohérentes avec la personnalité du Prophète ?). Or, l’auteure ne prétend pas avoir distingué ces deux conditions préalables, ce qui présupposent déjà que les paroles rapportées qui ont été utilisées par ses soins soient celles qui ont été ajoutées au fil du temps ou tout simplement inventées au cours de l’Histoire.»

Même si l’intervention d’Asif Arif est loin d’être suffisant pour invalider les recherches de Hela, elle a le mérite d’avoir soulevé un débat intellectuel là où des intellectuels comme Mame Mactar Guèye et Imam Massamba Diop optent pour la méthode pécheresse de l’interdiction. Jamra et Mbañ Gacce ne doivent pas être érigés en tribunaux inquisitoriaux censoriaux mais comme des plateformes de réflexion et de riposte intellectuelle à toutes ces attaques itératives contre l’Islam et son prophète.

Bien avant Salman Rushdie et après lui, une kyrielle de livres islamophobes (Mahomet de Maxime Rodinson, 1994, Mahomet, Le Seigneur des tribus. L'Islam de Mahomet de Jacqueline Chabbi, 1997, Aux origines du Coran, questions d’hier, approches d’aujourd’hui d’Alfred-Louis de Prémare, 2004, Insoumise d’Ayaan Hirsi Ali, 2005, Mahomet. Histoire d’un Arabe. Invention d’un prophète de Tilman Nagel, 2012, Le grand secret de l'Islam d'Olaf, Odon Lafontaine, 2015) ont été publiés en Europe et vendus au Sénégal et tous ne peuvent subir le supplice de l’autodafé des tribunaux de la foi. Et il y en aura encore.

Il est fort compréhensible que l’Exécutif notamment son chef bouleversé par le débat polluant sur la laïcité et l’homosexualité et afférent aux réformes constitutionnelles donne hâtivement un blanc-seing à Jamra et Mbañ Gacce pour montrer ostensiblement leur attachement inoxydable aux valeurs islamiques. Mais il est maladroit en République que l’Etat puisse souscrire aux desiderata de ces polices de la foi sans avoir jeté un coup d’œil critique sur le livre blasphématoire de Hela Ouardi et sans s’en référer au ministre de l’Intérieur qui, en pareille occurrence, est habilité en vertu des articles 248 et 250 du code pénal de prononcer une mesure d’interdiction. Aujourd’hui toute velléité spontanée ou irréfléchie de censure ou d’interdiction d’une production cache mal une impuissance capitularde à engager une riposte intellectuelle appropriée à la hauteur de l’attaque subie.

SENEPLUS





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