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Société

DISCRIMINATION ET MARGINALISATION LIEES AUX FAUSSES CROYANCES: LA DURE CONDITION D’ÊTRE ALBINOS À TAMBACOUNDA


Jeudi 8 Janvier 2015

L’intégration sociale des albinos n’est pas entièrement effective dans la région de Tambacounda. Aujourd’hui, si le droit d’aller à l’école est universel, beaucoup d’enfants souffrant d’albinisme dans cette région en sont privés du fait de leur situation de handicap (très mauvaise vision), ou des discriminations dont ils sont victimes. L’absence d’infrastructures de prise en charge de leur handicap et le manque d’encadrement posent un réel problème de maintien de ces enfants dans le circuit éducatif.

Diallobougou est un quartier situé à la périphérie de la commune de Tambacounda. En cette fin de journée du mercredi 9 décembre 2014, à 19 heures déjà, la nuit commence à envelopper de son manteau les ruelles mal éclairées. La forte canicule de la journée a fini de céder la place à la fraîcheur nocturne, obligeant certains habitants à rejoindre plus tôt que de coutume leur domicile.

Dans ce quartier composé d’abris de fortune, l’électricité est un luxe dans certains foyers. La nuit tombée, l’obscurité donne à ce lieu l’image d’une cité fantôme.

Mais à Diallobougou, ce n’est pas seulement la rareté de l’éclairage public qui attire l’attention du visiteur. La pauvreté est palpable à travers le quotidien des habitants de la ville.

C’est dans ce quartier un peu déconnecté de la modernité que vit la famille Diallo. Cette dernière n’a pas encore digéré la déscolarisation de l’un de ses enfants, en l’occurrence Mamounou Diallo, 12 ans.

Ce jeune garçon albinos, exclu de l’école depuis quelques semaines, passe ses journées à se tourner les pouces. Comme bon nombre de ses pairs albinos vivant dans cette région de l’Est du Sénégal, la chance de réussir à l’école semble définitivement lui tourner le dos. Dans la cour sombre de la concession familiale, une lampe alimentée à l’aide d’une batterie de véhicule tente

d’éclairer une partie de la maison. Assis sur une natte, Mamadou Diallo, le père de cet enfant albinos, revient sur les causes de cette exclusion. « Il est revenu de l’école et m’a fait comprendre qu’il avait été renvoyé par le directeur sous prétexte qu’il se bagarrait fréquemment », explique-t-il d’une voix saccadée, traduisant une certaine amertume.

Sans trop avancer dans les détails, le jeune garçon avoue ne pas supporter les moqueries persistantes de ses camarades sur la couleur de ses cheveux et de sa peau.

Déscolarisation prématurée

Les yeux rivés dans la pénombre, l’air déboussolé, bien qu’encore très jeune, Mamounou est conscient que sa réussite et son avenir sont étroitement liés à son succès dans les études. Sa situation de handicap ne lui offre pas la possibilité de faire certains travaux comme ses autres camarades.

Aujourd’hui déscolarisé et désorienté, c’est avec pessimisme qu’il voit les jours se succéder, sans perspectives. Un nuage semble planer sur l’avenir de ce jeune qui avait nourri le rêve de sortir ses parents de la misère...

Le directeur de l’école, Gagara Soumano, justifie cette exclusion par le fait qu’il ne peut plus supporter les agissements du jeune garçon. « Il n’a pas voulu se conformer aux bonnes conduites qu’exige le règlement intérieur de l’école. Il abuse des privilèges qui lui sont accordés».

A la question de savoir si, depuis l’exclusion, il a eu des nouvelles de Mamounou, M. Soumano répond par la négative. Et comme pour se donner bonne conscience, le directeur affirme avoir agi en toute responsabilité.

Dans la région de Tambacounda, nombreux sont les albinos qui vivent une situation à peu près identique à celle de Mamounou Diallo. Si l’accès à l’éducation est un droit universel, les enfants albinos de cette localité sont victimes d’une violation de ce principe. Cette situation s’explique par les contraintes liées à leur handicap, les croyances socioculturelles et la peur de la différence.

L’absence d’une bonne visibilité liée à leur anomalie oculaire et l’inexistence d’une infrastructure scolaire adaptée qui prendrait compte leur situation de handicap bloquent leur scolarité. Réussir à l’école est devenu une gageure pour ces « enfants de l’ombre » exposés à un soleil de plomb qui brûle tout au long de l’année.

En effet, Tambacounda est une région où les températures affichent régulièrement pas moins de 40 degrés. Une situation qui rend difficile le quotidien des albinos sensibles à la chaleur.

Dans la commune, informe le chef de service social de la région Coumba Diop Niang, il est très rare de retrouver des albinos qui ont franchi le seuil des études primaires.

A son avis, le seul bachelier albinos de la région qu’elle connaît a obtenu son sésame l’année dernière avec beaucoup de difficultés. Cela, malgré l’appui du service de l’action sociale.

« Les élèves albinos n’atteignent pas le niveau secondaire ou supérieur parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Leur problème de vision constitue un véritable frein à leur scolarité », laisse-t-elle entendre.

Rareté de la crème solaire

Il faut parcourir une trentaine de kilomètres de Tambacounda pour se retrouver dans la commune de Kolthiéré. Dans cette localité au climat sec, les températures grimpent au fur et à mesure que le soleil s’approche du zénith. Agé de sept ans, Madyiré Kanouté, seul albinos de sa famille, joue avec les enfants de son âge sous un hangar fait à partir de tiges de mil.

Ce potache dont le regard traduit une certaine innocence n’a pas encore fait ses humanités. Une situation qui s’explique par les difficultés que rencontre son père Cheikha Kanouté pour s’acquitter de ce devoir.

Sa plus grande préoccupation demeure la fragilité de la santé de son enfant. Il dit s’inquiéter des boutons qui apparaissent en permanence sur la peau de son fils. L’indisponibilité de la crème solaire dans certaines localités en est la principale cause. Beaucoup d’albinos n’ont pas accès à ce produit devenu presque vital pour se protéger d’un soleil qui chauffe toute l’année.

Ibrahima Sakho, un habitant de Duabou, village situé à une dizaine de kilomètres de Kolithiéré, est père de deux fillettes albinos âgées respectivement de 7 et 15 ans, toutes des écolières.

Ce quinquagénaire dépourvu de moyens ne compte que sur l’aide des personnes de bonne volonté pour l’achat de cette crème solaire nécessaire à la protection de ses enfants. Elles doivent faire chaque jour une bonne distance à pied sous le chaud soleil pour se rendre à l’école.

Coumba Diallo, veuve mère d’une albinos

Assise à l’intérieur de sa case en boue séchée, Coumba Diallo élève seule ses sept enfants, dont une fille albinos en classe de sixième. Cette veuve est contrainte de vendre de la bouillie de mil et des graines d’arachide tous les jours pour nourrir ses progénitures.

Elle affirme ne pas avoir les moyens de trouver de la crème solaire pour protéger son enfant. L’avenir scolaire de sa fille Binetou Diallo ne tient qu’à un fil. A défaut d’une bonne vision, la jeune fille doit faire chaque jour des vaet-vient entre sa place et le tableau pour recopier la leçon du jour.

A Tambacounda, l’une des régions les plus chaudes du Sénégal, l’absence d’une réelle prise en charge sociale des albinos (indisponibilité de la crème solaire, prise en charge sanitaire inexistante) réduit sensiblement l’espérance de vie de cette catégorie de personne.

De ce fait, les personnes souffrant d’albinisme sont exposées à un très grand risque du cancer de la peau.

Pour venir en aide aux albinos ainsi qu’aux autres personnes en situation de handicap dans la région de Tambacounda, la direction de l’Action sociale de la localité développe depuis deux ans un appui scolaire et permet l’obtention d’une bourse. Mais cette bourse est de 24.000 FCfa pour toute l’année.

Une somme dérisoire qui n’est pas en mesure de faire face aux difficultés

immenses auxquelles fait face cette couche de la population. « Les albinos sont des personnes comme les autres, donc je pense qu’ils ne doivent pas être marginalisés », soutient-elle. Mme Niang croit à une vaste campagne de plaidoyer auprès des autorités scolaires pour la prise en charge de ce problème.

La fermeture du centre communautaire des albinos accentue les difficultés

A Tambacounda, la fermeture soudaine du centre communautaire des albinos a constitué une contrainte majeure pour le regroupement de cette couche de la population.

Le centre a été mis en place par l’association des albinos de Tamba (structure qui n’existe plus aujourd’hui) afin de répondre aux problèmes de la communauté albinos.

Ses principaux objectifs étaient de favoriser l’insertion des albinos dans le circuit éducatif, d’informer et de prévenir contre tout risque de complication dermatologique et ophtalmique, de lutter pour réduire au maximum la mendicité et la pauvreté des personnes atteintes d’albinisme, mais également de développer une politique globale pour le bien-être intégral de la communauté albinos.

Il s’agissait aussi d’un instrument qui servait de relais entre ces personnes en situation de handicap, les organismes internationaux et les organisations non gouvernementales (Ong).

« Cela fait bientôt trois ans que le centre ne fonctionne plus. Une situation qui pose un réel problème dans la prise en charge des albinos de la région. Avant, les membres de la communauté se retrouvaient tous les jours pour exposer leurs difficultés », soutient Fatoumata Soumaré, jeune albinos en classe de Terminale.

Aujourd’hui en léthargie faute de moyen, ce centre ne dispose que de quelques ordinateurs. Sur place, un gardien veille scrupuleusement au grain. Il est reproché à l’ancien président de l’association des albinos de Tambacounda d’avoir détourné les fonds de cette structure pour ensuite se rendre aux Etats-Unis.

Depuis trois ans, la tentative de créer un nouveau bureau tarde toujours à se concrétiser au grand dame de la communauté albinos. Avec l’absence d’un cadre, ces derniers se retrouvent face à de sérieux problèmes de prise en charge.

Une équation davantage accentuée par l’inexistence de statistiques permettant de répertorier le nombre exact de personnes souffrant d’albinisme.

« On ne peut pas quantifier le nombre de personnes atteintes d’albinisme. Il n’y a jusqu’ici aucune étude sur la question », soutient Coumba Diop Niang, chef du centre d’action sociale de Tambacounda

LESOLEIL





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