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Opinion

Edito de Seneplus: Corruption étatisée Par Serigne Saliou Guèye


Mardi 15 Décembre 2015

Sans une réforme de la gouvernance publique, un droit de regard de la société civile et une intensification de la répression anti-fraude, les détournements des deniers publics continueront à saigner l’État


Les rapports des corps de contrôle ou de régulation tels que l’Inspection générale d’Etat (IGE), la Cour des comptes et l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), se suivent et se ressemblent. Le seul effet qu’il produit, c’est des réactions immédiates d’indignation, des sentiments de colère et d’amertume lors de leur publication devant la presse.

Passé cet instant de plaisir, l’autorité suprême (le président de la République) à qui sont destinés ces rapports, les range dans son chiffonnier paperassier peut-être sans même les avoir compulsés. Et le dernier rapport de l’ARMP risque de subir le même sort si l’on sait que plusieurs proches du Président sont éclaboussés par des pratiques corruptives dans la passation de plusieurs marchés.

Flopée de Demandes de renseignements et de prix, de marchés de gré à gré, attributions de prestation à des personnes qui n’ont pas le profil de l’emploi, paiement de factures en l’absence de toute prestation et fabrication de documents relatifs à des marchés publics qui n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque adjudication, tel est le lot du dernier rapport de l’ARMP. On se rend compte avec indignation et colère que les principes généraux de la commande publique et les organes et mécanismes de contrôle des marchés publics sont encore bafoués par ceux-là qui ont charge la gestion des deniers publics.

Au Sénégal, la commande publique constitue l’une des voies royales pour s’adonner à des pratiques corruptives ou à des détournements de fonds publics. Pourtant les conditions de passation des marchés publics dominée par les principes d’égalité de traitement des candidats, de liberté d’accès à la commande publique et de transparence des procédures de passation sont un paravent malheureusement poreux à toute velléité de prévarication ou de concussion. Et l’on se rend compte que le code des marchés du Sénégal, tel qu’il est conçu, ne favorise pas la transparence ni ne verrouille les voies sinueuses de la fraude.

En sus le manque de sanctions et répressions vis-à-vis des auteurs de détournements de deniers publics encourage les autorités contractantes à s’adonner en toute impunité à d’autres actes de concussion ou de prévarication. Si l’on se réfère aux différents rapports de l’ARMP, les procédures des passations de marché sont systématiquement entachées de pratiques corruptives à grande échelle au point qu’on se pose réellement des questions sur l’efficacité du code des marchés.

Chaque année, la publication du rapport de l’ARMP comme ceux de la Cour des comptes et de l’IGE fascine parce qu’elle est devenue un événement public solennel où l’on cloue au pilori médiatiquement les agents de l’Etat qui ont eu à manquer aux devoirs de leurs charges. Paradoxalement, de plus en plus au sein de l’opinion publique nationale, ces actes fort déplorables ne semblent plus susciter ni colère ni indignation. Seuls les organes de presse (ceux du privé notamment) et quelques rares organisations de la société civile (comme le Forum civil) se prononcent et dénoncent ces affaires de malversation financières.

DRP, voie royale de la fraude

Le dernier rapport de l’ARMP fustige que la Demande de renseignements et de prix (DRP) reste le mode privilégié de passation des marchés (78,99%) bien que représentant une faible valeur (9,71%) comparée aux autres types de marchés. La DRP est caractérisée par le saucissonnage à outrance et le fractionnement sauvage des marchés publics qui doivent être l’objet d’appel d’offres ouvert (c’est-à-dire sans négociation sur la base de critères objectifs préalablement portés à la connaissance des soumissionnaires) ou restreint (c’est-à-dire lorsque seuls peuvent remettre des offres les concurrents qui y ont été autorisés après sélection). C’est ce que dénonce la structure dirigée par Saer Niang lorsqu’elle dit dans le rapport que rien qu’«au ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, 498 DRP ont été recensées pour un montant total 4 375 171 673, que dans ce lot, des DRP de même nature, passées par des directions différentes, auraient pu, avec une bonne planification, être regroupées».

Et dans la même veine, l’ARMP déplore que certaines procédures d’attribution des marchés soient torpillées par le fait que «des consultants individuels sont mis en concurrence avec des firmes, des commerçants choisis pour dérouler des missions d’organisation d’ateliers ou de séminaires au détriment des véritables spécialistes des prestations ciblées».

Et le ministère qui a fait des DRP son violon d’Ingres, c’est celui de la Gouvernance locale, du Développement et de l’Aménagement du territoire suivi en cela par la collectivité locale de Sandiara (dans le département de Mbour) et la commune de Diourbel. C’est donc dire combien les ministres, les maires et autres fonctionnaires de l’Etat ont mis en place une ingénierie frauduleuse par le biais des DRP aux fins de toucher les montants indus des surfacturations.

Tel qu’il est conçu dans le code des marchés, la DRP est une source corruptogène par laquelle le pouvoir adjudicateur utilise une procédure négociée ne garantissant aucune condition de transparence. Ce marché négocié avec une fausse concurrence est passé la plupart du temps sans publicité préalable donc sans mise en concurrence. Avec les DRP, l’entité adjudicatrice communique le prix caché à son candidat de prédilection afin de lui faire gagner le marché sans réelle compétition. Ainsi les montages sont ficelés et accommodés à chacune des différentes séquences du marché et permettent d’orienter et de guider la délibération choisissant le concurrent, futur attributaire. Ce dernier faussement concurrencé procède à des surfacturations qui tomberont dans la poche de l’autorité contractante. Toutes ces manipulations ont pour conséquence une surestimation financière exigée du montant de la prestation.

Si les agents de l’administration publique utilisent préférentiellement la procédure des marchés négociés qu’offrent les DRP, c’est parce que c’est la voie royale et intelligente qui permet au pouvoir adjudicateur, sous le couvert d’une pseudo-légalité, de percevoir les sommes issues de la surfacturation et du pourcentage d’attribution.

Règne de l’impunité

Au Sénégal, les découvertes de malversations financières  au niveau des entités publiques s’enchainent au point de devenir une culture étatique. Rares sont les agents de l’Etat qui peuvent aujourd’hui jurer qu’ils n’ont jamais abusé d’un seul denier l’Etat. Et paradoxalement, l’impunité est devenue une norme dans le fonctionnement des institutions nationales. La preuve aujourd’hui, des personnalités dont les gestions ont été épinglées sous le magistère de Wade, sont devenues des proches collaborateurs du Président Macky Sall.

La corruption dans la gestion des affaires publiques est indubitablement un énorme frein à tout processus de développement. Ce n’est pas pour rien que des pays comme le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Suède et la Norvège ainsi que la Suisse et l’Autriche, classés par Eurostat comme les pays où il y a une meilleure qualité de la vie en Europe, figurent dans le top 10 des pays les plus vertueux c’est-à-dire où la corruption est quasi-inexistante.

De 1981, année de l’accession d’Abdou Diouf au pouvoir à aujourd’hui, les différents régimes qui se sont succédé ont tous effectué l’état des lieux et procédé à des audits ayant déterré des malversations financières. Mais tout cela n’a jamais abouti à des sanctions exemplaires. Seuls quelques lampistes sur fond de règlements de compte ont été appréhendés. C’est donc dire que les mécanismes de contrôle existant au niveau de la chaîne de dépenses publiques de l’Etat ont montré leurs limites et leurs insuffisances. C’est dans cette optique que l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (l’OFNAC) a été créé par la loi n°2012-30 du 28 décembre 2012 pour renforcer la lutte contre les cas de fraudes financières qui gangrènent notre administration publique. Mais cette structure dirigée par Nafi Ngom n’a pas encore produit les résultats attendus par rapport à la hauteur de sa mission. Aujourd’hui elle se signale plus dans le spectacle folklorique et les effets de manche que par des actions concrètes.

Sans une forte volonté des hautes autorités de l’Etat à impulser des changements profonds au niveau de la gouvernance publique, un renforcement du droit de regard de la société civile et une intensification de la répression anti-fraude, les détournements des deniers publics continueront à saigner à blanc l’Etat du Sénégal pour encore longtemps.

SENEPLUS




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