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Edito de seneplus: Artifices sémantico-juridiques par Serigne Saliou Guèye


Lundi 4 Janvier 2016

Dans l’affaire Oumar Sarr, le Procureur a passé outre la loi et usé de sa posture de bras armé de l’Exécutif pour commettre une forfaiture en mettant au gnouf un adversaire politique du pouvoir


«L’argent sale, l’argent de la triche, l’argent du dopage dans l’athlétisme, l’argent de la drogue du sport, l’argent de la corruption est au cœur des différentes campagnes de Macky Sall. Cet argent a financé sa campagne pour les élections municipales et locales de 2009, comme il a financé sa campagne pour l’élection présidentielle de 2012. Les deux victoires qu’il a obtenues sont des victoires malpropres.» Après avoir émis ces propos vitriolés dans un texte signé «le comité directeur du Pds», le 18 décembre dernier, Oumar Sarr croupit depuis le 21 décembre en prison. Il a été inculpé de faux et usage de faux en écriture privée et de diffusion de fausses nouvelles par le doyen des juges Samba Sall, sur réquisition du procureur de la République (PR), Serigne Bassirou Guèye.

Avec la conjugaison des deux chefs d’inculpation, la peine maximale encourue par le secrétaire général national adjoint du Pds est de neuf ans (7 ans dans le premier et 2 dans le second). Sitôt arrêté, le problème de son immunité parlementaire alimente les débats publics. Dans sa formation politique, ses camarades convoquent le texte constitutionnel et le règlement intérieur de l’Assemblée nationale respectivement en leur article 61 et 51 pour dénoncer l’illégalité de son arrestation. Pour eux, ce dont on l’accuse nécessite la mainlevée de son immunité parlementaire.

En effet, l’article 61 de la Loi fondamentale stipule : «Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.

Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale.»

Le texte de poursuivre : «Le membre de l’Assemblée nationale ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale, sauf en cas de crime ou délit flagrant, tel que prévu par l’alinéa précédent ou de condamnation pénale définitive.»

L’article 51 en son alinéa 1 du règlement intérieur complète : «Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de l'Assemblée.»

Toutefois les députés de la mouvance présidentielle, en l’occurrence Moustapha Diakhaté, Abdou Mbow et Zator Mbaye, ont pris le contrepied des libéraux en précisant qu’Oumar Sarr a perdu son immunité depuis le mercredi 9 janvier 2013 dans le cadre des enquêtes sur le délit d’enrichissement illicite imputé à certains dignitaires de l’ancien régime.

Il faut cependant souligner que dans cette histoire, les députés de la majorité présidentielle ont tout faux puisque la levée d’une immunité parlementaire ne s’étend pas sur toutes les poursuites, par conséquent elle doit être renouvelée chaque fois qu’une nouvelle procédure judiciaire est enclenchée contre le député mis en cause. D’ailleurs les éclairages des professeurs de droit comme Ndiack Fall, Mady Boirot et Babacar Guèye tranchent le débat.

En France en 2009, pour des faits de corruption qui n’ont pas la même origine, le Sénat a voté la levée de l’immunité parlementaire du sénateur polynésien Gaston Flosse à deux reprises. D’abord le 22 juillet et ensuite le 3 novembre, ce qui avait conduit à son placement en garde à vue et à son placement en détention provisoire.

Il en est de même pour Jean-Noël Guérini dont l’immunité parlementaire est levée le 15 mars 2012 et le 15 décembre 2012 pour deux affaires. La première concerne des soupçons de trafic d’influence et de prise illégale d'intérêts touchant à des marchés publics tandis que la seconde, connexe avec la première, porte sur le délit de «corruption passive, de trafic d’influence et de participation à une association de malfaiteurs».

On ne peut pas réinventer le droit surtout que celui qui nous concerne s’inspire fondamentalement, pour ne pas dire calque exactement les textes juridiques (Constitution, code pénale, code procédure pénale, règlement intérieur de l’Assemblée nationale) de la France.

Pour ne pas tomber dans l’illégalité et pour ne pas recourir à la mainlevée des députés, Serigne Bassirou Guèye a évoqué, en usant sciemment d’un subterfuge sémantico-juridique (flagrant délit et délit flagrant), l’infraction flagrante dont parle l’alinéa 2 de l’article 51 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale : «Le député pris en flagrant délit ou en fuite, après la commission des faits délictueux, peut être arrêté, poursuivi et emprisonné sans l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale.» Par conséquent, il n’a pas besoin de l’Assemblée nationale pour entendre et subséquemment inculper Oumar Sarr.

Si le PR soutient que l’antéposition ou la postposition de l’adjectif qualificatif «flagrant» par rapport au mot «délit» désigne l’infraction ou la procédure, il faut donc corriger cet alinéa de l’article 51 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.

Pourtant toute personne qui lirait cette disposition saura, nonobstant l’antéposition de «flagrant» qu’on parle ici de l’infraction et non de la procédure. Donc il est stérile de se contorsionner laborieusement dans des artifices sémantiques pour justifier une forfaiture.

Dans l’affaire Oumar Sarr, l’infraction étant aisément constatée par l’enquête de flagrance menée par les agents de police judiciaire de la Brigade des affaires générales (Bag) de la Division des investigations criminelles (Dic) et non contestée par le prévenu, donc clairement établie, on n’a plus besoin d’un juge d'instruction pour collecter supplémentairement des preuves ou indices sur la réalité de l’infraction, flagrante. Par conséquent, Oumar Sarr dans les délais les plus brefs devrait comparaître devant une juridiction de jugement compétente.

D’ailleurs à ce sujet, le magistrat Mandiogou Ndiaye, membre du Conseil constitutionnel, dans son ouvrageDélinquance et politique pénale au Sénégal, co-écrit avec Nelly Robin, Chargée de recherche à l’Institut de recherche pour le développement est formel : «Lorsque le procureur de la République décide de poursuivre une personne par le biais de la procédure du flagrant délit ou de la citation directe, il est en possession de tous les éléments d'informations nécessaires aux poursuites : identités précises des personnes, nature et qualification des faits. Lorsque  le procureur de la République décide de saisir un juge d'instruction, les éléments démographiques peuvent ne pas être précisés avec exactitude parce qu'insuffisants ou non indiqués, le juge pouvant même être saisi d'une information contre X. Il revient à ce magistrat de rechercher les identités des personnes mises en cause ainsi que de vérifier la réalité et la matérialité des faits qu’on leur reproche.»

C’est ici le lieu de dire au respecté professeur de droit Mody Gadiaga, lequel tend désespérément une perche à Serigne Bassirou Guèye que le débat ne se pose pas en termes d’infraction flagrante et de procédure de flagrance. La nature de l’infraction flagrante étant très bien précisée dans l’affaire Oumar Sarr (il s’agit d’un délit flagrant et non d’un crime flagrant), donc on voit mal pourquoi ce délit avec ses preuves non équivoques devait donner lieu à l’ouverture d’une information judiciaire. Il faut préciser à l’émérite professeur de droit que Thione Seck n’a pas été appréhendé parce qu’assis sur un sac de faux billets mais accusé «d’association de malfaiteurs, de falsification de contrefaçon, d’altération de signes monétaires ayant cours légal à l’étranger, de blanchiment d’argent et de tentative d’escroquerie». Ici le délit devient complexe et requiert en conséquence l’ouverture d’une information.

Il est légitime que tout procureur de la République applique une politique pénale nationale définie par le ministre de la Justice, mais dans les affaires politiques, le procureur doit pouvoir agir en tant que magistrat, en toute impartialité et objectivité. L’orientation politique du garde des Sceaux ou du président de la République ne doit, en aucune façon, avoir une influence dans son comportement ni une prégnance dans ses réquisitions.

Mais dans cette affaire Oumar Sarr, le PR Serigne Bassirou Guèye a passé outre la loi et a usé de sa posture privilégiée de bras armé de l’Exécutif pour commettre une forfaiture en mettant au gnouf un adversaire politique très remarqué dans sa défiance insolente contre le pouvoir en place et la justice. Sa sortie du territoire nationale alors qu’il en est interdit et le déchirement public de l’arrêté préfectoral interdisant une marche du Pds, en attestent.

Aujourd’hui, le maitre des poursuites s’arroge indûment un pouvoir de poursuite qui ne met aucun député à l’abri d’une arrestation arbitraire. Demain, n’importe quel député, dans le collimateur du pouvoir exécutif, peut faire les frais de l’omnipotence de Serigne Bassirou Guèye, lequel, usant iniquement de l’article 51 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, n’aura plus besoin de la levée de son immunité parlementaire pour être entendu sur une infraction qu’il aurait supposément commise. De ce fait, le chef du parquet, à lui seul est devenu le danger numéro un des 150 députés qui siègent à la place Soweto. Où est Montesquieu qui, dans la théorie de la séparation des pouvoirs, prône qu’il faut que le pouvoir arrête le pouvoir ?

SENEPLUS




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