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Politique

EDITORIAL: CRÉTINISME POLITIQUE Par Serigne Saliou Guèye


Lundi 2 Mars 2015

Les chamailleries fleuries et les glissades verbales ont toujours émaillé les débats politiques au Sénégal. En revanche, cette semaine a vu le rubicond être franchi avec la sortie violente d’Abdoulaye Wade. Désormais, l’insulte et la stigmatisation sont devenues le modus operandi du pape du Sopi. Pour lui, n’importe quelle opportunité est bonne pour donner de la voix, biaiser la réalité, insulter si besoin et tenter d’exister en niant ou reniant l’autre. Mais les partisans du président Macky Sall s’inscrivent eux aussi dans le même registre des insultes.

C’est un nonagénaire frais de bêtise, pâle, le levain sur le cœur et une pointe de révolte dans la tête, entouré de sa valetaille obséquieuse qui a encore eu la magie de polariser la presse le 24 courant pour faire la Une des journaux, radios, télés et autres sites web. A ses séides panurgistes, le vieil histrion faisait rire de ses balourdises, intrigues et balivernes. Vraie bête de la communication, il a réussi avec ses pitreries ubuesques à porter ombrage à la tournée économique du président de la République au sud du pays et à détourner les regards de la désertion des enseignants des classes et des amphis.

Son discours fait horreur aux citoyens républicains qui comprennent le sens des «Article 1» de la Constitution («La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion») et de la Déclaration universelle des droits de l’homme («Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité»).

Sa supercherie politique consiste à faire croire aux Sénégalais que tout ce qui n’est pas Wade n’est que vacuité, vanité et infériorité, donc une aporie destructrice. L’ex-chef de l’Etat ne peut pas cracher l’insulte à Macky Sall en lui prêtant une infériorité originelle, en lui attribuant des pouvoirs anthropophagiques sans se couvrir de ridicule, lui qui l’a nommé successivement à des postes de responsabilité (directeur général de la Pétrosen, ministre de l’Energie et de l’Intérieur, Premier ministre) avant de le proposer à l’Assemblée nationale comme troisième personnalité de l’Etat.

Ainsi en adoptant la stratégie de la violence verbale épouvantablement immoral et humainement méprisable, Abdoulaye Wade verse dans un crétinisme politique qui débouche sur une stratification sociale d’un autre âge. Mais les Sénégalais ne sont pas du tout disposés à se prêter à son jeu divisionniste, à se plier à sa stratégie discriminante bâtie sur les origines ethniques, raciales, confrériques ou religieuses. La stigmatisation méprisante est la matière première, voire le levain, de l’ethno-différentialisme, fiel de toutes les discordes.

Encroûté dans des schémas stéréotypés, ethnicistes rétrogrades, le nonagénaire distille, avec de faux airs de tragédie de fin du monde, un discours fait de mélange amer de haine, d’envie, de ressentiments, sur fond de perpétuelles jérémiades et de sempiternelles geignardises. Son humour caustique qui désopile ses ouailles bêlantes est le produit dénaturé et dévitalisé d’un complexe d’infériorité, d’une haine devenue inopérante et inefficiente face à «ce fils d’esclave», «anthropophage» et autres vils qualificatifs qui l’a éjecté démocratiquement du pouvoir un certain 25 mars 2012.

Son réquisitoire houleux, hargneux et haineux contre «celui qui ne sera jamais au-dessus de lui et de Karim» est un monceau d’anachronismes désuets qui trahissent la nostalgie d’un âge d’or et d’un paradis perdu. C’est aussi l’expression d’un regret navré et navrant de ne pouvoir plus décider de la vie et de la mort de ses sujets.

Une stratégie de communication bien pensée

Le vieil homme, certes nageant dans une décrépitude physique mais pas psychique, loin de patauger dans une déficience mentale comme le prétendent certains, fonctionne aux insultes, menaces et autres chantages. Les agissements de Wade nous font penser qu’il est entré dans la phase immonde de l’être humain : celle du crétinisme, de la jalousie et de la haine différentialiste. Le comble, c’est qu’il fait semblant de croire aux stupidités délirantes qu’il débite à ses partisans comme autant de vérités, alors qu’il essaie de les mener tous en bateau, les yeux bandés, après les avoir gavés de propos pathétiques, agissant sur leur pathos et leur conscience tel un somnifère.

Tous les dirigeants politiques africains, qui ont sécrété les mêmes germes scissipares au moment des premières heures des indépendances, ont conduit leur pays à un sectarisme chronique déstabilisateur. Léopold Sédar Senghor, qui avait compris le danger de l’ethnicisme, a cultivé le commun vouloir de vivre ensemble, et a sauvé le Sénégal des haines identitaires qui ont déstabilisé plusieurs pays et précarisé leur stabilité. Le président Abdou Diouf, alors secrétaire général de la Francophonie, magnifiait l’exception sénégalaise, lors de son discours du 14 février 2009 au Congrès d’études sur l’histoire et l’actualité de l’état de la Cité du Vatican, en ces termes : «Cet esprit de coexistence des Sénégalais qui cimente le commun vouloir de vie commune est un vivre ensemble avec nos différences, dans leurs fécondantes complémentarités».

Quand, aux législatives du 17 juin 1951, Lamine Guèye, leader de la SFIO Sénégal, dans sa bataille politique contre Senghor, patron du Bloc démocratique sénégalais (BDS), a voulu titiller la fibre religieuse pour s’accaparer le vote musulman, il n’a récolté que la désaffection des chefs religieux tels que Serigne Fallou Mbacké, Serigne Khalifa Ababacar Sy et Seydou Nourou Tall, qui ont soutenu son adversaire politique, catholique de confession.

Ce crétinisme wadesque articulé sur la différenciation sociale et une stratification généalogique factice des Sénégalais peut conduire à un tropisme destructeur comme cela a été le cas en Côte d’Ivoire, au Rwanda et en Serbie où des discours identitaires ont plongé ces pays dans une épuration ethno-génocidaire. Le primat de la race aryenne sur les autres, théorisé par Heidegger, Jünger et Carl Schmitt, a fait le lit de l’hitlérisme et de l’expansionnisme panallemand, lesquels ont débouché sur la seconde Guerre mondiale.

Le pays éburnéen subit encore les contrecoups néfastes des idées abjectement discriminatoires distillées par la Curdiphe (Cellule universitaire de recherche et diffusion des idées et actions politiques du Président Henri Konan Bédié) qui a théorisé le concept fasciste de l’Ivoirité. «L’identification de soi suppose naturellement la différenciation de l’autre, et la démarcation postule, qu’on le veuille ou non, la discrimination» était le leitmotiv de Benoît Sacanoud, président de la Curdiphe.

Aujourd’hui, nonobstant l’apparente paix sociale, la Côte d’Ivoire n’est pas à l’abri d’un nouvel embrasement.

Pour extraire des mailles de la justice son fils qu’il a plongé dans la nasse en lui conférant et confiant des pouvoirs exorbitants au sein de l’Etat et en faisant abstraction des qualités méritocratiques des autres fils de la Nation, Abdoulaye Wade ne lésine pas sur les moyens communicationnels pour atteindre ses objectifs. Mais dire que la sénilité, le gâtisme et l’arriération mentale donnent raison à ces radotages itératifs dangereux de Wade, c’est exonérer ses exactions ubuesques et faire le lit de plusieurs autres funestes.

Ce nonagénaire cyclothymique qui reste englué dans des oscillations d’humeur handicapantes est bien conscient de ses agissements nocifs. Sa dernière sortie qui jette ignoblement le discrédit sur la généalogie ascendante de Macky Sall n’est que l’antépénultième palier d’une stratégie de communication bien pensée et bien élaborée. Depuis son retour au Sénégal après deux ans d’exil volontaire à Marianne, il a mis ingénieusement en place une stratégie de communication qui va de l’affirmation de l’impuissance supposée de Macky Sall à résoudre les problèmes des Sénégalais à l’outrance verbale en passant par les menaces et les intimidations.

Comme Attila, le roi des Huns, il pille et brûle, pas, certes, par cruauté pure mais par tactique militaire. D’ailleurs, il a réussi à ne pas focaliser ses condamnateurs sur le point le plus dangereux de son discours, c’est-à-dire l’incitation à doses homéopathiques de l’armée à la sédition. Systématiquement, telle une marotte, le vieil homme parle de l’armée nationale dans ses sorties comme si certains de ses éléments sont prêts, à sa moindre consigne, à regimber contre le chef suprême des armées. Pire, il n’exclue pas de faire une collusion avec la «Kara Force Security» pour faire face aux forces publiques détentrices de la violence légitime.

Le régime de Macky Sall coupable aussi

Aujourd’hui tout le monde rue dans les brancards alors que les attaques ad personam contre le Président Sall sont d’une moindre gravité que l’appel insidieux répétitif à l’armée qui constitue le socle principal sur lequel repose l’unité de la Nation. Mais Wade, c’est Machiavel, il mène les gens en bateau en drossant celui-ci sur un banc de sable, qui, in fine, n’est pas son véritable lieu de débarquement.

Nonobstant les dérives langagières de d’Abdoulaye Wade, force est de reconnaître aussi que le crétinisme politique n’est pas seulement l’apanage de ce dernier et de ses alliés. Le régime en place a longtemps mitraillé sans aménités le leader du Pds avec une violence et une insolence inqualifiables. Depuis le jour où il a remis les clefs du palais à son actuel locataire, il n’a cessé d’encaisser des apéristes les banderilles acerbes, voire empoisonnées.

Récemment, la troisième personnalité de l’Etat, Aminata Tall, l’a qualifié de menteur fieffé et pourtant cette insanité n’a indigné outre mesure personne. Le député Abdou Mbow et la directrice de l’Agence de la Case des Tout-petits, Thérèse Faye, sont les figures de proue des insulteurs professionnels de l’Apr. Ils affinent eux aussi une stratégie de communication qui consiste à dézinguer Wade à tout-va à sa moindre incartade. Leur «Wade-bashing» délirant a franchi le seuil du tolérable. Quotidiennement, eux et leurs alter ego de l’Apr franchissent de plus en plus les lignes jaunes discursives sans que l’autorité suprême de leur parti ne mette le holà à leurs outrances.

Aujourd’hui les populations ont tourné le dos aux politiciens à cause de l’image sordide et grossière qu’ils leur offrent. La politique est une activité saine où les insultes n’ont pas leur place. Aussi, serait-il temps que les acteurs politiques sachent se transcender et se départir de leur peau de roquets aboyeurs et d’insulteurs publiques à la moindre occasion. C’est à cette condition que l’action politique retrouvera peut-être son lustre et l’adhésion du public.

SENEPLUS





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