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Politique

Édito de Sénéplus: Macky Sall, un éradicateur? Par Momar Seyni Ndiaye


Mercredi 18 Novembre 2015

Le terrorisme se fonde sur la négation de tous ceux qui ne s’abreuvent pas aux sources de ses théories. Mais penser que les solutions violentes doivent prévaloir, relève de la berlue politique


Les effroyables attentats terroristes commis par DAECH (excroissance de l’EI) sont venus rappeler au monde entier en général et au Sénégal en particulier que la lutte contre le terrorisme relève d’une infinie délicatesse. Pour avoir privilégié la «culture du feu», la France a mis le doigt dans un grave engrenage. La déclaration du Président Hollande devant le Congrès de Versailles et les mesures annoncées vont, hélas, dans le même sens. Et risquent d’être aussi improductives que toutes les tentatives de faire de l’éradication la seule alternative dans la lutte contre le terrorisme.

Il y a bien une voie intermédiaire entre l’angélisme coupable et l’inaction dangereuse d’une part et d’autre, cette «culture du feu » qui a montré ses limités dans les treize foyers de tension liés au radicalisme islamiste. Le Sénégal devrait méditer la leçon française.

La brutale arrestation de l’imam Alioune Ndao et quatre autres présumés terroristes, le discours musclé du Président Macky Sall dans la farouche lutte contre les extrémistes désignés, laissent croire que le chef de l’État a fait le choix de l’éradication pour tenter d’étouffer dans l’œuf ce «fléau rampant».

Cette option fait cependant courir des risques d’une exacerbation d’un phénomène visiblement embryonnaire, traité par des moyens préventifs démesurés, comme une odieuse épidémie. Le terrorisme, l’est en réalité. Et la détermination du Président Sall est compréhensible. Mais elle paraît bien inversement proportionnelle à la réalité d’un phénomène peu ressentie par l’écrasante majorité de nos compatriotes.

Qui plus est, la réaction du Président Sall relève de l’hypertrophie. Elle paraît à bien des égards, hâtive, parce que l’instruction est en cours et que la présomption d’innocence devrait prévaloir tant que la condamnation ne sera pas intervenue. La sortie corsée du Président de la République, reprise en boucle par les médias peut en effet influencer l’instruction et conduire les juges à aligner leurs décisions finales sur ses admonestations prématurées. Autrement, ils prendraient le risque de le contredire si aucune preuve formelle n’était établie. L’indépendance de la magistrature peut-elle conduire jusque-là ? Rien n’est moins sûr.

La disproportion de la sortie du Président réside, assurément bien dans la gestion de sa communication à cette occasion. En effet, il apparaît clairement qu’il y a dysmétrie entre les menaces, les proclamations présidentielles, la dure tonalité de son discours et l’absence de preuves de ces accusations de «terrorisme». La presse avec certes beaucoup d’empressement a diffusé des «éléments» d’accusation graves. Mais, il était plus judicieux d’attendre que le procureur de la République fît une conférence de presse pour lever ne serait-ce qu’un peu, un coin du voile sur les preuves «avérées» de terrorisme.

Dans tous les cas, la réserve présidentielle devrait être de rigueur, pour respecter le secret de l’instruction et la présomption d’innocence. Le cadre de la conférence sur la paix et sécurité ne devait en aucun moment servir de prétexte, pour désigner les deux imams arrêtés et s’inscrire dans une logique accusatoire avant même le bouclage de l’instruction, le procès et le verdict. La communication présidentielle devrait se circonscrire à une condamnation de principe de tout acte de terrorisme et du ferme engagement du Sénégal à ne pas tolérer ces dérives.

Dans un État de droit, le respect des droits de la défense est sacré. Les garanties d’un exercice équitable des procès le sont tout aussi. Dans le cas d’espèce Alioune Ndao, et ses présumés acolytes sont déjà condamnés avant même la tenue du procès. Dans son essence la loi devrait garder sa nature répressive (sanctionner quand la faute est commise et prouvée) et non préventive (condamner sans que la commission de la faute ne fût établie). Le zèle de certains éléments (pas tous) de l’administration judiciaire ou du commandement territorial peut les amener à anticiper la décision par des mesures de rétorsion sans fondement juridique, légal ou réglementaire.

À preuve, le gouverneur de Tambacounda a annoncé l’application de l’interdiction du port du voile intégral (burka) avant l’arrêté ministériel, le décret présidentiel ou une loi votée par le Parlement. L’inopportune déclaration présidentielle lui a servi d’aiguillon, hélas.

Autre dysfonctionnement dans la communication présidentielle, sa focalisation sur le voile intégral jugé comme un dérapage culturel, un comportement étranger à notre société. Comme si les apports extérieurs à notre culture devraient être abandonnés ou stigmatisés. En quoi ces dames entièrement voilées nous gênent-elles ? Qu’est-ce qui dans leur attitude prouve qu’elles sont des terroristes ? Les voilà subitement aujourd’hui désignées à la vindicte populaire comme le visage caché du «mal absolu» qu’est le «terrorisme islamiste».

Au même moment des pratiques extraverties, contraires à nos valeurs sont tolérées, voire discrètement encouragées. On pourrait aussi regretter l’explication triviale des origines du terrorisme par la pauvreté et subornation des jeunes à travers ces recettes du «mal absolu».

Le Président aurait dû réfléchir par deux fois avant de présenter cet argument, qui révèle tout simplement l’échec de toutes les politiques publiques incapables de sortir les jeunes de cette misère économique et sociale, ainsi tentés d’expérimenter d’autres solutions extrêmes. La fragilité morale des jeunes a préexisté à la montée du terrorisme. Des années 60 jusqu’à nos jours, ils n’avaient d’autres «alternatives» que l’alcoolisme, l’amour débridé et la drogue. Aujourd’hui, d’autres «portes de sorties» aussi malsaines, leur sont proposées. Mais devrait–on oublier les causes pour ne s’attaquer qu’aux effets ? Alors que le terrorisme frappait à nos portes qu’a-t-on fait au Sénégal, pour éviter les dérives que le gouvernement entrant promettait de combattre ? Qu’a-t-on fait pour l’emploi des jeunes, la correcte redistribution des richesses, la lutte contre les passe-droits, le népotisme.

Le terrorisme est une dangereuse spirale. Il se fonde sur la négation de tous ceux qui ne s’abreuvent pas aux sources de ses théories. Il s’instancie du principe de l’universalisme au nom duquel tout le monde devrait croire en un seul Dieu, recevoir les mêmes préceptes, les mêmes croyances, la même foi, les mêmes pratiques. Il est odieux, pervers, parce qu’il s’accouple avec d’autres déviances comme l’instrumentalisation, le lavage de cerveau, la manipulation, la violence aveugle. Et souvent la drogue, le viol. Mais penser que les solutions militaires et violentes doivent prévaloir avant même que les preuves fussent apportées, relève aussi de la berlue politique.

Les erreurs commises en Algérie, en Tunisie et en Égypte dans le combat mené respectivement contre le Front islamique du Salut et Enhada et les Frères Musulmans, devraient inspirer plus de prudence à nos dirigeants. La folie destructrice qui a animé Georges Bush en Irak, Sarkozy et la communauté internationale (dont le Sénégal sous Wade) en Libye sont des exemples patents de bêtises politiques induites par l’empressement à vouloir éradiquer des phénomènes sociaux brutaux, certes, mais dont on n’avait pas cerné tous les contours. Le cas de la Casamance est présent et actuel pour instruire le gouvernement sénégalais à la prudence.

Dans la stratégie de lutte contre le terrorisme, il y deux tendances. Celle des pacificateurs, qui préfèrent les méthodes douces et la pédagogie de la paix, par les vertus du dialogue et de la persuasion. Celle des éradicateurs, qui ont opté, pour la manière forte, les armes, l’élimination à tout prix, la judiciarisation assorties de condamnations sévères.

Dans le conflit casamançais, l’État sénégalais a expérimenté les deux formules avec plus ou moins de bonheur. Au début de l’irrédentisme, la solution militaire avait prévalu. Elle a donné des résultats mitigés, tant il est vrai que l’appui militaire, politique et social de la Gambie, de la Guinée et même de la Mauritanie (plus tard de la Côte d’Ivoire sous Gbagbo) a complètement changé les donnes, en internationalisant le conflit. D’où l’intervention militaire du Sénégal en Guinée-Bissau avec une confrontation directe avec les rebelles du MFDC, inclus dans l’armée de Bissau.

En Gambie, après exercices du droit de poursuite dans la zone nord notamment, le Sénégal a préféré utiliser des chevaux de Troie dans l’espace politique et militaire gambien, soutenir ou encourager des jacqueries et des soulèvements d’officiers et d’opposants. Et tel un cycle infernal, la réplique gambienne s’est soldée par un appui encore plus puissant aux dirigeants du MFDC, hébergés et entretenus à Banjul au cru du grand jour.

Au sein de l’armée sénégalaise, les deux approches se sont souvent succédées. Certains commandants de zone et même Chef de l’armée nationale, ont pratiqué l’éradication avec une extrême dureté, par l’élimination physique sans procès des prisonniers, la pratique de la torture pour extorquer des aveux ou des dénonciations. Pour «mouiller» le MFDC, certains éléments de l’armée nationale ont même usé d’un ordinaire banditisme et de coupeurs de routes contre de paisibles citoyens.

Dans les années 80 et 90, Amnesty International avait du reste dénoncé fréquemment dans ses rapports toutes ces répliques violentes et disproportionnées de l’armée sénégalaise face aux rebelles du MFDC poseurs de mines anti-personnel. Le Général Amadou Abdoulaye Dieng ancien gouverneur militaire de la région de Ziguinchor s’est particulièrement illustré dans la culture de l’éradication. Il avait réussi à démanteler une bonne partie de l’arsenal militaire des rebelles, les contraignant à installer leurs bases en Guinée Bissau et en Gambie. Mais le résultat obtenu s’est traduit par une extension de la zone du conflit vers la haute Casamance, l’afflux massif de réfugiés, et l’installation d’une véritable économie de guerre, avec son lot de trafic en tous genres.

Cette situation de paix armée a fait des dégâts humains de grande ampleur. Elle a contraint les rebelles du MFDC plus que jamais divisés en groupuscules, à accepter de dialoguer avec le Gouvernement, conscients que toute solution militaire est vaine. L’État sénégalais a pris aussi toute la mesure des limites de l’éradication. Mais force est de constater que la primauté donnée à la manière forte n’a pas enrayé les volontés indépendantistes, ni conduit à la reddition totale les rebelles du MFDC. Trente-trois ans de conflit, sans aucun renoncement à l’indépendance ne fût obtenu !

Pour autant, la démarche de pacification n’a pas mieux réussi. Toutes les solutions de paix préconisées, n’ont donné des résultats probants. Les «Monsieur Casamance» nommés sur le régime de Diouf et Wade ont lamentablement échoué dans leur sordide entreprise de soudoyer le MFDC par l’argent. Pis, ils ont contribué à renforcer la volonté de puissance des rebelles et leur force de frappe à la faveur des moyens fiduciaires dont ils disposaient, pour se réarmer, se déplacer et négocier d’autres soutiens, comme celui de l’Iran. Le MFDC a fini par servir de variable d’ajustement pour les adversaires du Sénégal, qui en usaient comme d’un effet de levier, pour contenir certaines velléités politiques, géopolitiques et militaires du Sénégal dans la sous-région et dans les autres zones de conflit.

Fort heureusement, ayant pris la mesure de ce cuisant échec des «Monsieur Casamance», le Président Macky Sall tout en gardant le statu quo, a décidé de se passer de leur service dans la gestion de la crise en Casamance. Mais dans la terrible guerre qu’il promet au terrorisme, il est en train d’enclencher un processus délicat parce que ses craintes de propagation de ce mal ne sont pas prouvées, pour l’heure. Ensuite, il apparaît aux yeux des Sénégalais comme le bras armé de l’Occident pour dégrader l’image de l’Islam qu’il tente subtilement de dissocier de l’islamisme. Mais cette construction intellectuelle risque d’être mal comprise, et d’autres forces endormies pourraient se réveiller et prétendre défendre, malencontreusement, il est vrai, leur foi endolorie par ces arrestations en cascade. Surtout au moment d’autres dérives sociales exogènes à notre société ont libre cours dans notre pays
SENEPLUS




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