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ESPAGNE: 128 Sénégalais emprisonnés, 1500 en voie d’expulsion, les coiffeuses dans la dèche


Lundi 26 Janvier 2015

Madrid, avec la Plaza Cibeles où l’Equipe du Real Madrid fête habituellement ses trophées, la belle Avenue Paseo Castellana où trône Santiago Bernabéu, le stade mythique de l’équipe de Cristiano Ronaldo, avec les deux Tours jumelles de la Plaza Castilla et le Grand Tribunal de Madrid, sans oublier «La Gran via», la rue la plus connue de la capitale espagnole… Tout cela ne fait plus rêver. Des immigrés sénégalais rencontrés à Madrid parlent sans complexe, des conditions dans lesquelles ils tentent de vaincre la crise. Les femmes spécialisées dans la coiffure, crient leur détresse, sans oublier les 1 500 Sénégalais en instance d’expulsion et les 128 autres emprisonnés pour les délits de trafic de drogue, vols, viols, falsification de billets de banque, violences conjugales…

Le constat est net. L’Europe n’est plus un Eldorado pour les immigrés africains. N’empêche, les jeunes Africains tentent toujours l’aventure en ralliant le continent européen, à leurs risques et périls. Alors que les vieux loups qui ont vécu les périodes fastes d’avant la crise économique de 2008, ne cessent de les avertir, ils se jettent dans la gueule du loup.

Les piroguiers à la rue

Vers 2005, les gardes-côtes européens ont été mis devant le fait accompli, avec l’arrivée massive de pirogues de fortune en provenance d’Afrique. Et Thiaroye avait payé le plus lourd tribut. Des embarcations remplies d’aventuriers, composés généralement de jeunes. A cause de la longueur du trajet et des conditions climatiques, plusieurs candidats mouraient en cours de route. Ceux qui n’avaient pas un bon capitaine de bord ont échoué vers l’Amérique Latine, sans oublier cette pirogue qui avait navigué pendant trois jours avec des candidats guinéens à l’émigration, avant de jeter l’ancre à Saly (Mbour).

En effet, la plupart de ces immigrés traînent dans les rues de Madrid. «La dernière génération d’immigrés ayant embarqué dans des pirogues sont des mineurs sans expérience. Pis, ils étaient tous détenus dans les centres de rétention. Et à leur sortie, nombreux sont ceux d’entre eux qui perdent leurs repères. Même si au cours de leur détention, ils subissent tous une formation aux métiers de cuisinier, mécanicien, maçon …, seule une poignée d’entre eux a pu s’intégrer. Les 70% traînent dans les rues de Madrid. Ils fréquentent tous la Plaza Lavapiès, dans l’espoir de rencontrer une connaissance pour lui soutirer une pièce d’euro», confie Cheikh Guèye, installé dans la ville depuis une dizaine d’années.

Ce que confirme Mbagne Niang, venu en Espagne depuis 2005. «J’ai quitté le Sénégal en 2005 après le Bfem pour venir poursuivre mes études au Lycée Moderne de Madrid. Parce que mes parents travaillaient au Consulat du Sénégal. A la fin de mes études, je n’ai pas pu trouver du travail à cause de la crise. Présentement, je me suis marié avec une Espagnole. Je préfère vivre au Sénégal avec 1000 FCfa par jour que de rester ici. Parce qu’ici, même si tu gagnes 1500 euros (982 500 FCfa), tu vas tout dépenser entre la location, le transport, le manger, avant de penser à envoyer quelque chose à la famille restée au Sénégal», raconte Mbagne Niang. Et de poursuivre : «J’aurais aimé vous accompagner jusqu’à la Plaza Lavapiès pour vous montrer les jeunes Sénégalais qui squattent les lieux. Mais à cette heure, 12 heures 46 minutes, ils sont en train de dormir, faute de travail. Ils sortent le soir pour traîner à Plaza Lavapiès».

1500 Sénégalais en instance d’expulsion

La police espagnole effectue des descentes fréquentes à la Plaza Lavapiès pour traquer les immigrés sans papiers. Ce que confirme Mbagne Niang. «Les rafles sont devenues intempestives depuis les attentats de Paris. Quatre de mes amis ont été expulsés au Sénégal récemment. Ils ont été arrêtés dans le Bar Codere, à la Plaza Lavapiès. Ils ont fait 60 jours à Aluche dans le centre destiné aux immigrés CIE avant d’être rapatriés. Et je pense que le Consul du Sénégal à Madrid doit arrêter de signer des sauf-conduits, qui facilitent les expulsions», révèle Mbagne Niang.

Interpellé sur les expulsions des Sénégalais, le Consul est catégorique : «Je ne peux pas interdire les expulsions. La loi espagnole prévoit d’expulser toute personne arrêtée en situation irrégulière sur son sol.» Le Consul souligne également que l’Espagne est l’un des pays européens les plus tolérants en matière d’immigration. Pour illustrer ses propos, il explique que plusieurs immigrés détenus au centre de Aluche sont souvent remis en liberté après l’expiration des délais de détention de 60 jours. D’ailleurs, dit le Consul, les immigrés arrêtés pour séjour irrégulier bénéficient du soutien des Ong et des autorités sénégalaises. Il révèle avoir sur sa table plus de 1500 demandes d’ordre d’expulsion des autorités administratives concernant des immigrés sénégalais dont certaines remontent à 2013. «Regardez, (il ouvre l’armoire) tous ces documents contenus dans les chemises bleues sont des demandes d’expulsion de Sénégalais par les autorités espagnoles. Il ne reste que mon accord», assure le Consul.

Mouctar Belal Bâ reconnaît également que la situation des immigrés a beaucoup changé à cause de la crise économique. A preuve, il avoue sans vouloir citer des noms, avoir offert des billets à des immigrés qui voulaient rentrer au Sénégal. «Je suis leur représentant ici et je ne peux pas fermer les yeux devant certaines situations. Je fais de mon mieux. Parfois, je paie les frais pour l’obtention du passeport à certains immigrés», témoigne le Consul, qui a réussi à faire oublier aux immigrés le parcours du combattant pour l’obtention du passeport et de la carte d’identité. Des pièces qui sont confectionnées en 48 heures sur place.

128 Sénégalais dans les prisons espagnoles

Faute de travail, certains immigrés sont devenus des partisans du moindre effort, tout en voulant gagner leur vie, en commettant des actes délictuels. Ainsi, officiellement, 128 immigrés sénégalais croupissent dans les prisons d’Espagne pour trafic de drogue, vols, viols collectifs, falsification de billets de banque… Des détenus à qui le Consul du Sénégal à Madrid, Mouctar Belal Bâ, rend souvent visite pour s’enquérir de leur situation. «Nous ne pouvons pas mettre tous les Sénégalais dans le même sac, certains essayent de gagner honnêtement leur vie. En revanche, d’autres préfèrent la facilité, en commettant des délits pour avoir de l’argent. Le dernier rapport montre que 128 Sénégalais sont détenus dans les prisons d’Espagne pour des chefs de prévention de trafic de drogue, viols de touristes, vols, violences conjugales, falsification de billets de banque…Et j’ai été très clair lors de mes réunions avec nos compatriotes : je signe, les yeux fermés, l’ordre d’expulser pour tout Sénégalais arrêté pour trafic de drogue, viol, vol…», soutient le Consul, Mouctar Belal Bâ. Ce dernier de préciser qu’il communique souvent avec les parents des immigrés écroués dans les prisons espagnoles pour leur donner des nouvelles.

Le temps des regrets

Alpha Oumar Diallo est à Madrid depuis 8 mois. Il regrette déjà d’être venu en Espagne. «Je jure que je regrette d’avoir mis les pieds en Espagne. Je suis malade, j’attends juste d’être guéri pour rentrer au Sénégal et retourner en Guinée Equatoriale. J’ai quitté la Guinée Equatoriale, où j’arrivais à envoyer 100 000 F Cfa chaque mois au Sénégal et à économiser 200 000 FCfa en tant que maçon. Ici, non seulement j’ai fait des pieds et des mains pour avoir un travail de maçon, mais je suis payé 40 euros (26 200) par jour. Une somme qui me permet juste de payer le loyer. Celui qui a 500 000 FCfa comme capital au Sénégal, n’a qu’à se débrouiller là-bas au lieu de venir ici», avertit Alpha O Diallo.

Ndiaga Diagne, installé depuis 2005 à Madrid, abonde dans le même sens. «Les conditions sont difficiles ici. Ceux qui parvenaient à envoyer 500 000 FCfa par mois par le passé, envoient aujourd’hui 50 000 FCfa à peine. Mais, si tu dis à un jeune au Sénégal de ne pas venir, il te traite de jaloux, parce que tu conduis une voiture 4X4 à Dakar», explique Ndiaga Diagne.

Centro Tour, une réussite sénégalaise

Pourtant, il y a des Sénégalais qui sortent du lot et qui réussissent à tirer leur épingle du jeu espagnol. C’est le cas de Saliou Ndao, installé à Madrid depuis 15 ans. Il est le seul Sénégalais détenteur d’une licence de Tourisme en Espagne, avec une caution de 60 000 euros, soit 39 300 000 F Cfa. «J’ai obtenu ma licence signée le 27 décembre 2011 par le ministère italien de l’Industrie du Tourisme et du Commerce. Puis, Madrid m’a délivré une licence d’exercer dans la ville. La politique du Tourisme espagnol consiste à envoyer des touristes et à en recevoir également. Ce qui n’est pas le cas au Sénégal, où la politique ne repose que sur la réception de touristes. La promotion du tourisme au Sénégal est nulle. Et nous sommes prêts à apporter notre contribution en envoyant des touristes au Sénégal jusqu’à égaler le nombre de touristes qui quittent la France pour le Sénégal», fait savoir Saliou Ndao, gérant du Centro Tour à Madrid dans le quartier populaire de Lavapiès. Des atouts qu’il voudrait faire savoir au ministre sénégalais en charge du Tourisme, Abdoulaye Diouf Sarr, attendu au salon du Tourisme de Madrid, le 28 janvier prochain. «Le Sénégal a beaucoup d’atouts au triple plan politique, sécuritaire et touristique ; il suffit de sortir le bureau du Tourisme, installé dans les ambassades et de le confier aux agences en charge du Tourisme pour faire décoller le secteur», suggère le patron de Centro Tour.

Les coiffeuses dans le désespoir

Les femmes sénégalaises qui évoluent dans le métier de la coiffure à Madrid, sont dans le désespoir à cause du ralentissement de leurs affaires. Maman Diallo, gérante d’un salon de coiffure à Madrid, renseigne que les clientes ne sont plus nombreuses. «Par le passé, les clientes sénégalaises et de l’Amérique Latine venaient en masse et j’avais même recruté des coiffeuses. Mais ce n’est plus le cas depuis 2008. Par conséquent, j’ai réduit sensiblement le nombre de mes employés, qui ne sont que trois (deux coiffeuses et un coiffeur). Comme vous pouvez le constater, depuis que vous êtes là, personne n’est venu pour se faire coiffer. Nous préférons rentrer au Sénégal», explique Maman Diallo, qui avait transformé son salon en permanence de l’Apr lors de la dernière élection présidentielle. Mame Binetou Mané, ex-coiffeuse au salon Marème Yade de Ouakam, venue en Espagne depuis 2008, ne dit pas le contraire. «Le métier ne marche plus en Espagne», constate-t-elle, avant de préciser que les filles qui veulent venir ici pour la coiffure peuvent déchanter, «elles ne feront que traîner ici». Mame Marame Seck, coiffeuse à Madrid, confie : «J’ai été surprise par ce que j’ai vu. Je croyais qu’il y avait du travail et que j’allais gagner facilement de l’argent. Alors que c’est tout à fait le contraire. Je ne recommande pas à mes collègues de venir. Il n’y a pas de travail et c’est plus dur si tu n’as pas de papiers», fait savoir Mame Marame Seck, arrivée en 2014.

Aby Mbaye, venue à Madrid depuis 1994, se rappelle les périodes fastes du Pesetas. «Le pays va mal maintenant. Je percevais 250 000 pesetas, soit un million FCfa par mois. J’étais interprète dans les polices et tribunaux, tout en faisant des travaux ménagers et de la restauration. De 2005 à 2013, je travaillais à l’Hôtel Holydays, avant d’être victime de la purge du personnel. Les étrangers, qu’on accuse d’être à l’origine de la crise, ont tous été virés. A l’époque, je partageais mes revenus avec mon mari, qui ne travaillait pas. Maintenant, mon mari a réussi à faire sa vie, il a des taxis, des camions et nous avons divorcé. Je ne conseille à aucune fille de venir ici. Il y a trop de liberté(s), ce qui est mauvais pour une fille. Pis, il n’y a pas de travail. Je leur conseille de se débrouiller au Sénégal», avertit la dame Aby Mbaye, qui vend maintenant des sandwichs dans les salons de coiffure.

GFM





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