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Opinion

Contribution: "KOUTHIA" HOMME DE L’ANNÉE : FAUT-IL EN RIRE OU EN PLEURER ? Par Tabouré Agne


Mardi 3 Février 2015

La consécration de Samba Sine alias «Kouthia» comme homme de l’année 2014 a certainement fait plaisir à beaucoup de Sénégalais. L’homme, artiste talentueux, en a fait rire plus d’un au cours de la cérémonie «Sargal» organisée en son honneur le samedi 24 janvier 2015.

Cependant, certains téléspectateurs ont certainement ressenti une grande gêne lorsque les organisateurs ont annoncé que l’artiste a été désigné «Homme de l’année» 2014 au détriment du médecin qui a guéri Mamadou Diallo, le jeune Guinéen à l’origine du seul cas importé du virus Ebola au Sénégal. Le choix, annoncentils, s’est en définitive porté sur l’artiste, car ce dernier «guérit également des milliers de Sénégalais par le rire».

Certes, nous ne contestons pas l’utilité du rire puisqu’il est désormais démontré que l’humour et le rire sont excellents pour la santé et constituent, entre autres, un bon antidote contre le stress. Ils constituent aujourd’hui des instruments thérapeutiques et dans beaucoup de pays, les patients peuvent bénéficier de la présence de clowns thérapeutiques ou de clowns professionnels dans les hôpitaux. L’effet bénéfique du rire sur les maladies cardiovasculaires est réel.

Mais si on note des guérisons spectaculaires annoncées ça et là par certains journaux, il faut souligner que le rire n’a jamais permis d’éviter une épidémie. Et l’importance des médecins professionnels est plus que jamais nécessaire, le rire ne constituant qu’une thérapie accessoire aux soins prodigués dans les hôpitaux.

Ainsi, comparer «Kouthia» au médecin qui a sauvé le Sénégal d’une épidémie de fièvre hémorragique à virus Ebola pose problème, d’autant plus que l’actuelle épidémie de fièvre hémorragique à virus d’Ebola est la plus grave depuis l’apparition de cette fièvre hémorragique en 1976 dans l’ex-Zaïre (l’actuelle République démocratique du Congo).

La présente épidémie a fait plus de morts que toutes les épidémies précédentes d’Ebola réunies. Le virus a causé en un an au moins 7 588 morts dans plusieurs pays, à 99% dans trois Etats voisins : Liberia, Sierra Leone, Guinée, d’après un bilan de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) diffusé récemment.

D’autre part, il s’agit d’une «nouvelle» version du virus dans lequel on a recensé plus de 200 mutations et qui, encore plus inquiétant, semble muter de plus en plus vite. De telles mutations facilitant sa transmission humaine...

Mais ce choix n’est que révélateur du peu d’importance que les Sénégalais accordent aux activités essentielles au développement de notre pays, telles que la médecine, l’éducation, la science, la technologie...

Faire une telle comparaison, c’est ignorer les énormes souffrances que vivent les populations des pays infectés comme le Liberia, la Guinée et la Sierra Leone. N’eût été ce médecin, qui a permis au Sénégal de quitter la liste rouge de l’Oms, aujourd’hui notre pays vivrait les pires moments de son histoire.

Le Sénégal, à l’instar des pays touchés, verrait les commerces et marchés fermés, les déplacements entre localités interdits. Les rassemblements publics, y compris les offices religieux, suspendus en raison de l’épidémie. Des confinements réguliers de population imposés par les autorités.

Certainement, beaucoup d’entreprises de commerce, de transport, bref, tous les secteurs économiques et sociaux clés du Sénégal seraient touchés, avec des conséquences qui dépasseraient probablement de beaucoup celles causées directement par l’épidémie.

Des milliers et des milliers de travailleurs seraient au chômage. La propagation du virus Ebola renforcerait ainsi la pauvreté et augmenterait «l’insécurité alimentaire» dans la région, tout en affectant l’emploi dans le «secteur clé» de l’agriculture. La Guinée, le Liberia et la Sierra Leone bénéficient déjà tous trois de programmes d’assistance du Fonds dédié aux pays pauvres.

L’ampleur de la catastrophe causée par le virus Ebola est sans précédent. Adam Huebner, coordinateur santé pour Handicap international, nous explique comment l’épidémie pèse sur les pays touchés dans des proportions qui rappellent celles des guerres civiles qui ont frappé ces pays dans les années 1990.

La Banque mondiale estime dans un rapport les pertes qui seront enregistrées par l’Afrique à cause de l’épidémie d’Ebola en 2015 à 32,6 milliards de dollars, si on ne parvient pas à stopper la progression de cette maladie dans les pays les plus touchés en Afrique de l’Ouest : Guinée, Liberia et Sierra Leone.

Le rapport précise que les pertes consécutives à l’épidémie seront énormes non pas seulement pour les pays les plus touchés, mais aussi pour toute la région. Selon Christine Lagarde, directrice générale du Fmi, les retombées de la flambée d’Ebola sur notre pays se traduiraient en 2015 par une perte de 0,3% du Pib.

Concevoir alors qu’il existe dans notre pays un humoriste plus brave que ce médecin et son équipe, à leur tête le ministre de la Santé Eva Marie Coll Seck, qui se sont battus corps et âme pour que l’avenir de notre pays ne soit pas hypothéqué, pose problème. En tout cas, la République leur est éternellement reconnaissante

LEQUOTIDIEN





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