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Edito de Seneplus: Mort dans la souffrance Par Serigne Saliou Guèye


Lundi 2 Novembre 2015

Le professeur Oumar Sankharé souffrait de la lâcheté de ses collègues et du sectarisme d’ayatollahs qui n’ont pas hésité à menacer sa vie après la publication de son ouvrage "La culture grecque et le Coran"


C’est avec une profonde consternation que j’ai appris le décès d’Oumar Sankharé, professeur emblématique de Lettres classiques et de Grammaire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ainsi la communauté universitaire sénégalaise subit la perte de l’un de ses piliers, un homme brillant, humain, sincère et plein de convictions.

Dans la lignée de celle des grands penseurs, cette disparition m’attriste à deux niveaux : d’abord la perte d’un homme d’exception d’une rare gentillesse humilié par la République, ensuite le vide qu’il laisse après tant d’autres disparitions de sommités intellectuelles tout aussi préjudiciables pour l’université sénégalaise. Sa disparition accroît encore plus l’absence de vrais référents intellectuels, et nous met face à un vide inquiétant dans lequel l’intelligentsia universitaire, absente des grands rendez-vous de notre société, s’enfonce chaque jour un peu plus.

J’ai  perdu un maître, j’ai perdu mon magister. Pourquoi je l’appelais Magnus Magister ? Parce que grâce à lui et Monsieur Simon Sylva, j’ai fait mes humanités aux débuts des années 1980 au lycée Malick Sy de Thiès. Il m’a inoculé le virus des lettres avant d’aller faire un troisième cycle qui le mènera plus tard à l’Université de Dakar.

Bien qu’étant un spécialiste de la grammaire, du latin et du grec, il était très imprégné de la science islamique. C’était un intellectuel qui n’hésitait pas à prendre courageusement position sur des questions littéraires, scientifiques, politiques et religieuses. On reconnaissait dans ses écrits son sens critique aiguisé, ses talents d’écrivain engagé. Il était connu aussi pour ses avis controversés et parfois choquants sur une certaine façon de penser l’Islam dans une société conservatrice rétive à toute opinion divergente sur l’interprétation des textes religieux.

Indifférence et ingratitude

C’est l’un des rares universitaires à prendre une position claire et sans ambiguïté sur l’affaire Hissène Habré. Si la mort du professeur Sankharé a tant choqué beaucoup de Sénégalais, c’est non seulement en raison de l’envergure de l’homme de lettres, mais aussi et surtout des humiliations et avanies qu’il a vécues depuis son accident cardio-vasculaire en France jusqu’à sa triste fin.

S’ensuivirent ses tracasseries à l’ambassade de France au Sénégal qui lui avait refusé le visa en juillet 2012 sous le fallacieux prétexte d’un défaut de paiement de l’ensemble de ses frais médicaux (30 millions de francs CFA) à un hôpital de Marseille. Il souffrait stoïquement parce que n’ayant plus de possibilités financières pour y retourner se faire soigner.

Le sort du professeur, titulaire de deux doctorats, de deux agrégations après avoir enseigné pendant 45 ans, indifférait l’Etat qui, pourtant, pour consacrer des sportifs, organiser des fêtes de prestige ou pour soudoyer des marabouts, est prêt à débourser sans retenue des millions de francs. En sus, l’universitaire souffrait de la lâcheté de ses collègues et de l’attitude sectaire de certains ayatollahs qui n’ont pas hésité à menacer sa vie après la publication de son ouvrage de haute facture La culture grecque et le Coran, jugé injustement hérétique et blasphématoire.

On se rappelle tout le faux tollé que cette œuvre de haute qualité avait suscité dans certains cercles islamistes et familles confrériques du Sénégal. À peine avait-t-il présenté les grandes lignes de son chef-d’œuvre dans l’émission littéraire de Sada Kane de la 2STV que l’éminent universitaire fut lynché par les gardiens autoproclamés de la foi islamique, lesquels se sont déchaînés pour faire un autodafé de son ouvrage avant de décréter des fatwas contre son hérésie. Il fut traqué ignoblement et sa famille menacée.

Ainsi ils firent la chasse à mort au penseur critique qu’ils taxent de blasphémateur parce que sa voix discorde avec leurs dogmes sectaires et leurs croyances aveugles mortifères. Pourtant beaucoup de ces prétendus gardiens de la foi musulmane qui condamnaient l’intrépide Sankharé n’avaient même pas lu l’incipit de l’œuvre avant de s’en faire une religion. Ils l’accusaient d’être à la solde de lobbys maçonniques alors que la plupart d’entre eux vivent de subsides venant des pays arabes. L’unique tort de l’auteur de La culture grecque et le Coran, c’était d’avoir franchi le Rubicon en abordant une thématique considérée ésotérique dans notre société encore non poreuse à la critique religieuse.

Nimbés de leur autorité religieuse dans un pays laïque, ces sectaires de la religion musulmane, tapis dans des Ong aux financements occultes, s’étaient même permis de sommer l’éminent universitaire de présenter ses excuses publiques et d’annuler la publication de son livre. Ce que fit le penseur contrit, contraint d’aller à Canossa pour présenter, à son corps défendant, ses excuses à des faux dévots auxquels pourtant il n’avait fait aucun tort.

Le coup de grâce est venu de cet acte d’huissier qui enjoignait au professeur, à quelques encablures de la retraite, de libérer son appartement universitaire avant le 27 octobre 2015. Evitant de se faire humilier par une institution du savoir, voire un Etat qu’il a tant servis avec loyauté et abnégation, le professeur blessé jusqu’en son tréfonds de dignité préféra se retirer de ce grand appartement du monde des vivants.

Les prétoriens de l’orthodoxie musulmane et la société pharisaïque indifférente avaient condamné à mort cet iconoclaste penseur avant que l’Etat ingrat ne lui assène le coup de grâce qui l’emporta le 26 octobre 2015. Ainsi du sommet du Capitole du savoir, le brillantissime professeur dégringola, à l’instar de ses prédécesseurs disparus, au bas de la Roche tarpéienne d’une République qui déshonore et écrase son gratin intellectuel.

Aujourd’hui que le professeur n’est plus de ce monde d’ingrats et de pétochards, déjà des voix d’intellectuels salonnards résonnant depuis l’Ucad et de certains cercles intellectuels entonnent les hymnes d’hommages hypocrites post-mortem alors qu’aucune d’entre elles n’a tonné, quand il le fallait, pour le défendre des menaces de ces salafistes de la pensée. Aucune voix protestataire, aucune des associations des droits humains si promptes à crier haro sur les peccadilles du gouvernement, ne s’était levée pour dénoncer cette gravissime atteinte à la liberté d’expression du penseur téméraire. La conspiration du silence dans laquelle s’étaient engoncés l’élite intellectuelle et les défenseurs des libertés n’avait d’égal que le degré de leur irresponsabilité et de leur lâcheté face à la violation de ce droit inaliénable qui est de dire et d’écrire ce que l’on pense conformément à notre charte fondamentale.

Les pourfendeurs à tout crin d’hier deviennent les loueurs circonstanciels d’aujourd’hui. Un torrent de larmes de crocodile commence à inonder sa tombe fraiche. Ainsi comme disait l’écrivain René de Obaldia «les morts sont toujours bons». Voilà le destin tragique hors norme de ce magister hors-pair qui s’est retiré ex abrupto de ce bas-monde peuplé de lâches, d’injustes, d’intolérants, d’indifférents et d’ingrats.




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