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Edito de SENEPLUS: IMBROGLIO JUDICIAIRE Par Serigne Saliou Guèye


Mardi 1 Septembre 2015

Dans l’affaire Bassirou Faye, quel que soit l’accusé qui sera renvoyé devant la chambre criminelle, la discorde entre le procureur de la République et le doyen des juges entachera le verdict du procès

Le 14 août 2014, le campus social de l’Université Cheikh Anta Diop est transformé en un vaste champ de bataille entre les éléments du Groupe d’intervention mobile (GMI) et les étudiants qui réclament leurs bourses. Ces échauffourées se terminent dramatiquement par l’assassinat de l’étudiant Bassirou Faye, ressortissant de Diourbel, aux environs de 16h 30 par un élément supposé appartenir aux forces de l’ordre.

Les étudiants réclament justice au risque d’embraser l’université. Aussitôt la machine judiciaire s’emballe et le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, ouvre une enquête qui se terminera par l’arrestation du présumé assassin. Ainsi après deux mois d’enquête, plus précisément le 15 octobre 2014, le procureur organise une conférence de presse pour livrer les résultats de son travail.

Il dit : «Le jeune étudiant est mort d’un traumatisme crânien avec hémorragie externe et interne, occasionné par une arme à feu. Dans le pré-rapport balistique de l’expert Alain Miras, il a été découvert un étui dans le campus, sur les lieux du drame, qui serait compatible avec l’arme qui a tué Bassirou Faye. Au cours de l’enquête, la Police a pu rassembler un certain nombre d’indices et un portrait a été déterminé et dressé par les témoins, nonobstant les éléments objectifs qui ont été retrouvés.»

Serigne Bassirou Guèye ajoute que «des tirs de comparaison ont été effectués sur les 25 armes qui étaient sur le théâtre des opérations et envoyés à l’expert et son rapport a conforté la thèse d'une infiltration, c’est-à-dire que le tireur devait être hors des lieux du drame. Il n’était en tout cas pas désigné pour être sur les lieux. Ce qui veut dire qu'aucune des 25 armes répertoriées par la Police n'a pu faire le coup de feu et la balle incriminée ne faisait pas partie des munitions régulièrement introduites dans le campus. Au nombre des balles qui ont été introduites dans le campus, il en manquait une et l’enquête porte sur cette personne. J’ai d'ailleurs ordonné son arrestation il y a 30 minutes».

À entendre le procureur parler de façon aussi circonstanciée, Tombong Wally est désigné davantage coupable que présumé tueur. Ce qui du coup constitue une violation de la présomption d’innocence.

Ainsi ledit policier est arrêté et placé en garde-à-vue avant que le doyen des juges, Mahawa Sémou Diouf, ne l’inculpe pour «homicide volontaire» et le place sous mandat de dépôt le 20 octobre 2014.

Entre-temps, le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, sort à la télévision nationale pour dégager la responsabilité de l’État dans ce meurtre sordide. Ce que Seydi Gassama d’Amnesty international bat en brèche, en doutant de la culpabilité de Tombong Wally.

Si le procureur atteste la thèse d’une infiltration, parce que Tombong ne devait pas être de service le jour du drame, son oncle affirme que son neveu était bel et bien en service commandé. Mais le témoignage de l’étudiant Sette Diagne, témoin oculaire du meurtre de son camarade, à l’antipode des déclarations de Serigne Bassirou Guèye, jette une ombre sur l’affaire Bassirou Faye.

Deux mois après, compte tenu des déclarations de Tombong, qui mouillent son collègue Saliou Ndao, et du témoignage de Sette Diagne, qui ciblent le policier Sidy Mouhamed Boughaleb, le doyen des juges les place sous mandat de dépôt. Ainsi il revient à ce dernier de résoudre cette équation à trois inconnues : une balle tirée, une victime et trois assassins.

Cet imbroglio judiciaire finit par semer le malaise entre le chef du parquet et le doyen des juges car si Serigne Bassirou Guèye est convaincu de la culpabilité de Tombon Wally, il n’en est pas de même pour Mahawa Sémou Diouf qui inculpe, sur la base des déclarations de Sette Diagne et de deux autres étudiants, Sidy Mouhamed Boughaleb. Cette situation finit par faire le lit d’une discorde entre les deux magistrats.

Ne démordant pas de sa position initiale, le procureur rédige son réquisitoire définitif au mois de juillet dernier avant de demander au doyen des juges de renvoyer le policier Tombong Wally devant la Chambre criminelle du Tribunal de grande instance de Dakar pour y être jugé pour meurtre, tout en requérant une ordonnance de non-lieu pour les deux autres policiers, Saliou Ndao et Sidy Mouhamed Boughaleb.

Mais, finalement, le doyen des juges renvoie le dernier nommé devant la juridiction de jugement, octroyant simultanément aux policiers Tombong Wally et Saliou Ndao un non-lieu. Courroucé, le procureur qui tient toujours à «son» suspect, interjette appel de la décision de Mahawa Sémou Diouf devant la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar. Malgré l’ordonnance de non-lieu qui n’est pas suspensif de la décision du doyen des juges, Tombong Wally et Saliou Ndao restent maintenus en prison au point que, selon Me Bamba Cissé, l’avocat du premier nommé, «Mahawa Sémou Diouf, se voit obliger de notifier la mesure au Directeur de la Maison d’arrêt avec prescription de mise en liberté immédiate avant de signer un ordre spécial de mise en liberté et de main levée d’office pour qu’il en soit ainsi».

Ainsi le 19 août dernier, les deux policiers hument à nouveau l’air de la liberté.

Guerre des ego

Cette guerre ouverte entre le Parquet et le Siège met à nu les relations heurtées qu’entretiennent Serigne Bassirou Guèye et Mahawa Sémou Diouf depuis le limogeage du procureur de la République, Ousmane Diagne.

Cette tension entre le procureur et le doyen des juges est symptomatique d’une guerre des ego, d’un culte de la personnalité entre les deux magistrats. Et cela révèle plutôt une bataille ad hominem entre deux juges qu’une bataille judiciaire pour faire jaillir la lumière sur le meurtre de Bassirou Faye. Ainsi plus on avance dans les dédales de cette affaire, les pistes labyrinthiques se brouillent, s’obscurcissent et il devient complexe de démêler l’écheveau de mystères entourant ce meurtre sordide pour établir la vérité.

Le non-lieu octroyé à Tombong Wally sonne comme un désaveu, voire un camouflet, pour le procureur qui reste convaincu que le meurtrier de Bassirou Faye est Tombong Wally. Donc à chacun son coupable pour une victime tuée d’une seule balle. La justice sénégalaise prend encore un sérieux coup avec cette discorde, voire cette guerre de personnes, qui oppose le procureur et le doyen des juges dont les travaux sont censés être complémentaires pour la manifestation de la vérité.

Quel que soit le présumé coupable qui sera renvoyé devant la chambre criminelle du tribunal de grande instance de Dakar, cet embrouillamini judiciaire entachera le verdict favorable ou défavorable à l’accusé.

Dans cette affaire où les pressions n’ont pas manqué, où l’immixtion de la Chancellerie est régulièrement présente, n’est-on pas allé vite en besogne pour satisfaire une opinion publique hâtive de connaître l’épilogue de la traque du meurtrier de Bassirou Faye ? Aujourd’hui, la cacophonie entre le chef du parquet et le doyen des juges jette le discrédit sur la justice sénégalaise.

Indépendamment de l’affaire Karim Wade avec les vices de procédures soulevés par les conseils u mis en cause et sa kyrielle d’incidents, celle concernant Aïda Ndiongue, poursuivie pour un détournement présumé de 20 milliards de francs Cfa, a secoué la justice sénégalaise. Après la relaxe de l’ex-sénatrice par le juge El Hadji Amadou Diouf, malgré l’avis du procureur, qui avait requis 10 ans, un communiqué attribué à ce dernier jugeait «la décision manifestement illégale et même troublante».

C’est ainsi que lors de l’Assemblée générale de l’Union des magistrats sénégalais (Ums), le 8 août à Saly, le président de l’alors 3e chambre correctionnelle du tribunal régional de Dakar (devenu tribunal de grande instance) s’en est vivement pris au procureur pour avoir remis en cause publiquement sa décision de justice sur l’affaire Aïda Ndiongue. Ce que Serigne Bassirou Guèye a littéralement récusé arguant que c’était une note destinée à la Chancellerie.

L’affaire Aïda Ndiongue ajoutée à celle de Tombong Wally est révélatrice des rapports difficiles que le chef du parquet entretient avec certains de ses collègues qui, souvent, remettent en cause ses réquisitoires. A quand la fin de cette guerre des ego entre juges dont la seule perdante est la Justice de notre pays ?
SENEPLUS





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